Le site All4Syria rapporte, le 3 avril, que, suite une initiative de jeunes appartenant à différentes Eglises, regroupés sous le vocable de « Jeunesse de la Résurrection Unifiée », toutes les communautés chrétiennes de Syrie célèbreront cette année les fêtes de Pâques à la même date. Se pliant à la demande qui leur avait été faite, les Eglises catholiques ont reporté la cérémonie de bénédiction des rameaux au dimanche 8 avril, comme les Eglises orthodoxes. Elles célèbreront la fête de Pâques, comme elles également, dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 avril. Ce faisant, les catholiques syriens auront privilégié à leur unité avec les Eglises d’occident, qu’ils ne remettent pas en cause, la communion avec leurs frères des Eglises orientales.
Plusieurs tentatives avaient été menées par le passé pour parvenir à une unification de la date de Pâques, principale fête de l’année liturgique. Les chrétiens d’Orient, toutes Eglises confondues, avaient conscience de la perplexité que provoquait parmi leurs amis musulmans la célébration en ordre dispersé, à des dates séparées de plusieurs semaines parfois, de cet évènement majeur de la foi chrétienne. Certes, tous les musulmans ne célèbrent pas non plus au même moment les deux temps forts annuels que constituent la fête de rupture du jeune (‘aïd al fitr), au terme du mois de ramadan, et la fête du sacrifice (‘aïd al adhâ), qui commémore le geste de confiance et de soumission (islâm) d’Abraham/Ibrahim à la parole de Dieu. Mais, justifiée par l’observation ou la non-observation de la nouvelle lune, une opération rendue parfois impossible par les conditions météorologiques, l’adoption de dates différentes n’a rien à voir avec les divergences doctrinales entre sunnites, chiites ou kharijites. Pour des raisons auxquelles la politique n’est pas toujours étrangère, un pays incapable de déterminer la date d’une fête par ses propres moyens est libre de la célébrer soit le même jour que l’Arabie saoudite, par exemple, soit en même temps que l’Iran… si Riyad et Téhéran, comme le fait est courant, ne sont pas d’accord. Rappelons, pour mettre un terme à cette digression, que le choix ne s’effectue en tout état de cause qu’entre deux jours consécutifs, le calendrier lunaire observé par les musulmans, alors que le calendrier grégorien ou julien suivi par les chrétiens est solaire, ne connaissant que des mois de 29 ou de 30 jours.
Pour en revenir aux chrétiens, c’est au sein du clergé et parmi les évêques et patriarches que la résistance à l’unification de la date de Pâques a toujours rencontré la plus forte résistance en Syrie. Elle était moins justifiée par le souhait de ne pas se laisser imposer une mesure que les autorités politiques encourageaient plus ou moins ouvertement, en imposant par exemple à tous les élèves concernés un enseignement « unifié » de la religion chrétienne durant leur cursus scolaire, que par la volonté des religieux de préserver leur autonomie et d’affirmer leur identité face à leurs homologues des autres Eglises. En revanche, qu’ils soient de rite melkite, syriaque, chaldéen, grec-orthodoxe ou arménien, les fidèles syriens n’ont plus depuis longtemps ces préventions. Cela fait des lustres que, par commodité ou nécessité, ils fréquentent sans réserve ni discrimination l’église la plus proche de leur domicile et, à plus forte raison, celle qui se trouve dans leur village de la Jazireh, du Houran, des environs de Homs ou de Hama…, lorsqu’elle est unique.
»Al Masîh qâm. Haqqan qâm » (Christ est ressucité. Vraiment ressucité)
Pour le créateur et animateur de All4Syria, lui-même membre de la communauté assyrienne et fondateur de l’organisation des « Syriens chrétiens pour la Démocratie », il est évident que le pas franchi cette année, imposé aux différents clergés par les jeunes fidèles de leurs communautés, est directement lié au bouillonnement que connaît aujourd’hui la Syrie. Aussi peu visibles que leurs amis druzes, ismaéliens ou alaouites, au milieu de leurs camarades de la communauté sunnite majoritaire, ils n’en tentent pas moins de contribuer, là où ils le peuvent et à leur manière, à la construction d’une « Syrie nouvelle », différente aux plans politique, religieux, social et culturel, de la Syrie de leurs aînés. Il ne s’agirait donc pas d’une tentation de repli communautaire. Mais, refusant de se laisser conduire là où décident les détenteurs de l’autorité, que celle-ci soit politique ou religieuse, ils tiennent à devenir dans tous les domaines les acteurs de leur destin.
On profitera de l’occasion pour indiquer que, créée au milieu du mois de décembre 2011, l’organisation « Syriens chrétiens pour la Démocratie » – une dénomination qui ne doit rien à l’improvisation lorsqu’elle fait de « Syriens » un nom et de « chrétiens » un simple qualificatif dans le champ du politique – réunit des membres de la plupart des Eglises chrétiennes de Syrie. Elle se fixe pour premier objectif d’agir pour « débarrasser de leur peur les chrétiens de Syrie, combattre la propagande mensongère du régime, inciter la société chrétienne à appuyer le mouvement révolutionnaire et à s’impliquer dans le combat politique, côte à côte avec l’ensemble des forces politiques d’opposition ». Elle entend également « combattre le confessionnalisme, la tyrannie religieuse et la répression sociale, en organisant des campagnes de conscientisation et en promouvant le rôle de la société civile ». Elle veut par ailleurs « contribuer à la rédaction d’une nouvelle Constitution pour la Syrie qui réunisse tous les Syriens dans le cadre de la Loi, sépare la religion de l’Etat, garantisse la totalité des droits fondamentaux et des libertés individuelles des citoyens, protège la liberté de conscience et de culte, et respecte la pluralité ethnique, religieuse, linguistique et culturelle constitutive de la société syrienne ». Elle s’engage enfin à « collaborer avec l’ensemble des forces et personnalités syriennes qui croient dans la réalisation de l’Etat démocratique, laïc, pluraliste, décentralisé et transparent, fondé sur les compétences du citoyen et non sur l’appartenance communautaire et le favoritisme ».
On est loin de la culture de la peur que certains prêlats et certaine religieuse se sont donné pour mission de propager parmi les fidèles, naguère ouvertement et désormais plus sournoisement. Ils servent ainsi à dessein la division confessionnelle sur laquelle, tout le monde le sait, le régime syrien compte plus que tout pour se maintenir « à tout prix », quitte à les attiser en recourant aux bons offices de prédicateurs ou de groupes terroristes libérés de ses prisons.