Riad Salamé est accusé de s’être enrichi par la corruption, même pendant l’aggravation de la crise qui frappe son pays.
Le début de la retraite de Riad Salamé aura été rapidement troublé. Moins de deux semaines après avoir quitté ses fonctions à la tête de la Banque du Liban, l’ancien gouverneur a été sanctionné, jeudi 10 août, par les Etats-Unis, ainsi que par le Canada et le Royaume-Uni. Aux yeux du département américain au Trésor, ses « actions corrompues et illégales ont contribué à l’effondrement de l’Etat de droit au Liban ».
Washington accuse l’ex-grand argentier, âgé de 73 ans et qui fut en poste pendant trente ans, d’avoir « abusé de sa position de pouvoir (…) pour s’enrichir et enrichir ses associés en acheminant des centaines de millions de dollars par le biais de sociétés-écrans en couches pour investir dans l’immobilier européen. » Il lui est aussi reproché d’avoir « placé ses intérêts et ambitions financiers personnels au-dessus de ceux des personnes qu’il servait, même quand la crise libanaise s’est aggravée. » Le Liban est en plein effondrement économique depuis 2019.
Les mesures prises par les Etats-Unis et leurs partenaires signifient notamment que les avoirs de M. Salamé – ainsi que ceux de ses proches également mis sur liste noire – sont gelés dans ces pays. L’intéressé a indiqué à l’agence Reuters qu’il entendait « contester » la décision. L’administration américaine affirme que les « sanctions coordonnées » viennent « compléter » les enquêtes en cours, en Europe et au Liban. Deux mandats d’arrêt ont été émis en mai par les justices française et allemande. Se présentant comme un « bouc émissaire », l’ancien gouverneur a toujours réfuté les accusations de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent.
Avertissement aux dirigeants politiques
M. Salamé a longtemps été considéré comme un fidèle partenaire des Etats-Unis. A la tête de la banque centrale, il avait accès à des données sensibles, y compris celles pouvant concerner des financiers du Hezbollah, que traque Washington. Le fait qu’il ait pu achever son ultime mandat avait été perçu par des observateurs comme le signe que les Etats-Unis avaient souhaité ménager leur ancien allié. « Il était toutefois notoire que les Américains ne soutenaient plus Riad Salamé », tempère un haut responsable libanais, avant d’ironiser : « Il leur aura fallu plus de temps pour arriver aux conclusions des enquêteurs européens. »
Les sanctions américaines sont « certes tardives, mais elles sont loin d’être anodines, estime l’avocat Karim Daher, actif dans la lutte contre la corruption. Elles vont compliquer toute transaction sur d’autres places financières. Les banques qui opèrent en dollars ne veulent pas prendre de risque de traiter avec une personne fichée par le Trésor américain. Ces sanctions sont aussi le signe que l’étau se resserre à l’international autour de Riad Salamé. »
Le « lâchage » américain contraste toutefois avec l’influence que garde l’ancien gouverneur au Liban. Son départ de la Banque du Liban, le 31 juillet, a donné lieu à des scènes épiques : il était entouré d’employés en pleurs et de musiciens chargés de célébrer ses louanges – bien qu’il soit considéré par toute une partie des Libanais comme l’un des principaux responsables de la faillite.
L’annonce de Washington sonne aussi au Liban comme un avertissement adressé aux dirigeants politiques en lutte pour le partage du pouvoir. Diverses institutions sont paralysées, et aucun successeur à M. Salamé n’a pu être nommé. Propulsé à la tête de la Banque du Liban par intérim, Wassim Mansouri a assuré vouloir ouvrir une nouvelle page, notamment en prévoyant d’imposer des restrictions drastiques sur les prêts accordés au gouvernement.