Je suis venu sur la place Rabin de cette ville pour me tenir aux côtés des Druzes, avec lesquels j’ai combattu pour protéger l’Etat d’Israël. Mais je suis également venu pour célébrer la démocratie israélienne, l’engagement public en faveur de l’égalité et des valeurs démocratiques, nos médias indépendants et ces piliers garantis par notre pays que sont la liberté de parole et le droit de manifester.
Cela a été un rassemblement serein, digne, avec une représentation venue de toute notre société dans sa diversité. En contraste avec le vote malavisé qui a eu lieu il y a deux semaines au parlement, le rassemblement de samedi soir a montré « l’Israélité » dans ce qu’elle a de meilleur. Les drapeaux israéliens ont envahi la place et tout le monde a entonné “l’Hatikvah,” notre hymne national, à la fin de la manifestation.
Alors que s’apaise la tempête initiale qui avait suivi la nouvelle loi, toutes les évaluations pondérées estiment que son principal dommage aura été d’attiser un discours public négatif – en Israël et à l’étranger. Mais ne nous y trompons pas : Les fondations démocratiques de l’Etat juif restent vigoureuses, profondément enracinées et incroyablement résiliantes.
La loi touche des questions sensibles sur lesquelles David Ben-Gurion et les pères fondateurs avaient préféré ne pas prendre de décisions. Ces questions exigent du temps, de la sensibilité et le consensus le plus large possible. Il est impossible d’y répondre de façon aléatoire, en particulier quelques heures avant les congés parlementaires, et une décision ne doit certainement pas être prise à une stricte majorité (Dans ce cas, 62 membres de la Knesset ont voté pour et 55 s’y sont opposés).
Cette nouvelle loi ne va pas suffisamment loin pour protéger les droits des minorités et pour maintenir le principe de « l’égalité » entre tous les citoyens – même s’il est ancré dans d’autres principes législatifs.
En raison de ces défaillances, la nouvelle loi n’inspire pas la légitimité. Elle excite les émotions négatives et elle divise le débat public. Elle aliène des parties du secteur arabe et elle a abîmé le lien particulier entretenu avec la communauté druze, qui sert dans l’armée israélienne. De surcroît, la loi a endommagé les liens avec la diaspora juive, particulièrement aux Etats-Unis, ce qu’Israël ne peut se permettre.
Dans un monde qui est défini de plus en plus par les images, la nouvelle loi offre une mauvaise optique et fait le jeu des ennemis d’Israël, qui sont d’ores et déjà prédisposés à pointer du doigt le pays dans l’arène internationale.
La loi doit être amendée de manière à s’aligner pleinement avec la déclaration d’Indépendance israélienne qui établit que le pays « garantira l’égalité complète des droits sociaux et politiques à ses habitants, indépendamment de leur religion, de leur race ou de leur sexe. Il garantira la liberté de religion, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ».
Texte de la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël
L’Article 4 doit être amendé pour rendre à la langue arabe son statut de langue officielle en Israël.
Même si on n’y a moins prêté d’attention, l’Article 6, qui veut gérer les liens entre Israël et la communauté juive mondiale, doit également être amendé pour souligner la valeur stratégique de ces relations et pour ancrer les principes de partenariat, d’appartenance à un peuple et d’unité.
Une loi amendée devrait être adoptée à la Knesset avec une plus importante majorité et elle devra être rédigée en des termes flexibles et plus larges reflétant la nature dynamique de la société israélienne.
Mais le ciel ne nous tombe pas sur la tête. Le caractère démocratique d’Israël est sauvegardé à travers une myriade de mécanismes imbriqués, et notamment un large corpus de législations quasi-constitutionnelles, un système judiciaire indépendant, une société civile vibrante et l’un des secteurs des médias les plus indépendants au monde.
De plus, la démocratie israélienne est résiliente et elle a fleuri malgré le combat long et intense livré par le pays pour la sécurité et la paix. Des défis politiques et sécuritaires bien moins importants ont sérieusement endommagé la vie démocratique dans d’autres pays. La Turquie en est le dernier exemple.
La démocratie a de nombreux modèles. Le Royaume-Uni, une démocratie bien établie, n’a pas de constitution écrite. Les Etats-Unis ont seulement deux partis politiques, avec des élections où le gagnant rafle tout. Israël, unique parmi les démocraties, a un faible seuil électoral et des règles qui permettent même à la circonscription électorale la plus étroite d’avoir une représentation dans la politique nationale.
Sur de nombreuses décennies, Israël a construit un corpus de lois quasiment constitutionnelles qui sont venues judicieusement renforcer et instaurer les institutions démocratiques dans le pays. Les partisans de la nouvelle loi ont affirmé qu’il était temps d’ancrer davantage le caractère juif de l’Etat, et cela a entraîné une concurrence malheureuse entre certaines factions soucieuses de gains politiques étroits et populistes.
Même si la mesure fait basculer la balance vers l’identification juive de l’Etat, elle n’exclut pas les nombreux contrôles et équilibres qui insufflent la démocratie israélienne – et notamment le principe sacré de l’égalité.
Et ne pensez pas ne serait-ce qu’une minute que certains leaders politiques minoritaires n’utilisent pas cette loi maladroite pour avoir une tribune pour poursuivre leurs propres agendas politiques. Les répercussions de ce texte font perdre de vue de nombreux développements nouveaux et positifs, notamment le taux en croissance d’Arabes entrant dans l’enseignement supérieur et sur le marché du travail, et notamment les femmes.
Il faut encore faite beaucoup plus pour garantir de meilleures opportunités aux populations périphériques – Arabes, Bédouines, Druzes et même Juives – mais cette loi mal orientée ne fait rien pour invalider ou pour effacer les énormes enjambées que notre société a faite vers une société véritablement partagée.
Cela a été une sorte de « tir ami », de blessure auto-infligée. Mais la consternation – bien compréhensible – ne doit pas être exagérée ou entraîner une mauvaise interprétation – celle d’un texte qui serait une attaque contre les traditions démocratiques israéliennes, qui restent malgré tout fortes et résolues.
Amos Yadlin, général de division (à la retraite), ancien chef des services de renseignements militaires israéliens et l’un des expertsen matière de défense et de politique étrangère les plus connus du pays, est directeur exécutif de l’Institut impartial d’études sur la sécurité nationale.