Quand fleurissent les empires

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 La semaine qui vient de s’écouler risque bien d’être retenue comme ayant été historique. Deux événements sont venus montrer que nous vivons, bel et bien, dans un monde nouveau, différent en tous points de celui que nous avons connu depuis les Accords de Yalta qui ouvrirent la voie à un ordre mondial binaire, celui de la guerre froide. Après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS, les USA tentèrent d’imposer leur hégémonie impériale au travers d’un « Nouvel Ordre Mondial » comme l’annonçait le Président Bush à la veille de la première guerre d’Irak. La deuxième guerre d’Irak en 2003 a montré les limites désastreuses d’une telle ambition. Le Levant et le Moyen Orient ne cessent de subir les conséquences de l’aventurisme américain et du caractère imprévisible de son administration actuelle.

Le premier événement porte sur le compromis trouvé in extremis concernant la dette publique de la Grèce. Quant au second événement qui bouleverse l’ordre du monde, il s’agit de l’accord de principe sur le nucléaire iranien qui a vu le jour, sans ironie aucune, durant la nuit, celle dite du destin (laylat al qadar) la nuit la plus sainte du mois de Ramadan puisque la tradition y situe la révélation du Coran au prophète Mohamad. Des esprits religieux ne manqueront probablement pas d’y voir un signe divin.

Contrairement à ses orientations idéologiques, contrairement au « non » massif que le récent référendum grec opposa contre les mesures d’austérité exigées par les créanciers internationaux, Alexis Tsipras et son équipe gouvernemental ont dû boire la coupe jusqu’à la lie. Ils ont accepté sans résister que leur pays soit mis sous curatelle, exactement comme peut le faire n’importe quel juge à l’égard d’un adulte estimé incapable de gérer pleinement ses propres affaires. On lui assigne, à ce moment, un curateur qui gère avec lui un fonds patrimonial. Le bénéficiaire se trouve ainsi fortement limité dans sa liberté de disposer de ce qui lui appartient en propre. L’Etat grec est donc mis sous curatelle, non par un autre Etat, mais par le corporate power des réseaux de la finance. Heureusement pour Alexis Tsipras, ce fonds de curatelle demeure domicilié en Grèce et ne déménage pas au Luxembourg. Un tel précédent inaugure probablement des dispositions similaires à l’égard d’autres pays, faibles bien entendu mais fortement endettés. Le Liban devrait beaucoup méditer l’exemple grec s’il ne souhaite pas se retrouver dans une telle situation. Mais, pour cela, il faudrait que la classe politique libanaise soit moins corrompue que celle de Grèce, ce qui n’est pas évident.

L’autre événement majeur, c’est cet accord sur le nucléaire iranien obtenu à l’arraché lui aussi. Commencées en 2003, les négociations sur ce dossier viennent donc d’aboutir. Au départ, durant la première phase, il n’était question que de démantèlement du nucléaire iranien. A l’arrivée, et en attendant ce que peut réserver le futur proche, tout ce qu’on peut retenir de cet accord c’est qu’il repose sur un trépied :

  1. Un engagement de l’Iran sur la limitation de son programme nucléaire durant dix ans.
  2. Un engagement international sur la levée progressive des sanctions contre l’Iran.
  3. Un engagement mutuel sur le renforcement des contrôles.

Et c’est tout apparemment, en attendant de découvrir les détails de ce compromis. Cela suffit-il pour clamer que la paix du monde est sauvée et que la stabilité du Levant et du Moyen Orient en sort renforcée ? Il est précoce de dire quoi que ce soit à ce stade car ces événements mettent en place un nouveau rapport international qui demeure tributaire de deux facteurs fondamentaux :

  1. La manne financière qui va affluer en Iran permettra-t-elle au camp de ceux qu’on appelle ouverts et modérés de pouvoir changer les mœurs du régime des Mollahs ? C’est, apparemment, le pari incertain du président Obama. Ou bien, cette même manne ne viendrait-elle pas, tel un surplus de combustible, alimenter les ultras de ce régime qui est au cœur du terrorisme international et qui n’a cessé de mettre l’Orient à feu et à sang depuis 1979 en jouant sur les haines sectaires et confessionnelles.
  2. Quel est l’ordre mondial qui se révèle derrière ces événements ? Est-ce que les USA prennent acte que le monde est devenu multipolaire et laissent donc des puissances régionales mener leur politique, à leur guise, dans les limites de l’horizon des intérêts américains ? Dans ce cas, l’accord pourrait s’avérer inquiétant pour Israël mais très dangereux pour les pays arabes. Une autre lecture voudrait que cet accord, avalisé par la Russie et la Chine, constitue une contrainte aux Mollahs de Téhéran et limite leurs ambitions impériales. D’autres lectures spéculatives sont également possibles. Rien ne peut être dit avant le vote du Congrès américain et, surtout, avant les élections législatives iraniennes qui nous éclaireront sur l’impact réel de cet accord sur la société iranienne.

Cependant une chose demeure, loin de toute spéculation. L’exemple grec nous prouve que nous sommes dans un monde régi par les règles impitoyables des réseaux de la finance. Quant à l’accord iranien, il montre bien que les grands oubliés demeurent les pays arabes du Levant, dont la Syrie. Il appartient dès lors aux Arabes de prendre conscience de la nécessité vitale de sortir de leur torpeur politique, religieuse et culturelle, afin de ne pas se retrouver sous la coupe de ces empires multipolaires qui fleurissent.

L’union fait la force dit le proverbe. Ceci est plus vrai que jamais dans le cas des Arabes du Levant.

acourban@gmail.com

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