Moscou fait pression sur son allié iranien dans les négociations nucléaires

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OFFICIELLEMENT, le blocage dans les négociations entre l’Iran et les grandes puissances pour un retour à l’accord nucléaire de 2015, dont les États-Unis de Donald Trump se sont retirés en 2018, concerne les gardiens de la révolution. Avant de lever les sanctions contre la République islamique, Washington refuse de céder à l’exigence de Téhéran qui réclame que cette entité aux ramifications tentaculaires – dans l’économie ou pour déstabiliser des pays arabes voisins – soit sortie de la liste américaine des organisations terroristes. Mais en marge de ces négociations qui durent depuis plus d’un an à Vienne, et alors qu’un accord était sur le point d’être conclu fin février, la guerre russe en Ukraine a soudainement brouillé les cartes.

« Au début de leur guerre, confie un connaisseur des pourparlers nucléaires, les Russes ont demandé aux Iraniens de patienter un peu. » Moscou ne voulait pas qu’après un accord, le pétrole et le gaz iranien remplacent leurs ressources énergétiques sur le marché européen. L’Iran dispose de 180 millions de barils flottants et offshore stockés, prêts à être vendus. La demande russe a d’abord été mal perçue par Téhéran, qui a dépêché mi-mars à Moscou son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian. « D’autant plus mal que la population iranienne, déjà peu favorable historiquement à la Russie, l’est encore moins depuis l’invasion de l’Ukraine » , ajoute notre source, familière de l’Iran.
Auprès de ses interlocuteurs russes, Abdollahian a martelé que l’accord nucléaire dont Téhéran a besoin pour sauver son économie sera « bénéfique pour vous car on pourra vous acheter de l’armement et régler ce qu’on vous doit ». La banque centrale iranienne a calculé qu’avec un accord sur le nucléaire, Téhéran empocherait plus de 300 milliards de dollars de recettes d’exportation pétrolières – boostées par un baril à plus de 100 dollars – d’ici fin 2024, l’échéance du mandat de Joe Biden aux États-Unis. Difficile de s’en passer. Pas vraiment rassuré par les propos du ministre iranien des Affaires étrangères, Moscou a doublé son appel à la patience, cette fois directement auprès du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, le vrai décideur en Iran, ainsi que d’Ali Shamkhani le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, l’enceinte où se prennent les décisions stratégiques.
Un accord déjà rédigé
« Khamenei a une vision stratégique de la relation avec la Russie selon laquelle Téhéran a besoin d’un allié fiable, et si l’Iran n’est plus un allié fiable à l’égard de Moscou, ses positions en pâtiront notamment en Syrie, analyse la source. Donc le guide prône la patience. » Mais jusqu’à quand peut-il attendre ? « Les Iraniens peuvent se fâcher à demi-mot avec les Russes sans aller jusqu’au clash », explique Clément Therme, spécialiste de l’Iran. « Les Russes, ajoute-t-il, savent exploiter l’hostilité institutionnelle de Téhéran à l’égard des États-Unis. »
Au-delà de la question des gardiens de la révolution, le sort de l’accord nucléaire dépendrait aussi de la situation en Ukraine et de la patience iranienne vis-à-vis de Moscou et américaine vis-à-vis de Téhéran. À un moment donné, Washington pourrait ruer dans les brancards et cesser les négociations, menées en coulisses à Oman avec l’aide également du Qatar, selon nos informations. L’émir Tamim Ben Hamad al-Thani était jeudi en visite à Téhéran. Un dernier élément pourrait cependant accélérer les choses. « Le but initial russe était qu’il n’y ait pas de sanctions contre leurs ressources énergétiques avant qu’une solution rapide apparaisse en Ukraine. Mais avec la décision européenne d’adopter un embargo sur le gaz et le pétrole russes, l’exigence russe auprès des Iraniens tombe », veut croire l’expert du nucléaire, qui s’attend à une reprise prochaine des négociations pour finaliser un accord, déjà rédigé sur 27 pages avec 154 jours de mise en place.
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