Les Européens inquiets de se faire aspirer dans la guerre en Ukraine 0 By Isabelle Lasserre on 6 mai 2022 à la une DEPUIS le début de la guerre le 24 février, les pays occidentaux ont conditionné leur soutien à l’Ukraine à un principe : pas de participation directe au conflit. « Tout faire pour empêcher que cette guerre ne se transforme en troisième conflit mondial. Soutenir l’Ukraine par tous les moyens possibles, sans pour autant entrer dans un affrontement direct avec la Russie », résume un diplomate. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et l’Europe ont refusé à Volodymyr Zelensky l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, qui les aurait sans doute entraînés dans la guerre. DEPUIS le début de la guerre le 24 février, les pays occidentaux ont conditionné leur soutien à l’Ukraine à un principe : pas de participation directe au conflit. « Tout faire pour empêcher que cette guerre ne se transforme en troisième conflit mondial. Soutenir l’Ukraine par tous les moyens possibles, sans pour autant entrer dans un affrontement direct avec la Russie », résume un diplomate. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et l’Europe ont refusé à Volodymyr Zelensky l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, qui les aurait sans doute entraînés dans la guerre. Deux mois et demi plus tard, les risques d’extension du conflit sont toujours là. Ils dépendent en grande partie de la volonté qu’aura ou non Vladimir Poutine de franchir les lignes rouges. Décidera-t-il, pour tester la résistance de l’Otan, de frapper un convoi d’armes transitant par la Pologne ? D’ouvrir un nouveau front en Transnistrie, enclave séparatiste prorusse de Moldavie, qui risquerait d’aspirer le peuple frère de Roumanie, membre de l’UE et de l’Otan, dans la guerre ? Ou de briser le tabou nucléaire en utilisant une arme tactique sur le champ de bataille ? La menace de conflit nucléaire est ressassée par les responsables russes comme Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, qui considère que le risque de guerre nucléaire est « sérieux, réel » et ne doit pas être « sous-estimé ». Mais aussi par les médias russes qui prônent une escalade tous azimuts du conflit en Ukraine, font de la guerre nucléaire un sujet de plaisanterie et vantent les mérites du nouveau missile intercontinental russe Sarmat, capable de frapper Paris « en 200 secondes ». Le nouvel engagement de Joe Biden, sa rallonge de 33 milliards de dollars pour soutenir l’Ukraine, dont 20 milliards d’aide militaire, le changement d’objectif de la Maison-Blanche, qui veut désormais affaiblir la Russie afin de la rendre incapable d’attaquer à nouveau ses voisins, son désir de voir le régime changer – « cet homme ne peut pas rester au pouvoir » a-t-il dit en Pologne – font craindre à certains Européens une nouvelle escalade du conflit. Le soutien militaire de plus en plus affirmé de la Maison-Blanche à l’Ukraine a fait apparaître des divergences entre l’Europe occidentale et les États-Unis. L’appui à l’Ukraine et à son président n’est pas en cause. L’Union européenne durcit ses sanctions semaine après semaine. « Nous voulons que l’Ukraine gagne cette guerre », a encore affirmé cette semaine la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Mais certains, à Berlin, Paris ou Bruxelles, redoutent que l’objectif assumé de Joe Biden de mettre à genoux la puissance russe ne laisse d’autre choix à Vladimir Poutine que de poursuivre dans la surenchère guerrière ou de se rendre. Or, après avoir échoué à s’emparer de Kiev, échoué à tuer l’Otan, échoué à ramener l’Ukraine dans le jardin idéologique du Kremlin autour de la Russie, Vladimir Poutine a impérativement besoin d’une victoire. Plus le temps passe et plus les Ukrainiens s’arment grâce aux livraisons occidentales, plus celle-ci semble lui échapper. Jusqu’où est-il prêt à aller pour l’obtenir ? C’est la question à laquelle personne ne sait répondre. Mais alors qu’au début de la guerre, les Européens reprochaient à Joe Biden son manque d’engagement sur le dossier ukrainien. Aujourd’hui il arrive qu’ils en aient peur. Les États-Unis, qui depuis Barack Obama, promettaient de se retirer d’Europe pour engager toute leur énergie en Asie, ont pris la tête de l’aide politique et militaire à l’Ukraine, dont ils considèrent désormais qu’elle peut gagner la guerre. On a l’impression d’un retour aux années de confrontation majeure entre Moscou et Washington. Joe Biden assume la rupture avec Vladimir Poutine, qu’il accuse de commettre un « génocide » en Ukraine. Emmanuel Macron, lui, maintient au contraire un canal de communication téléphonique avec le président russe, en partie au nom de l’Union européenne, dont il préside encore le Conseil. Son objectif est d’obtenir un cessez-le-feu et les conditions d’une négociation. « L’art de la diplomatie consiste à trouver les voies et les moyens du dialogue et d’un accord avec chacun, y compris ceux qui sont aujourd’hui ennemis. Car il n’y aura pas d’accord durable de sécurité au terme de la crise en Ukraine sans la Russie », explique une source à l’Élysée. Prisonniers de leur géographie, condamnés à vivre à côté du grand voisin russe, les Européens sont plus exposés aux conséquences du conflit ukrainien que la lointaine Amérique. Tout en affichant leur solidarité sans faille avec l’Ukraine, Paris, Berlin et Bruxelles conservent l’objectif de mettre fin à la guerre par la négociation. « Notre soutien à l’Ukraine a pour objectif non seulement de contrer l’agression russe, mais aussi de mettre l’Ukraine en position de négocier favorablement pendant un cessez-le-feu acquis », explique une source à l’Élysée. Ils aimeraient offrir « une porte de sortie » à Vladimir Poutine et terminer au plus vite cette guerre qui se déroule sur le continent européen. « Cette idée est à la fois erronée et dangereuse », prévient Thornike Gordadze, spécialiste de la Russie et chercheur à l’Institut international pour les études stratégiques (IISS). Pas seulement parce que Vladimir Poutine n’a pas encore fait savoir qu’il était à la recherche d’une sortie honorable. « Mais parce qu’en lui offrant une porte de sortie on ne ferait que le conforter dans sa croyance que l’Occident est faible et décadent, prêt à tout pour éviter une confrontation avec la Russie. Chercher une “petite victoire” pour Vladimir Poutine sera le prélude à une prochaine guerre qui se déroulera encore plus près de nos frontières. » Car les objectifs de Vladimir Poutine vont bien au-delà de l’Ukraine. « La chose la plus importante aujourd’hui, ce ne sont pas les événements tragiques en Ukraine, mais la nécessité de briser le système mondial unipolaire créé après la chute de l’URSS », a récemment affirmé le président russe. Le danger d’extension du conflit ukrainien est aussi lié au fait qu’au Kremlin, le conflit en Ukraine est considéré comme un épisode d’une confrontation plus générale avec l’Occident. « Nous sommes en guerre contre le monde entier, comme pendant la guerre patriotique, quand toute l’Europe, le monde entier était contre nous. C’est la même chose aujourd’hui, ils n’ont jamais aimé la Russie », a récemment affirmé le général Rustam Minnikayev. Le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov dit la même chose lorsqu’il affirme que l’objectif de la guerre est de « libérer l’Ukraine et le reste du monde du joug de l’Occident ». Mais le raisonnement des Européens de l’Ouest, qui redoutent d’avoir à s’impliquer un jour plus directement dans le conflit, est défié par les pays d’Europe centrale et orientale, dont beaucoup, comme la Pologne, sont alignés sur la position américaine. Après un sursaut d’unité au début du conflit, les divergences entre les deux parties de l’Europe ont ressurgi. Face à la tentation de certains de revenir un jour au « business as usual » avec Moscou quand la paix sera de retour, les voisins directs de la Russie voudraient, comme Washington, neutraliser le régime et l’armée russes. L’implication des États-Unis répond d’ailleurs en grande partie aux demandes des alliés sur le flanc est de l’Alliance. Refaire l’unité de l’Europe sur le dossier ukrainien : c’est l’un des grands défis du second mandat d’Emmanuel Macron. Le Figaro