Consacré à la Syrie, le chat de lemonde.fr daté du 13 avril a laissé perplexes nombre de lecteurs, français et syriens. A commencer par son titre. Ils se demandent comment « le régime syrien sort renforcé de l’épreuve », alors que celle-ci est loin d’être achevée et qu’elle a abouti, via l’adoption de la Résolution 2042 du Conseil de Sécurité pour la première fois uni, à demander à la Syrie de se conformer à un certain nombre de mesures qui prennent le contre-pied exact de ses agissements depuis des mois. Certes, les deux premiers points, le dialogue politique et la fin de la violence, concernent les deux parties : le régime et la contestation. Mais les quatre autres, l’autorisation d’acheminement de l’aide humanitaire, la fin des détentions arbitraires, la liberté d’accès au terrain pour les journalistes et la liberté d’association et de manifestation, constituent autant d’exigences pour les autorités syriennes. Qui plus est, l’adoption d’une première résolution, fruit du travail et des efforts ininterrompus des pays « amis du peuple syrien » pendant plusieurs mois, constitue un pied mis dans la porte. Prise à l’unanimité, avec l’accord des « amis du régime syrien », des amis qui lui ressemblent et sont pour lui un ultime rempart, elle facilitera, sans le rendre pour autant évident, le vote de nouvelles sanctions au cas où, comme il y a tout lieu de le craindre, Damas ne se conformera pas à ce qui lui est demandé.
Ce point litigieux n’est pas le seul à avoir mis les lecteurs mal à l’aise.
Comme on nous le rappelle, « pour manifester en Syrie, il faut une autorisation ». Autrement dit, en appelant les Syriens à descendre dans les rues, le Conseil National Syrien viole délibérément le décret promulgué un an plus tôt, le 21 avril 2011, pour réglementer les manifestations, en se substituant aux règles liberticides de l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis 1963. Sans doute. Mais l’opposition a déjà fait l’expérience que, lorsqu’elle se pliait aux contraintes de ce décret-loi, elle n’obtenait pas satisfaction… puisque le premier à avoir déposé une demande pour la manifestation qu’il souhaitait organiser dans sa ville de Qamichli, dans le gouvernorat de Hassakeh, a été purement et simplement arrêté. L’opposition est prête à se conformer à cette injonction à deux conditions, dont elle perçoit l’incongruité sitôt qu’elle les formule : qu’elle ait une chance d’obtenir satisfaction et, tous les Syriens étant – en principe… – égaux devant la Loi, que les moukhabarat, qui convoquent et organisent les expressions de soutien public au chef de l’Etat, soient eux aussi astreints – pour la forme… – à solliciter l’aval des autorités compétentes.
On nous dit ensuite que « les sanctions économiques prises à l’encontre de la Syrie ne sont pas efficaces ». Cela dépend pour qui. Il est exact que, si elles pénalisent déjà lourdement les simples citoyens, victimes collatérales de mesures destinées à les soulager… de leurs actuels dirigeants, elles ne suffiront pas à contraindre au départ Bachar Al Assad et son entourage. Mais qu’en pense le gouverneur de la Banque Centrale, dont on apprend qu’il a commencé à vendre les réserves d’or de son institution ? Qu’en pensent les hommes d’affaires dont les noms figurent sur la liste des sanctionnés ? Nombre de ceux qui ont été « autorisés » au cours des derniers temps à quitter leur pays ont profité de leurs déplacements pour s’enquérir discrètement, auprès de divers gouvernements européens, des conditions auxquelles ils devraient satisfaire pour obtenir leur retrait des « listes de la honte ».
On nous affirme ensuite que « l’armée est restée unie et fidèle au régime ». Globalement parlant, c’est exact. Mais le prix à payer pour cette union apparente et cette fidélité relative est lourd (cf. Stéphane Valter, « Rivalités et complémentarités au sein des forces armées : le facteur confessionnel en Syrie »). Il impose à l’Etat-major de laisser à l’écart de la répression un certain nombre d’unités dans lesquelles il n’a pas une confiance absolue. A la différence de la 4ème division, des Forces spéciales et de la Garde Républicaine qui sont majoritairement composées d’alaouites, elles comportent en effet dans leur rang un pourcentage de recrues sunnites correspondant à celui de cette communauté – 70 % environ – dans l’ensemble de la population. Compte-tenu de cet élément de fragilité, ces unités ne sont donc engagées qu’avec circonspection. Mais cette prudence n’est parvenue à prévenir ni les mutineries, ni les désertions, qui pourraient s’accélérer dès que l’Armée Syrienne Libre sera en mesure d’obtenir les matériels et les armes dont elle manque actuellement et de payer la solde des déserteurs qui la rejoignent.
On nous explique ensuite que les hauts responsables militaires et politiques n’ont pas fait défection, parce qu’ils sont « nationalistes… quand cela intéresse » et qu’ils « ne veulent pas voir la Syrie tomber sous l’influence de puissances étrangères » arabes ou autres. Certes, comme la grande majorité des Syriens, les militaires sont nationalistes. Mais, malgré le maintien de l’état de guerre, ils n’ont pas bougé le petit doigt contre Israël depuis les accords de désengagement de 1974. Plus soucieux de rester en place que de se lancer dans de nouvelles aventures, Hafez Al Assad avait évidemment d’autres chats à fouetter. Il a préféré « oublier les Israéliens », sauf dans ses discours, pour pouvoir tranquillement « mater les Syriens ». Ses militaires « nationalistes » n’ont pas vraiment insisté non plus, comme si les harangues de Hafez jadis, et celles de Bachar aujourd’hui, sur les thèmes bien connus de la « résistance et (de) l’obstruction », suffisaient à les combler et les dispensaient de toute action. Bien que « nationalistes », des militaires syriens ont participé au Koweït, en 1991, à l’opération Tempête du Désert contre un autre pays arabe, l’Irak de Saddam Huseïn. Alors que l’Union Soviétique traversait des jours incertains, il convenait de gagner la faveur des Américains, de ne pas rester en marge des processus de paix qui devaient démarrer à Madrid… et de glaner de nouveaux subsides des pays du Golfe, dans le cadre des « Pays de la Déclaration de Damas ». Qu’ils ne veuillent pas tomber aujourd’hui sous leur « influence », est tout à leur honneur. Mais celui-ci ne semble pas plus affecté aujourd’hui par le recours aux milliards de l’Iran, qu’il ne l’a été jadis, entre 1973 et 1987, par l’impôt révolutionnaire en faveur du dernier « pays de la ligne de front ». Réclamé avec plus ou moins de courtoisie de ces mêmes pays du Golfe, cet impôt a autant servi à financer la construction de villas et palais dans certains villages de la montagne alaouite qu’à acquérir les équipements dont l’armée syrienne avait alors besoin.
On justifie ensuite la fidélité au clan des Al Assad des responsables militaires alaouites par « la crainte que l’opposition sunnite, au cas où elle l’emporterait, cherche à se débarrasser d’eux ». Malheureusement, une telle issue n’est plus aujourd’hui improbable. Mais elle ne faisait pas partie du scénario initial. Les militaires sont à ce niveau les seuls responsables de leur choix. On ne doit pas oublier que, pour les convaincre de se ranger du côté du peuple et de ne pas s’abaisser à être de simples « protecteurs du régime », les manifestants ont défilé, le vendredi 27 mai 2011, en exprimant leur respect pour ceux qu’on désigne en Syrie sous l’expression de « houmât al diyâr » (protecteurs des maisons). Et on notera, en tout état de cause, que si le Conseil National Syrien s’est engagé à traduire en justice ceux qui ont du sang sur les mains, ce sera devant une juridiction libre, juste et indépendante.
On nous indique ensuite que « la peur n’est pas la raison majeure pour laquelle les cadres du régime ne font pas défection ». Il est certain que les privilèges et le nationalisme, comme l’appartenance à la communauté alaouite, ne sont pas des facteurs négligeables. Mais, outre que tous les cadres du régime ne sont pas alaouites, la peur reste en Syrie l’un des meilleurs ciments du régime. N’est-ce pas « un exemple » que le régime a voulu donner aux candidats à la désertion, civils et militaires, en supprimant plus d’une dizaine de membres de la famille du colonel Huseïn Harmouch, qui n’avaient rien à voir dans son abandon de l’armée et sa fuite en Turquie ? N’est-ce pas pour donner à réfléchir à ceux qui auraient été tentés de coopérer avec la Commission d’enquête sur le meurtre de Rafiq Al Hariri, qu’il avait auparavant « suicidé » ou conduit au suicide le général Ghazi Kanaan, en 2005, et l’un de ses frères, l’année suivante ? N’est-ce par peur des représailles du régime contre les leurs que l’ancien vice-président de la République Abdel-Halim Khaddam, en 2005, et le général Moustapha Ahmed Al Cheykh, fin 2011, n’ont annoncé leur défection qu’une fois réfugiés à l’extérieur, en compagnie de la totalité de leurs proches ? Pour en revenir aux militaires, on signalera que, faute de pouvoir déserter physiquement, un certain nombre d’entre eux collaborent, depuis leurs unités, avec les contestataires qu’ils informent, quand ils le peuvent, des intentions et des mouvements des forces d’intervention.
On nous déclare ensuite que, pour la population, « l’opposition beaucoup trop divisée ne représente pas une alternative crédible ». C’est possible. Mais, d’une part, il conviendrait de s’entendre sur ce qu’on met – ou ceux qu’on met – sous les terme de population et d’opposition, et, d’autre part, il faudra bien un jour admettre que, pour ceux qui manifestent dans les rues pour chasser le pouvoir en place, la question est moins de savoir s’il existe aujourd’hui une alternative à Bachar Al Assad que de se débarrasser au plus tôt d’un régime jadis redouté et désormais honni. D’autant que, si aucune alternative crédible n’existe pour le moment en Syrie, où les détenteurs du pouvoir se sont employés durant des décennies à éradiquer tout concurrent potentiel, et où les services de sécurité s’évertuent depuis le début de la révolution à supprimer les meneurs les plus charismatiques, le pays ne manque ni de gens compétents, ni d’hommes d’expérience. Comme le dirigeant kurde Mechaal Tammo, malheureusement supprimé par des nervis de l’ex-PKK, exécuteur des basses œuvres du régime dans la Jazireh syrienne comme le Parti Populaire Syrien l’est au Liban, pour sanctionner son adhésion au CNS et mettre en garde les inconscients.
On nous affirme ensuite que « l’opposition extérieure, c’est-à-dire le Conseil National Syrien, est peu crédible en Syrie parce qu’il s’agit d’exilés… ayant perdu tout contact avec la réalité du terrain et la population ». Il ne suffit pas de répéter ce qu’affirme la Coordination Nationale pour le Changement Démocratique, créée en Syrie avec l’aval du régime… qui escomptait en faire l’opposition de sa majesté, pour que cela devienne une réalité. Le CNS englobe parmi ses composantes la Déclaration de Damas, dont personne n’a jamais entendu dire qu’elle avait été créée à l’extérieur, ainsi que la plupart des unions de coordinations de l’intérieur. Faut-il rappeler par ailleurs que les contestataires, qui représentent au moins « une partie » de la population, ont manifesté dans les rues de nombreuses villes syriennes, le 7 octobre 2011, sous le slogan « le Conseil National Syrien nous représente » ? Depuis lors, en dépit des reproches formulés par eux-mêmes à l’égard du CNS, et malgré les incompréhensions provoquées par les errements, le manque de coordination et les hésitations de son bureau exécutif, ces mêmes contestataires ne sont pas encore revenus sur cette reconnaissance.
On nous raconte ensuite que « le fait de s’afficher avec Hillary Clinton, Alain Juppé et les monarques saoudien et qatari… discrédite [les dirigeants du CNS]aux yeux de la population syrienne qui est très nationaliste et qui les considère comme des traitres ». On admettra sans peine que telle est bien l’opinion des partisans du régime, dont le nationalisme panaché d’intérêt et à géométrie variable s’accommode et se suffit des rodomontades du chef de l’Etat. Mais, avant de faire de la surenchère et de parler au nom de la population dans son ensemble, il conviendrait de s’assurer des sentiments des autres. Tout nationalistes qu’ils soient eux aussi, ils n’ont pas compris comment leurs dirigeants, d’une patience sans limite vis-à-vis des provocations israéliennes, pouvaient ordonner de tirer sur eux à balles réelles, alors qu’ils contestaient pacifiquement la légitimité du régime. Bien que restant profondément nationalistes, ils en ont aujourd’hui « ras le bol » d’être les victimes de la politique de la terre brûlée mise en œuvre par un pouvoir dont l’unique motivation est de rester en place « à tout prix », même – c’est le secrétaire régional (syrien) adjoint du Parti Baath, Mohammed Saïd Bakhitan, qui l’a dit – au détriment de la vie du tiers de la population. Quand le bateau coule et que les vies sont en danger, les naufragés demandent-ils à qui appartient la main qui se tend pour les sauver ?
On nous inquiète ensuite en prétendant que les « Comités de coordination locaux qui appellent à une intervention extérieure… sont souvent influencés par les islamistes ». Cette affirmation n’a aucun fondement. Il existe des islamistes qui, par nationalisme précisément, refusent toute intervention de l’étranger. Et il existe aussi des tas de révolutionnaires syriens résolument laïcs, quand ce n’est pas athées déclarés, qui appellent eux aussi aujourd’hui à une intervention. S’agissant des « Comités locaux non islamistes… favorables à des manifestations pacifiques, voire un dialogue avec le régime », deux remarques s’imposent. On rappellera d’abord que, dès le premier instant, la contestation s’est voulue partout silmiyeh, silmiyeh (pacifique, pacifique), et que, avant même que des vibrions installés à l’extérieur aient entrepris de s’ériger en donneurs de leçons, devançant les plans du régime, elle avait prohibé et la violence, et le confessionnalisme, et le recours à l’étranger. Si elle en appelle à présent à une intervention extérieure, qui ne signifie pas la présence de soldats étrangers sur le territoire syrien, c’est précisément pour que la société toute entière ne tombe pas dans la violence, et qu’elle échappe au piège du confessionnalisme vers lequel le régime cherche à l’entraîner. On s’étonnera d’autre part de l’existence, jusqu’à ce jour, de Comités de coordination « favorables au dialogue avec le régime », alors que la totalité des comités ont exprimé, dès le vendredi 8 juillet, baptisé par consensus « Vendredi du non au dialogue », leur refus de discussions avec le régime qui porteraient sur autre chose que l’organisation de la transmission du pouvoir.
On nous indique ensuite que, bien que frappée par des sanctions, « la Syrie a l’habitude de vivre sur des ressources propres [et qu’elle]est autosuffisante d’un point de vue alimentaire ». Disons qu’elle l’a été et qu’elle peine à le redevenir. Depuis 2008, au lieu d’exporter du blé, nourriture de base des Syriens sous forme de pain ou de bourghoul, elle en importe. Ce phénomène imputable à une sècheresse persistante a été aggravé au départ par l’impéritie du gouvernement. Alors que l’Entreprise Publique de Commercialisation des grains a pour mission d’acheter aux agriculteurs leur récolte annuelle à un prix incitatif, souvent deux fois supérieur au cours du marché des pays environnants, à la fois pour encourager les paysans à produire cette céréale et à les dissuader de vendre eux-mêmes illégalement leur récolte à l’extérieur, le ministre de l’Economie a imaginé, en 2007, profiter d’un cours mondial en forte hausse pour écouler la plus grande partie du stock stratégique en réalisant des bénéfices. Les réserves, qui couvraient 5 années de consommation, sont passées à moins d’un an. Manque de chance, l’année suivante a marqué le début d’une sècheresse exceptionnelle qui a duré plusieurs années… Ses conséquences continuent de se faire sentir et, faute d’avoir pu reconstituer ses stocks, le pays reste tributaire des aléas climatiques.
On nous indique aussi qu’elle est « autosuffisante du point de vue énergétique ». On aimerait en être persuadé. Si c’est du pétrole qu’il s’agit, elle le doit davantage aux livraisons de l’Iran qu’à sa propre production. Il s’agit donc d’une autosuffisance des plus artificielles. Elle est d’ailleurs rendue aléatoire par les sanctions prises dans ce domaine. Depuis des années, les Syriens font l’amère expérience des limites de leur autosuffisance dans le secteur de l’électricité, eux qui sont condamnés à vivre sans courant ni lumière plusieurs heures par jour et par nuit, y compris sous la canicule de l’été et durant les frimas de l’hiver, l’un et l’autre fort rudes dans ce pays au climat continental. On ne s’attardera pas sur la question de l’eau, dont l’interruption est elle aussi habituelle, parfois plusieurs jours par semaine dans certains villages éloignés de la Ghouta et d’ailleurs.
On nous rassure en affirmant ensuite qu’on « n’a pas en face de nous un génocide ». Si « 10 000 morts, c’est beaucoup », cela « ne suffira pas à déclencher une opération militaire », puisque, en dépit des 20 000 morts de Hama, en 1982, « le régime ne s’est pas écroulé » et « Hafez Al Assad a réussi à transmettre le pouvoir à son fils Bachar ». C’est oublier que les conditions sont aujourd’hui fort différentes. Les moyens modernes de communication et l’ingéniosité jointe au courage des protestataires permettent au monde entier de suivre, heure par heure ou presque, le bilan de la répression. Par ailleurs, s’agissant du nombre des victimes, ce n’est pas ainsi que beaucoup de Syriens comptent. Ils ajoutent aux 20 000 morts de la reconquête de Hama, les 17 à 18 000 « disparus » emmenés un jour par les moukhabarat et jamais réapparus, dont les familles restent à ce jour sans la moindre nouvelle. Or, il y a maintenant en Syrie des dizaines de milliers de disparus… près de 65 000 selon le Strategic Research and Communication Centre. Il n’est effectivement pas sûr que cela « suffise » pour justifier une intervention. Au moins, cela donne une idée plus exacte de la folie meurtrière des forces de sécurité et de ceux qui les commandent.
On nous rappelle aussi que « le régime syrien négocie toujours en position de force » et qu’il « a d’abord repris la main militairement pour, ensuite, négocier à ses propres conditions ». Autrement dit, il ne s’agit pas pour lui de négocier mais d’imposer ses volontés à ceux qu’il aura forcés à rentrer chez eux et à se taire, ce qui est différent. Il n’est donc pas étonnant qu’une « large partie de l’opposition refuse » de siéger avec lui. Elle s’est résolue à le faire en raison du nombre des morts, et faute d’avoir entendu le régime dire à temps qu’il était prêt à accorder aux Syriens les demandes dont, du bout des lèvres, Bachar Al Assad avait pourtant reconnu la « légitimité ». Pour autant, il est doublement erroné d’affirmer que « l’opposition extérieure, le Conseil National Syrien, refuse toute négociation parce qu’elle n’a pas d’autre stratégie que la confrontation ». Il serait plus juste, d’abord, de rappeler que ce ne sont pas les contestataires qui ont recherché la confrontation, mais le régime. Ils ne sont pas sortis avec des armes pour casser et détruire, mais avec des slogans et des chants pour réclamer la liberté. Et ils ont immédiatement trouvé en face d’eux des militaires et des moukhabarat ayant l’ordre de tirer pour tuer, bientôt rejoints par des chabbiha dénués de tout sens humain. Il conviendrait de se rappeler, ensuite, que ce n’est pas l’opposition extérieure, et encore moins le CNS… qui n’existait pas encore, qui a défilé dans les rues des villes de Syrie, le 1er juillet 2011 en criant à Bachar Al Assad « Dégage ! », puis qui a manifesté, le 8 juillet, dans les mêmes rues, sous le slogan « Non au dialogue ». Comment reprocher aux manifestants de refuser la négociation, quand, on le reconnaît, « le régime n’est pas prêt à faire des concessions » ?
On nous apprend ensuite que « nous sommes dans une guerre médiatique contre le régime syrien ». Celui-ci serait donc la cible et la victime ? N’est-ce pas ignorer, volontairement ou pas, qu’un accord avait été conclu, dès janvier 2011, entre la Syrie et le Qatar, aux termes duquel les deux pays s’engageaient, en cas de troubles chez l’autre, à observer la plus grande discrétion dans leur couverture médiatique ? C’est ce qui explique pourquoi, durant plusieurs semaines, « Al Jazira » s’est abstenue, au grand dam des contestataires, de couvrir ce qui se passait en Syrie. N’est-ce pas ignorer les campagnes de discrédit organisés au même moment par les services de renseignements syriens contre tous ceux qui appelaient, par Internet, à descendre dans les rues pour réclamer justice et dignité ? Ils ne pouvaient évidemment qu’être « des agents des Israéliens et des Américains ». N’est-ce pas ignorer la mise en place et le financement, en Syrie et à l’étranger, de réseaux qui, prétendant contribuer à la « ré-information », jouent sur l’ignorance de l’histoire et les peurs habituelles de certains milieux, et ne reculent devant aucun moyen pour relayer la propagande officielle syrienne ? Si guerre il y a, encore une fois c’est le régime de Bachar Al Assad qui en est à l’origine. Il connaît le moyen d’y mettre fin, mais cela ne l’intéresse pas : laisser entrer en Syrie, sans limitation et sans intermédiaires en bure ou en treillis, les journalistes qui aspirent à faire honnêtement leur métier.
On nous déclare enfin que « si le plan Annan échoue, on retourne dans la spirale de la violence jusqu’à ce que le régime reprenne complètement le territoire ». Encore faudrait-il, pour y « retourner », que la spirale de la violence, déclenchée par le régime et jusqu’à ce jour entretenue par lui, se soit un jour arrêtée… ce qui, en dépit de l’accord donné à la mise en œuvre de ce plan, est loin d’être réalisé. Sans qu’on s’en étonne, puisqu’il est dans les habitudes du régime syrien, qui l’avait précédemment démontré avec les contrôleurs de la Ligue Arabe, de promettre sans tenir. Quand à reprendre complètement le territoire, certes, le régime syrien en a les moyens militaires. Mais il n’a certainement plus les moyens politiques de ramener la paix et la stabilité, et de gagner ou de regagner le cœur de sa population.
http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/04/20/non-le-regime-syrien-ne-sort-pas-renforce-de-lepreuve/