EXCLUSIF – Dans un entretien accordé au Figaro, le secrétaire d’État américain a défendu le bilan de son Administration sur les affaires étrangères et, plus largement, sur la scène internationale.
Par Laure Mandeville
LE FIGARO. – Votre Administration conteste le résultat de l’élection présidentielle. La démocratie américaine peut-elle survivre à une telle crise politique?
Mike POMPEO. –Le processus de transition fonctionnera et honorera nos obligations intérieures comme extérieures. Notre démocratie exige de nous que nous nous assurions que nos élections sont libres et justes, et que le processus de décompte des votes a été correctement mené. Les recours légaux que le président a lancés ont du sens, car ils ne font que renforcer l’importance que nous accordons à l’état de droit et à nos institutions. Nous avons un cadre constitutionnel. J’ai toute confiance dans le fait que les prochains jours et les prochaines semaines montreront à quel point nous sommes attachés au cadre constitutionnel de cette élection.
Vous avez remis en cause la plupart des postulats traditionnels de la diplomatie américaine. Quels enseignements les futures Administrations devraient-elles tirer de votre expérience?
Trois choses. La première, c’est que l’approche du président Trump a consisté à regarder les faits et à les prendre en compte. Nous nous sommes débarrassés de certaines «amabilités» qui avaient cours pour privilégier une politique de résultats. Nous avons aussi passé pas mal de temps à définir ce qui est le plus important pour assurer la sécurité du peuple américain. Nous avons aussi rejeté l’idée selon laquelle l’Occident est en repli, car nous ne croyons pas à ce postulat. Nous pensons que l’Occident finira par l’emporter, et que notre système de valeurs doit être défendu. C’est pourquoi nous avons travaillé à contrer les actions du Parti communiste chinois à travers le monde, y compris en France.
Nous avons aussi combattu la menace du terrorisme islamiste. Toutes ces menaces ne posent pas seulement des problèmes de sécurité, mais visent à affaiblir les valeurs occidentales, qui ont tant fait pour la paix et la prospérité globale. Quand l’Amérique est forte – ce que le président appelle «L’Amérique d’abord» – cela augmente la sécurité de tous. On nous a accusés de nous retirer du monde. Je pense que c’est exactement le contraire. En adoptant une position conservatrice et réaliste, en accord avec les principes des Pères fondateurs, ces fameux principes loués par Tocqueville, je pense que nous avons servi les intérêts plus larges du monde.
La pandémie pourrait-elle donner aux Chinois des arguments économiques pour opérer un retour en Europe, et affaiblir votre effort face à la Chine?
Parlons d’abord des questions tactiques, et de l’émergence du virus venu de Wuhan. C’est un symptôme de ce qu’est le régime autoritaire chinois et penser que le Parti communiste chinois va bénéficier de cet état de fait, n’est pas juste. Les gens ne sont pas dupes du fait que toutes nos vies ont été impactées par ce virus, qu’il s’agisse des morts ou du confinement auquel nous sommes tous forcés.
Mais eux sont sortis du confinement alors que nous nous débattons toujours!
N’en soyez pas si sûre! Au Kansas on vous dirait que c’est une sacrée fable! Je suis convaincu du fait qu’aussi bien en matière de vaccins et de thérapies face au virus, que sur le plan économique, l’Occident va rebondir. Cela prendra un peu de temps, mais on va y arriver. En ce qui concerne la coalition que nous sommes en train de mettre en place, le président Trump avait identifié le danger chinois dès sa campagne électorale, en 2015-2016. Cela nous a pris un peu de temps pour mettre en place une approche structurelle, d’abord parce qu’il a fallu faire acte de persuasion à l’intérieur du pays, où de nombreux intérêts économiques bénéficiaient de la relation avec la Chine.
Puis, on a porté notre vision à l’extérieur, que ce soit à l’intérieur du Quad, cette union de quatre États (États-Unis, Japon, Inde et Australie), que nous avons mis sur pied face la Chine, ou dans la relation entre les États-Unis et l’Europe. Nous sommes dans le sens de l’Histoire dans cette affaire, et c’est la raison pour laquelle nous devons travailler à convaincre nos opinions et nos alliés, même si cela peut avoir un coût dans le court terme et même si certains ont le sentiment que miser sur la Chine est une bonne option. Car au bout du compte, si nous renonçons, nous nous retrouverons dans la position de colonies et non de partenaires face au régime autoritaire chinois. Il faut reconnaître que le Parti communiste chinois nous a bien aidés à défendre cette position. Pas seulement à cause du virus.
Regardez l’exemple du Vietnam, qui cherche à exploiter ses ressources dans sa zone économique exclusive. Il n’y a aucune controverse sur la définition de cette zone, mais la Chine elle, la conteste. Prenez le cas de l’Australie, qui a pris une position claire (pour défendre son indépendance, NDLR). Les Chinois veulent maintenant lui imposer un coût économique. Nous devons donc nous unir pour faire respecter le droit, et c’est la même chose en France. Les Chinois opèrent à l’intérieur de nos frontières pour gagner en influence, à travers les Instituts Confucius notamment. Nous avons dû fermer un Consulat qui menait des opérations d’espionnage. Je suis persuadé que tous ceux qui ont à cœur notre ordre international et la souveraineté de nos États respectifs, travailleront ensemble pour les garantir.
Vous partez pour le Moyen-Orient, où vous avez utilisé la menace que représente l’Iran pour faciliter un rapprochement entre Israël et les pays arabes. L’Arabie pourrait-elle rejoindre ces accords à son tour?
Qui sera le prochain pays à rejoindre les accords d’Abraham, demain, dans une semaine ou six mois, relève des décisions souveraines de ces pays, qui dépendent de situations politiques complexes. Ce dont je suis sûr, c’est que la direction vers la paix et la stabilité, qui implique la reconnaissance de l’État d’Israël comme la patrie des Juifs, va perdurer. On n’en est plus au point où les Palestiniens peuvent empêcher la paix et la stabilité d’augmenter dans la région. Je suis fier du travail que nous avons fait dans cette direction car je pense qu’il permettra aussi à terme une situation meilleure pour les Palestiniens eux-mêmes.
Nous avons fait une proposition très généreuse pour la paix au Moyen Orient mais la direction palestinienne a refusé notre vision. Je pense que le peuple palestinien voudrait prendre ce chemin, et j’espère que cette conversation finira par s’engager afin de résoudre cette question qui a tourmenté le Moyen-Orient depuis des décennies. On a passé un cap. On a maintenant une relation commerciale et de sécurité qui fait sens pour les pays arabes et Israël et pour toute la région, et j’espère qu’un jour, l’Iran rejoindra les accords d’Abraham. La principale ligne qui a guidé notre Administration, c’est que nous avons déterminé que l’Iran était la principale cause d’instabilité au Moyen Orient, et que le conflit principal qui créait des problèmes et produisait des terroristes, qu’il s’agisse du Hezbollah au Liban ou des milices chiites en Irak, ou de l’empreinte iranienne en Syrie, n’était pas du tout dû aux Palestiniens mais aux Ayatollahs.
Nous avons donc fait en sorte qu’ils aient aussi peu de dollars et de ressources que possible pour construire leur programme nucléaire. Nous continuons à pousser. Dans les prochaines semaines, il y a encore du travail pour réduire leur capacité de tourmenter le Moyen-Orient. On espère qu’un jour, les Iraniens auront enfin ce qu’ils méritent: des leaders qui agissent dans l’intérêt de l’Iran, plutôt que dans celui de la kleptocratie qui se cache derrière l’apparence d’une théocratie. Ce serait formidable de voir l’ensemble du Moyen-Orient reconnaître le droit d’exister d’Israël.
Avez-vous réussi à convaincre les Français, qu’il serait une mauvaise idée de remettre sur l’ouvrage l’accord nucléaire, comme le souhaite Joe Biden?
Nous avons certainement discuté du futur de ce que devrait être un nouvel accord. Pour notre Administration, la question est moins celle du document lui-même que la question de ce qu’il faudrait exiger de l’Iran dans ce cas. C’est ce dont j’ai parlé avec le président Macron et le ministre Le Drian. Quels seraient les comportements de l’Iran que nous jugerions acceptables et qui nous permettraient d’adopter à son égard une nouvelle attitude d’ouverture? Ce qui nous intéresse ce sont les résultats. Les attentes de la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne sont très compatibles avec celles de l’Amérique. On peut être en désaccord sur les modalités. Mais ce dont nous avons convenu c’est que la situation de 2020 est fondamentalement différente de celle de 2015, quand l’accord nucléaire avait été conclu.
Le président Macron est d’accord là-dessus?
Oui, il est d’accord sur le fait qu’on n’est plus dans la même situation.
La Turquie, membre de l’Otan se retrouve aujourd’hui en conflit ouvert avec plusieurs pays membres dont la France et la Grèce. A-t-elle toujours sa place dans l’Otan?
Le président Macron et moi avons passé beaucoup de temps à discuter les actions récentes de la Turquie et nous sommes tombés d’accord pour dire qu’elles étaient très agressives ; qu’il s’agisse de son soutien à l’Azerbaïdjan ou du fait qu’elle avait implanté des forces syriennes dans la région également. Nous avons aussi évoqué son action en Libye, où ils ont aussi inséré des forces de pays tiers, ou encore son action dans la Méditerranée orientale, et je pourrais continuer cette liste. La position américaine est que l’internationalisation de ces conflits est nuisible et fait du tort à tous les pays concernés.
Nous avons donc demandé à tous les pays de cesser d’intervenir en Libye, qu’il s’agisse des Russes, des Turcs, ou d’autres. Même chose en Azerbaïdjan. Nous sommes coprésidents du groupe de Minsk, avec la France et la Russie pour le conflit sur le Haut-Karabakh. C’est dans ce cadre qu’il faut régler les choses, et l’utilisation accrue des capacités militaires turques nous inquiète. Nous avons exprimé notre préoccupation en privé et publiquement. L’Europe et les États-Unis doivent travailler ensemble à convaincre Erdogan que de telles actions ne sont pas dans l’intérêt de son peuple.
Je suis d’accord avec lui .
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