L’acte d’accusation publié par le juge d’instruction concernant le double attentat d’août 2013 qui avait visé les deux mosquées à Tripoli a provoqué un véritable séisme dans les milieux judiciaires.
Et pour cause : ce sont deux officiers syriens de haut rang qui sont pointés du doigt et accusés d’avoir commandité les attentats. Il s’agit de Mohammad Ali et de Nasser Jouban, le premier étant responsable au sein du service de renseignements de Palestine, le second est chef du service de renseignements de la sécurité politique. Le juge d’instruction a ordonné en parallèle l’ouverture d’une enquête permanente visant à dévoiler l’identité des autres officiers syriens qui seraient également impliqués dans ce crime pour les poursuivre en justice.
Cette affaire a également ébranlé le cours de la vie politique, empêtrée dans un marasme devenu endémique du fait du conflit qui divise depuis des mois la classe politique autour de l’élection présidentielle. À cela vient s’ajouter la crise régionale qui perdure sur fond de bras de fer irano-saoudien et les alignements libanais conséquents sur l’un ou l’autre axe.
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Alors que plusieurs responsables politiques se sont abstenus de commenter la décision judiciaire prise dans l’affaire des attentats de Tripoli, le ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi, a réagi de manière virulente en réclamant le renvoi de l’ambassadeur syrien au Liban, une initiative qui n’a pas manqué d’embarrasser plusieurs personnalités politiques sachant que M. Rifi a adressé une requête en ce sens au Conseil des ministres qui doit se réunir dans les prochains jours.
Il reste à savoir si le gouvernement va évoquer cette affaire ou s’il ne va pas plutôt décider d’éluder une question aussi litigieuse qui viendrait s’ajouter à la pléthore de dossiers en suspens qui divisent déjà l’exécutif. Et, dans le cas de figure où le Conseil des ministres déciderait de faire figurer la requête de M. Rifi à son ordre du jour, une autre question se pose, celle de savoir quelle serait la position exprimée par le Hezbollah et le Courant patriotique libre, des alliés inconditionnels du régime de Bachar el-Assad.
Cette nouvelle crise survient à un moment délicat où le gouvernement est déjà en état d’ébullition avec le boycott observé par les ministres du CPL qui accusent le camp adverse de ne pas respecter l’esprit du pacte national dans la question des nominations sécuritaires, menaçant ainsi de recourir à l’escalade et d’investir les rues pour protester contre ce qu’ils considèrent être une déviation des coutumes pratiquées à ce jour.
Selon un observateur, le chef du gouvernement pourrait décider, une fois de plus, d’occulter un sujet aussi sensible qui risque de dynamiter son gouvernement déjà branlant, à la veille du départ de Tammam Salam à New York où il doit participer à l’Assemblée générale des Nations unies pour examiner la question des réfugiés syriens, le 7 septembre.
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Du côté des ministres relevant du Hezbollah, on continue d’insister sur la nécessité de préserver la stabilité sur les plans politique et sécuritaire à l’ombre de circonstances aussi critiques, exprimant du même coup leur objection à toute démission du gouvernement et tout incident sécuritaire qui risquerait de dégénérer en remettant en cause la fragile stabilité du pays.
C’est d’ailleurs mû par cette logique que le parti chiite a réussi à convaincre ses alliés aounistes de reporter le mouvement de rue qu’ils avaient envisagé en signe de protestation et de remettre à plus tard toute décision d’escalade afin de permettre aux contacts de prendre leur cours dans l’espoir de trouver une issue aux différents dossiers litigieux. Le risque de transposer le conflit dans la rue est, pour le Hezbollah, autrement plus dangereux en ces temps qui courent et pourrait entraîner le pays vers un effondrement total.
Selon un ancien député proche de Rabieh, le chef du bloc du Changement et de la Réforme Michel Aoun serait prêt à accorder un sursis au gouvernement de Tammam Salam, soit jusqu’ à la fin du mois de septembre pour donner des chances à la médiation et aux solutions concertées autour de la question des nominations sécuritaires, entre autres.
C’est à la lumière des résultats des contacts politiques entrepris que le CPL décidera du sort du mouvement de protestation annoncé et qui pourrait coïncider avec la commémoration du 13 octobre 1990, date de l’offensive des forces syriennes contre les unités du général Aoun, à Baabda.
Certains observateurs se sont arrêtés sur la visite du sous-secrétaire d’État américain chargé des Affaires politiques Thomas Shannon à Beyrouth où il a rencontré plusieurs responsables. Sa visite est considérée par certains d’une grande importance à la lumière notamment de la paralysie, relative, de l’administration américaine, désormais plus préoccupée par les élections présidentielles de novembre prochain que par les dossiers de politique extérieure.
Quand bien même le haut responsable US n’a rien apporté de neuf concernant le blocage de la présidentielle au Liban, il aura tout au moins réaffirmé, par sa visite, l’intérêt que continue de porter l’administration US au Liban, à sa stabilité et au bon fonctionnement de ses institutions.