C’est au Roi-Soleil, Louis XIV que l’on attribue la célèbre formule « l’État c’est moi ». Le monarque l’aurait prononcé le 13 avril 1655 devant les parlementaires parisiens qui contestaient ses édits.
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Le dialogue islamo-chrétien, les programmes et activités concrets et continus depuis plus d’un siècle, les institutions universitaires de recherche et associatives pour le vivre-ensemble, la solidité des échanges intercommunautaires au quotidien, la résistance durant les années de guerres multinationales au Liban en 1975-1990 contre les démarcations en vue de rompre les rapports intercommunautaires… débouchent sur l’unité plurielle du Liban, sans autre alternative possible ni même imaginable.
Mais le Liban, malgré tout ce patrimoine séculaire et cumulé, vit en permanence une situation de guerre civile armée ou de cessez-le-feu pacifique ! Pourquoi ?
La garantie du vivre-ensemble libanais, outre l’approche culturelle précitée et sans dérive vers le culturalisme, exige la solidité certes de la culture du dialogue, des échanges, de la connaissance mutuelle…, mais surtout la culture et la pédagogie de l’État.
Dans la proclamation officielle du Grand Liban par le général Gouraud le 1er septembre 1920, il s’agit de la « Proclamation de l’État du Grand Liban », avec la publication ultérieure de plusieurs arrêtés concernant les institutions de cet État. Il est significatif que dans la commémoration du centenaire, on parle du Grand Liban en omettant État !
Dans tous les manuels d’histoire, depuis l’indépendance de 1943, la notion État est complétement absente ! Qu’est-ce qui a changé avec l’indépendance de 1943 ? Rien n’est indiqué dans les manuels, et même dans des ouvrages spécialisés !
L’État est partout gommé, même dans des recherches universitaires ! On parle d’État civil, laïc… Mais d’abord, qu’est-ce que l’État ? Les quatre fondements dits régaliens (rex, regis, roi), ontologiques, de l’État sont :
– monopole de la force organisée ;
– monopole des rapports diplomatiques ;
– imposition et perception de l’impôt ;
– gestion des politiques publiques.
Il y a aujourd’hui au Liban un État officiel non souverain et un État parallèle, avec donc deux armées, deux diplomaties… !
Édouard Saab écrit dans un éditorial prémonitoire en 1975 sous le titre : « Quel Liban sans État ? » :
« Ce qui est en cause ou ce qui est remis en question, ce n’est plus le Liban dont l’entité paraît évidente, mais l’État en tant qu’institution (…). S’est-on jamais douté de ce que deviendrait ce pays le jour où l’État serait démuni(…)? On verrait des éléments incontrôlés ou irresponsables palestiniens présider, au gré de leur caprice, aux destinées de Saïda, de faire même une République populaire autonome (…). Tel est bien le fond du problème. » (L’Orient-Le Jour, 12/3/1975).
Fondement du contrat social
La loi n’est pas seulement un moyen d’organisation de la société et de régulation des conflits. Elle est expression du contrat social. C’est elle qui garantit le vivre-ensemble avec constance en dépit de divergences culturelles, même profondes. Le cas de la Suisse est le plus pertinent, normatif, pédagogique, et assure l’immunité de l’unité de la Suisse dans la culture politique des Suisses.
L’État est absent dans la psyché collective du Libanais pour des raisons de psychologie historique. Des historiens du Liban et du monde arabe en général ignorent que l’histoire, par essence, est une dialectique entre société et autorité, d’où émerge l’État chargé de la mise en œuvre du droit. Toute histoire du droit est en fait une histoire de l’État.
Je retiens de mon manuel scolaire d’histoire générale, quand j’étais à l’école, l’extension du pouvoir royal sous Louis XIV et Richelieu en France à l’encontre des seigneuries régionales.
Norbert Élias, dans La dynamique l’Occident, 1969 (Poche 1976), dresse le panorama historique de la genèse de l’État, en tant que fruit de quatre siècles pour la centralité étatique de gestion du pouvoir politique.
L’histoire du Liban est d’une richesse inouïe en vue de dégager l’émergence de l’État, depuis les Mamelouks jusqu’à l’indépendance de 1943. Cependant, quand des historiens confondent entre indépendance et autonomie du Mont-Liban, qualifient les périodes de Fakhreddine et de Béchir II de « règnes », alors que le territoire est sous occupation ottomane, quand une idéologie persistance dans le monde arabe confond entre charia (prescription religieuse) et tachri’ (« légifération »), c’est l’essence même de l’État et du droit, dans une approche historique anthropologique et empirique, qui est occultée.
Dans les nouveaux programmes d’histoire dans l’enseignement préuniversitaire, élaborés dans le cadre du Plan de rénovation pédagogique dont j’étais membre (1996-2002), il y a la prescription explicite que l’histoire par essence est une dialectique entre société et autorité.
Les Libanais ont atteint, en perspective comparée, un haut degré d’intégration au niveau anthropologique, mais la division est manipulée en permanence en politique. Il s’agit, outre de repenser l’enseignement du droit et de toutes les autres disciplines au Liban, de la production et de la mise en application de plusieurs fascicules culturels et pédagogiques :
– Qu’est-ce que l’État ?
– La proclamation de l’État du Grand Liban en 1920.
– Que s’est-il passé au Liban après l’indépendance du 22 novembre 1943? Souveraineté, gouvernement national, armée, police, douanes, monnaie…
– État, mon amour en 1975-1990.
– Histoire du régime constitutionnel libanais des origines à nos jours racontée à nos enfants.
– Heurs et malheurs de l’État libanais de 1943 à 2020.
– L’histoire de l’État au Liban racontée à nos enfants.
Programme pour demain après la récupération de la souveraineté et de l’unité de l’État libanais, afin de remédier à une psychologie historique polluée par une historiographie conventionnelle et, en politique, par des imposteurs.