Le Premier ministre libanais nouvellement nommé Mustapha Adib (à droite) s’entretient avec les propriétaires d’un magasin endommagé lors d’une visite dans le quartier gravement touché de Gemmayzeh à Beyrouth, le 31 août 2020. Photo par – / AFP via Getty Images.
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La démission, par cohérence morale, du premier ministre désigné Mustapha Adib scelle-t-elle définitivement l’acte de décès de la République Libanaise ? Son geste, empreint de dignité sereine et de retenue patricienne, marque une étape cruciale dans la vie du Liban, petite souris entre les griffes d’un gros chat persan et d’autres fauves du Proche et Moyen-Orient.
Le doigt accusateur de l’échec de l’initiative française pointe vers le binôme milicien Amal-Hezbollah ainsi que leur allié et obligé, le CPL. Ces trois formations ont, depuis 2006, pratiqué non la politique d’une opposition démocratiquement saine mais celle du blocage de l’État et de ses institutions dans le cadre d’une stratégie putschiste permanente.
On saluera au passage l’attitude de Mustapha Adib que nous ne connaissions pas. En une vingtaine de jours, il a montré qu’il est un authentique commis de l’État, conscient de ses fonctions dans le cadre de la Constitution et de la Loi. Il n’a pas donné d’interview, il n’a pas dit grand-chose. Il a exécuté la mission à lui confiée par la Constitution : former son équipe de gouvernement de mission, conformément à l’accord politique parrainé par le président français lors de sa dernière rencontre avec les forces politiques libanaises à la Résidence des Pins. On se souviendra de l’aparté entre Emmanuel Macron et Mohamad Raad, le chef de file du groupe parlementaire du Hezbollah. La photo-souvenir vaut son pesant d’or aux yeux des redoutables Mollahs de Téhéran.
Le soulagement, au sein de la population traumatisée, était perceptible mais fut de courte durée. Au fil des jours, le citoyen libanais ordinaire a senti que Mustapha Adib représentait autre chose que la traditionnelle et grouillante vermine de la vie publico-médiatique. Cet inconnu des écrans de télévision, par sa rigueur respectueuse des règles procédurales, a semblé incarner la sacralité de l’État, de la Constitution et de la Loi. Rien qu’en cela, il paraissait largement dépasser tous les clans réunis des mafias de la caste dirigeante libanaise. L’histoire n’oubliera pas de sitôt cet ultime râle de conscience de l’État libanais dans les affres de son agonie.
Curieusement, la démission de ce gentleman est venue rappeler que la Constitution participe du Sacré et que tout marchandage sur son texte fondateur relève de la profanation. Mais qui en est conscient au sein du cloaque fangeux et putride du jeu politique libanais ? Ce ne sont certainement pas les forces factieuses qui ont mené le pays à la mort et à la ruine. Certaines de ces formations sectaires ont fait du mensonge une catégorie de l’esprit, tant elles réduisent l’intelligence politique à la fourberie paysanne se drapant de l’arrogance du barbare.
L’échec de Mustafa Adib est-il une preuve supplémentaire de la non-viabilité constitutive du Liban ? Certainement pas car une issue honorable existe.
Elle a pour point de départ l’article 1er du Chapitre II des Accords de Taëf (1989) qui stipule la dissolution de toutes les milices armées et la déposition de leurs arsenaux. Seules les milices du tandem chiite Amal-Hezbollah n’ont pas appliqué, à ce jour, cette clause. La suite de l’histoire est bien connue.
De quoi demain sera fait ? De beaucoup de malheurs certainement. Les jeunes générations sont moralement tenues de déconstruire les discours de la mentalité milicienne et mafieuse qui a régné au Liban depuis quelques décennies. Cette jeunesse pourrait le faire en méditant le commentaire de Boris Souvarine sur l’étonnant « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » de Maurice Joly (1829-1878).
Ce manuel de duplicité et de fourberie décrit parfaitement la situation libanaise : « séparer la morale de la politique, substituer à tout droit la force et l’astuce, paralyser l’esprit individuel, tromper le peuple avec des apparences, ne consentir de liberté que sous le poids de la terreur, flatter les préjugés nationaux, […], transformer les instruments de la pensée en instruments du pouvoir, exiger une apologie perpétuelle de ses actes, enseigner soi-même l’histoire de son règne, avoir une police qui serve de clef de voûte au régime, se faire des fidèles au moyen de rubans et de hochets, ériger le culte de l’usurpateur en une espèce de religion, se rendre indispensable en créant le vide autour de soi, amollir l’opinion au point qu’elle abdique dans l’apathie, […] dire le contraire de sa pensée, en venir à changer même le sens de mots ».
Vive la révolution du 17 octobre
*Beyrouth
acourban@gmail.com