Présence chrétienne ou présence du Christ ?

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Cette réunion survient dans la foulée du cinquantième anniversaire de la Réunion des Œuvres d’aide aux Églises orientales (ROACO), comité pontifical créé en 1968 et présidé d’office par le préfet de la Congrégation pour les Églises orientales. Lors de cette célébration à Rome le 22 juin dernier, le pape avait explicitement dénoncé les « deux péchés » qui affaiblissent la présence des chrétiens au Levant. Il y a d’abord la « volonté de puissance » des grands de ce monde dont l’unique préoccupation est de mettre la main sur les richesses de l’Orient, faisant fi des hommes, de leurs traditions et de leur foi, suscitant ainsi des flux migratoires dramatiques vers d’autres cieux, notamment ceux d’Europe. Mais, l’évêque de Rome a également pointé un autre péché, « celui de certains prêtres, certains prélats et certaines congrégations religieuses qui reçoivent le denier de la veuve mais vivent dans l’opulence ». Il a poursuivi en disant qu’il souhaiterait voir ces « épulons chrétiens » se dépouiller un peu plus et mieux partager avec leurs frères et sœurs afin de contribuer à protéger la présence du christianisme au Levant, au travers des traditions chrétiennes vénérables et diverses, ainsi que de l’impact des actions sociales multiples des chrétiens. On rappellera que les « épulons » étaient, dans la Rome antique, un collège sacerdotal dont les prêtres avaient pour fonction d’organiser les festins et de présider les banquets destinés aux divinités. Ce faisant, le pape mit l’accent, au Proche-Orient, sur la « présence du Christ » lui-même, comprise comme expression d’un témoignage spirituel, moral et civilisationnel, plutôt que la « présence chrétienne » comprise comme simple visibilité du poids démographique et sociopolitique d’un ou de plusieurs groupes particuliers. La présence du Christ exige donc la protection de toutes les traditions spirituelles, le respect de toutes les libertés religieuses et des droits de tout membre de la famille humaine.

Une certaine confusion entre politique et religion avait surpris les observateurs, dans la teneur du communiqué, publié le 14 avril dernier, par les patriarches d’Antioche résidant à Damas (grec-orthodoxe, grec-catholique, syriaque-orthodoxe), au lendemain des frappes américaines en Syrie suite à l’utilisation de gaz toxiques contre les civils. Exprimant plutôt la position du régime syrien, le texte du communiqué portait en exergue le verset célèbre du prophète Isaïe parlant du Messie à venir, de cet « Emmanuel/Dieu-avec-Nous » que reprend souvent la liturgie chrétienne : « Écoutez ô nations et tremblez car Dieu est avec nous. » On connaît malheureusement la récupération politique et guerrière que de nombreux royaumes et puissances ont faite de cette notion messianique de l’Emmanuel ; le Gott-mit-Uns des troupes nazies étant un exemple de sinistre mémoire.

En compagnie du patriarche œcuménique de Constantinople et de la plupart des patriarches de l’Orient, le pape François n’a cessé de dénoncer à Bari cette volonté perverse des puissants ainsi que l’insatiable appétit des nantis. Il mit en cause « l’indifférence qui tue… le silence de tant et la complicité de beaucoup ». Il invita les chefs d’Église qui l’entouraient d’être « une voix qui lutte contre l’homicide et l’indifférence ». Certains prélats ne parvenaient pas à se libérer de la confusion, commune en Orient, entre politique et religion. Le patriarche syriaque-orthodoxe Ignace Ephrem II a encore une fois pris fait et cause pour le régime syrien, invitant les réfugiés à rentrer. « Je leur assure que leur retour est sûr », déclara-t-il, reconnaissant que le régime syrien a certes ses défauts, mais qu’il est largement préférable à une domination islamiste.

Mais au même moment au Liban, deux formations politico-confessionnelles, le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL) lavaient leur linge sale, mais « chrétien » tout de même, en public ; s’accusant mutuellement de ne pas respecter l’accord bilatéral de Meerab, qui permit l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République. Le public libanais a pu ainsi apprendre que ces deux formations, imitant le modèle milicien Hezbollah-Amal, avaient décidé de prendre la société chrétienne en otage, se réservant exclusivement sa représentativité dans la vie publique. De plus, l’accord en question aliène, semble-t-il, le domaine public puisqu’il réserve la répartition des fonctions publiques, réservées aux chrétiens de diverses obédiences, au bon vouloir de ces deux formations dont la nature et l’identité ne sont ni cléricales, ni morales, ni spirituelles, et qui représentent uniquement leurs propres membres.

Témoigner pour le Christ ? Témoigner pour des chefferies claniques? Être chrétien ou ne pas être : telle est la question shakespearienne insoluble de cette « présence chrétienne » en Orient que tout le monde souhaite instrumentaliser et exploiter.

acourban@gmail.com

  • Beyrouth

OLJ

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