Le soutien apporté en grande pompe par le président des Forces libanaises (FL) Samir Geagea à son ennemi ancestral, le chef du bloc du Changement, Michel Aoun, dans la course présidentielle, continue de faire boule de neige au plan local, même si stricto sensu il n’apporte rien de nouveau concernant l’échéance. Le chef du courant du Futur, Saad Hariri, avait déjà tenté, bien avant Samir Geagea, de faire la promotion de M. Aoun pour mettre fin à la vacance présidentielle, mais s’était heurté à nombre d’obstacles locaux et régionaux. Quels changements se sont-ils produits dans les rapports de force pour que l’option de Samir Geagea devienne possible là où Saad Hariri a échoué ? Le leader FL peut-il pousser le Hezbollah et le général Aoun à se rendre aux séances électorales sans la condition rédhibitoire posée, à savoir le retrait des autres candidats, Sleiman Frangié et Henri Hélou ? M. Aoun peut-il accepter une élection et pas un plébiscite ? M. Geagea est-il capable d’assurer une couverture extérieure, régionale ou internationale au général Aoun ?
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Dans les faits, il s’avère que rien n’a changé sur le plan local. Le Hezbollah n’a pas annoncé sa participation à la séance électorale en dépit du soutien FL à son candidat. Sleiman Frangié maintient sa candidature et se rend au Vatican, au moment où le patriarche maronite Béchara Raï s’y trouve, pour y rencontrer le pape François, ainsi que d’autres hauts responsables du Saint-Siège, avant de se concerter avec d’autres leaders libanais sous l’égide du patriarche, notamment, dit-on, Saad Hariri.
Les chefs musulmans, eux, ont préféré garder le silence sur la rencontre de Meerab. Le Hezbollah a soigneusement évité de commenter. Le président de la Chambre, Nabih Berry, aurait indiqué qu’il continue de soutenir M. Frangié tant qu’il est candidat. Il en serait de même pour le chef du Rassemblement démocratique, Walid Joumblatt. Les leaders musulmans n’ont donc pas changé d’opinion par rapport à la candidature de Michel Aoun. L’adoption par M. Geagea de cette candidature les a, au contraire, quelque peu tétanisés. Des craintes sont apparues d’un marché entre les deux hommes et d’un partenariat au pouvoir qui ferait du leader FL le dauphin exclusif du fondateur du CPL.
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Des sources FL bien informées estiment pour leur part que l’initiative Geagea a rencontré beaucoup d’échos positifs, en dépit de l’embarras qu’elle a suscité auprès du Hezbollah, puisque Sleiman Frangié a refusé de se retirer de la course au profit du général Aoun. Selon elles, la démarche de M. Geagea comporte deux volets : le premier concerne la rue chrétienne et vise à mettre sur pied un état de fait chrétien unitaire qui empêcherait n’importe quelle partie désormais d’en faire fi, même si ce positionnement n’est pas communautaire, comme le prétendent certains. L’objectif serait au contraire de garantir la participation, de recouvrer les droits et de préserver la présence chrétienne dans l’État, la vie politique et l’administration, de sorte qu’aucun accord ne puisse plus avoir lieu sans l’aval des chrétiens. Cette unité panchrétienne serait de nature à consolider la présence chrétienne dans la vie politique à tous les niveaux, puisqu’il est désormais impossible, avec le verrouillage chrétien autour de la candidature du général Aoun, d’avoir un président de la République ne bénéficiant pas d’une certaine popularité.
Concernant le timing de la démarche de M. Geagea, ces sources précisent que les circonstances ne s’y prêtaient pas avant, et que M. Aoun ne souhaitait pas faire le pas pour son compte personnel. La candidature de Sleiman Frangié lancée par Saad Hariri a accéléré la démarche. Samir Geagea a attrapé la balle au bond, profitant du contexte régional et de l’entrée en vigueur de l’accord sur le nucléaire iranien. Le branle-bas provoqué par la candidature de M. Frangié, puis l’essoufflement de cette dynamique, exprimé par MM. Berry et Joumblatt, doublé du maintien par le Hezbollah de son soutien à la candidature de Michel Aoun, ont poussé le leader FL à passer à l’acte. M. Geagea pense ainsi que les circonstances sont désormais opportunes pour reprendre, au plan chrétien, l’initiative dans la présidentielle. C’est sur cette base qu’il a choisi de soutenir Michel Aoun, et c’est à ce dernier, désormais, d’assurer son succès. M. Geagea a accompli sa mission à ce niveau. La coordination entre les deux formations, elle, s’étendra sur différents dossiers, notamment la loi électorale sur base de la proportionnelle. Le patriarche Raï a positivement accueilli la nouvelle, en souhaitant toutefois qu’elle inclue toutes les parties chrétiennes.
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Et maintenant, où ira-t-on ? Un ancien ministre écarte l’idée que le Hezbollah soutienne le candidat de Saad Hariri à la présidence, fût-il un poulain du 8 Mars. Après la démarche de M. Geagea, le Hezbollah devrait avoir du mal à accepter l’arrivée de Michel Aoun à Baabda, de peur que ce dernier n’ait conclu un marché avec le leader FL. Or le parti chiite ne veut pas perdre le général Aoun, et il est impossible que M. Frangié renonce à sa candidature. Une confrontation Aoun-Frangié à la Chambre assurerait le succès du second, grâce au soutien des leaders musulmans, et le Hezbollah préfère éviter ce cas de figure. La voie de sortie honorable serait, pour lui, de réclamer un package deal, sur base du fait que la présidence seule ne suffirait pas. Ce n’est en fait qu’à la lumière du résultat des élections en Iran, où s’affrontent réformateurs et conservateurs, avec une tendance favorable au premier camp, que le parti chiite tranchera. Et l’événement de Meerab pourrait bien, dans ce cadre, avoir mis fin à la candidature des quatre pôles maronites, ouvrant la voie à l’élection d’une personnalité consensuelle.