Par Yann Bouchez
Il s’est assis discrètement dans le fond de la salle, juste avant la conférence de la commission indépendante de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Mais la présence de Sebastian Coe, le président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), n’est pas passée inaperçue, jeudi 14 janvier, à l’hôtel Dolce Munich Unterschleissheim, dans la capitale bavaroise.
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Si Coe est venu en Allemagne, c’est peut-être qu’il savait que cette deuxième partie du rapport ne contiendrait pas de révélations fracassantes, contrairement à ce qu’avait promis le Canadien Dick Pound, le président de la commission indépendante. Le Britannique avait eu accès au rapport de l’AMA quelques jours avant le 14 janvier.
Et à Munich, il a dû boire du petit-lait en entendant, de la bouche de Pound, qu’il était « la personne idéale » pour reconstruire la crédibilité de l’athlétisme. Une formule qui a étonné l’auditoire, vu que dans son rapport la commission indépendante note que « le conseil de l’IAAF ne pouvait pas ne pas être au courant du niveau de népotisme qui avait lieu à l’IAAF ». Or Sebastian Coe, en tant que vice-président, de 2007 à 2015, était membre de ce conseil.
A la fin de la conférence, Coe a rencontré, à l’abri des micros, Pound. Barbe poivre et sel d’une semaine, le Britannique, 59 ans, s’est ensuite exprimé devant les journalistes. Mais pas tout le monde en même temps : d’abord la BBC, puis les télévisions, la presse écrite anglaise, enfin quelques médias étrangers, dont Le Monde. A la tête d’une fédération en pleine tourmente, il a martelé des messages : sa « gratitude » face au travail de la commission indépendante de l’AMA et sa volonté de « restaurer la confiance ». Mais il le reconnaît, le chemin s’annonce long.
Quelle est votre réaction, après la révélation de cette seconde partie de la commission indépendante de l’AMA ?
Le travail de la commission indépendante, à travers leur rapport, a été appliqué et détaillé. Cela nous aidera. C’est un processus très complexe, profondément douloureux que notre sport doittraverser.
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Ces gens [de la commission indépendante] ont passé beaucoup de temps à nous aider, à comprendre et à prendre toute la mesure des pathologies [qui touchent l’IAAF]. Les changements àeffectuer et qui ont été identifiés dans le rapport ont, en grande partie, déjà commencé à être lancés. Il faut faire en sorte de ne plus jamais, jamais, être dans une situation dans laquelle un conseil [sorte de gouvernement de la Fédération internationale]n’est pas en mesure de mettre en doute ou de vérifier des actions qui sont prises en son nom. Dick Pound a raison : le grand défi qui se présente à moi est de m’assurer que nous mettions en place les changements aussi rapidement que possible.
Mais il a aussi souligné un autre point important. Le chemin vers le rachat ne va pas être rapide ou facile. Nous ne pouvons pas nous asseoir là et dire aux gens qu’il est temps de nous croire. Ils croiront à partir des changements que nous aurons instaurés.
Vous avez été vice-président de l’IAAF, de 2007 à 2015. Regrettez-vous votre manque de curiosité durant cette période ? Vous avez dit ne pas être au courant des dérives de la Fédération internationale…
Non, laissez-moi vous interrompre. Bien sûr que le conseil de l’IAAF a posé des questions, notamment sur le nombre croissant de cas positifs. Vous les connaissiez, je les connaissais. Vous[les journalistes]ne posiez pas toujours ces questions [sur le dopage], non plus.
Vous devez aussi comprendre la nature – et c’est probablement l’un des échecs de notre sport – de la gouvernance. Un vice-président – j’étais l’un des cinq, en incluant le trésorier –, c’était probablement dix jours par an à l’IAAF. Et les changements que je mets en place actuellement visent à ce que les vice-présidents puissent être plus impliqués.
Vous affirmez ne pas avoir été au courant des dérives qui avaient lieu à l’IAAF. Mais votre compatriote Nick Davies semblait très au courant de ces dérives, lui qui dès juillet 2013, dans un e-mail à Papa Massata Diack, évoquait les « cadavres russes dans le placard, en ce qui concerne le dopage ». Or M. Davies, qui était alors porte-parole de l’IAAF, est devenu votre directeur de cabinet en septembre 2015…
Oui. Cette question précise du mail est désormais l’objet d’une enquête de la commission d’éthique de l’IAAF. Je ne vais rien ajouter à cela, tant que Michael Beloff [le président de la commission d’éthique] n’a pas livré son interprétation.
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Vous n’avez jamais été au courant de ce mail, dans lequel Nick Davies vous mentionne ?
Non.
Il y a quelques jours, vous avez déclaré à la télévision que l’IAAF n’avait pas « couvert » de cas de dopage. Ces propos ont surpris, étant donné les révélations de ces derniers mois…
On m’a posé une question très, très précise à propos d’un e-mail… Bien sûr que des cas de dopage ont été couverts ! Le simple fait qu’il y ait eu des délais, c’est que des cas ont été couverts. Si mon langage a été maladroit, je m’en excuse. Je ne voulais pas du tout tromper qui que ce soit. Je répondais à une question sur un mail très spécifique. Bien sûr que toute cette saga traite de couverture de dopage.
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Vous étiez au courant que Papa Massata Diack, consultant marketing pour l’IAAF jusqu’à la fin de 2014, avait réussi à négocier un accord de sponsoring avec la banque VTB Bank à hauteur de 25 millions de dollars ?
Non. Mais la revue que je suis en train de mener au sein de l’institution s’intéresse à tous nos partenariats et à nos accords marketing.
Le dossier de la Fédération russe, suspendue jusqu’à nouvel ordre, avance-t-il ?
Je dois avoir une conversation vendredi avec Rune Andersen [ce Norvégien a été nommé à la tête de l’équipe d’inspection qui doit étudier les réformes mises en place dans l’athlétisme russe]. Il ne fera pas de commentaires sur le sujet, mais je pense qu’il a trouvé que la première rencontre avec les Russes a été très constructive. Le calendrier est très clair. Quand je serai satisfait, quand Rune Andersen sera satisfait, quand il me dira que j’ai des raisons d’être confiant dans le fait que les critères que nous avons fixés ont été respectés et que ce n’est pas seulement un changement de façade – il y a un changement de culture à opérer –, alors, et seulement alors, les athlètes russes propres seront de retour dans les compétitions.
Les athlètes russes pourraient, selon vous, participer aux Jeux de Rio ?
Je n’ai jamais fixé de délai. J’ai été très clair dès l’annonce de la suspension de la fédération russe, puis quand j’ai désigné Rune Andersen et l’équipe d’inspection. Il faut remplir les critères et on les laissera revenir.
Peut-on mettre un terme à une situation de dopage institutionnalisé, qui existait déjà au temps de l’Union soviétique, en seulement quelques mois ?
Il faut bien commencer à un moment. Même ceux qui ont été critiques ont reconnu que les critères étaient exigeants. Ce sont des critères difficiles, qui couvrent de nombreux aspects. Le principe général est que les athlètes propres puissent avoir confiance dans les personnes et les systèmes en place. Et il faut aussi avoir une structure pour que les dénonciateurs puissent tirerla sonnette d’alarme.
Vous parlez de lanceurs d’alerte. Pourtant vous n’avez pas rencontré les époux Stepanov, qui sont à l’origine de la dénonciation du dopage institutionnalisé en Russie. Est-ce une erreur politique de votre part ?
[Agacé.] Non, ce n’est pas une erreur politique. Je ne les ignore pas. Je leur suis très reconnaissant de l’attention qu’ils ont permis de porter sur ce sujet. J’ai écrit une lettre pour les remercieret leur dire que je serais très content de les voir quand les travaux de l’équipe d’inspection seront terminés, que les critères seront remplis et que les investigations auront avancé. Mais j’ai déjà demandé à Rune Andersen de s’asseoir avec eux pour les écouter et savoir ce qu’ils pensent peut nous aider à remodeler nos relations avec l’athlétisme russe.
- Yann Bouchez
Journaliste au service Sport