Le compromis sur la question des nominations s’est heurté à un écheveau complexe qui met fin à ses chances d’aboutir, estime un ancien ministre du 14 Mars. Pourtant, l’un des artisans du consensus souligne que les efforts se poursuivent pour trouver une issue légale à cette affaire, après l’échec de la tentative de sabotage, suite à l’ajout à la formule de solution de deux clauses liées aux Forces de sécurité intérieure, qui n’étaient pas initialement prévues dans la proposition de base.
Le dialogue a donc ravivé la possibilité d’un compromis, qui semblait impossible. Mais Nabih Berry, Saad Hariri et Walid Joumblatt ne veulent pas fâcher Michel Aoun, dans le but d’obtenir en contrepartie une relance de l’action du gouvernement. Le courant du Futur a d’ailleurs confié au Hezbollah qu’il est pour le compromis en question. Le parti chiite souhaite que le courant haririen donne son aval à la promotion afin de redynamiser les institutions, ce qui est de nature à préserver la stabilité sécuritaire et politique et d’empêcher l’effondrement de l’État et l’avènement du vide total. Mais si le compromis n’est pas réalisé avant le 15 octobre, date du passage à la retraite du général Chamel Roukoz, le cabinet Salam pourrait se retrouver en péril.
Or pour que le compromis ait lieu, souligne le Futur, il faut d’abord convaincre les composantes politiques qui sont contre, « ce qui n’est pas notre rôle », et s’entendre sur le mécanisme à adopter pour le promouvoir, afin qu’il soit soumis au vote à la majorité simple en Conseil des ministres, estiment des sources du 8 Mars, quand bien même les contacts se focalisent sur la nécessité d’assurer plus de 16 voix en faveur du projet, ce qui équivaut aux deux tiers du cabinet. Pour Nabih Berry, ces voix sont acquises. Le 14 Mars, lui, réclame que ce mécanisme de vote soit généralisé à toutes les décisions du Conseil des ministres, de sorte qu’on en revienne aux usages constitutionnels. Les obstacles restent cependant nombreux et il faut les aplanir. Le Futur accepterait le compromis en contrepartie du maintien du gouvernement, de sa redynamisation a minima et du non-effondrement des institutions, pour éviter le vide sidéral. Selon lui, la préservation de la stabilité mérite un compromis pour sauver la situation, même s’il contient des failles sur le plan légal.
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Le général Aoun, lui, suit les concertations en cours sur le compromis sans y participer. Un responsable du CPL estime ainsi que « c’est le Futur qui avait évoqué avec M. Aoun ce compromis lors de la réunion à la Maison du Centre entre Saad Hariri et lui ». Ce responsable aouniste s’étonne de la manière avec laquelle « certains » au sein du Futur se sont rétractés par rapport à leurs engagements. L’important est de régler la question des nominations et de légaliser cette solution pour boucler ce dossier et œuvrer à consolider l’institution militaire, pour qu’elle puisse combattre le terrorisme. La promotion du général de brigade Chamel Roukoz au grade de général de division, si elle a lieu, devrait être parachevée par le fait de lui confier un poste et des missions. De son côté, Michel Aoun est attaché au fait de nommer lui-même, dans le cadre du compromis, les membres orthodoxes et catholiques du Conseil militaire, comme les leaders musulmans, qui nomment eux les membres musulmans au sein de cette instance.
L’ancien président Michel Sleiman rejette pour sa part ce compromis, après avoir réalisé une étude, dont il a remis une copie au Premier ministre, sur les infractions légales qu’il comporte. Les ministres membres de la Rencontre consultative seraient ainsi contre le compromis et le ministre de la Défense pourrait même quitter la séance du Conseil des ministres s’il en est question. De même, il ne mettra pas ce dossier à l’ordre du jour de la séance. Or la question relève de ses prérogatives, sur recommandation du commandant en chef de l’armée. Le commandement lui-même a demandé à Samir Mokbel d’être informé des critères qui seront pris en compte pour le compromis, suivant le souci du directoire de la troupe à immuniser l’armée et à ne pas en ébranler la hiérarchie. Le Futur rejette de toute façon toute marginalisation de Michel Sleiman, qu’il considère comme une composante essentielle et incontournable au sein du gouvernement, en réponse à ceux qui considèrent que ce n’est pas le cas, parce que l’ancien chef de l’État ne disposerait pas d’un bloc parlementaire. De même, le Futur refuse de toucher aux prérogatives du président du Conseil et de discuter son mécanisme de prise de décision dans le cadre du compromis. Il appelle, dans ce cadre, à un retour à la Constitution et aux lois, soulignant que la vacance présidentielle ne devrait pas servir à torpiller les prérogatives du Premier ministre. Enfin, le Futur refuse que le compromis prenne pour cible le général Jean Kahwagi, dans le but de le circonscrire. C’est au commandant en chef de l’armée de choisir les membres chrétiens du Conseil militaire, selon les usages, souligne le courant haririen. Le Futur refuse qu’un général maronite autre que le commandant en chef de l’armée rejoigne le Conseil militaire, d’où son refus d’adjoindre les trois généraux promus au sein de cette instance.
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Selon ses amis, le général Roukoz refuse d’être mêlé de près ou de loin à ce compromis, de commenter le projet ou d’en évoquer les éventuelles infractions. Le rôle d’un officier, dit-il, est de protéger la patrie et les citoyens, et toute promotion doit se faire selon trois facteurs : le service de l’officier, son parcours et son ancienneté. Le général s’étonne de ce qui est dit à son sujet et au sujet de son ancienneté, il reste à l’écart et refuse d’entrer dans les polémiques. Il compte même partir à l’étranger après le 15 pour prendre un peu de repos. Il souligne que c’est son ancienneté qui le rend habilité à être promu, pas ses appartenances familiales et politiques. Pourquoi donc tout ce tintamarre ? Qui a empêché la réconciliation entre Rabieh et la Maison du Centre, alors que c’est le Futur lui-même qui avait pris l’initiative de proposer cet accord ? Et qui, tout récemment, a torpillé le compromis ?
Pour un responsable du CPL, si le compromis n’est pas réalisé avant le 15 octobre, la situation pourrait se diriger vers le pire, et l’institution militaire se retrouver dans la ligne de mire aouniste, après le blocage définitif de la présidence, du Parlement et du gouvernement. Le général Aoun n’acceptera pas d’être traité ainsi. « Pourquoi cherche-t-on systématiquement à lui mettre des bâtons dans les roues, alors que les dossiers qui ne nous concernent pas sont réglés rapidement et sans entraves? », s’interroge ce responsable aouniste. L’échec du compromis pousserait ainsi Michel Aoun à l’escalade politique et à lancer une offensive politique et populaire, entraînant la fin du gouvernement et une attaque ciblée contre les chefs sécuritaires dont les mandats sont prorogés.