Pour les milieux aounistes, le changement arrive, d’ici à un mois environ. Le dossier des nominations est clos et l’après Chamel Roukoz sera différent. La chute du compromis a changé la donne et les règles du jeu ont changé. D’autant que les cadres du CPL sont convaincus que l’intervention russe prouve combien le général Aoun a eu raison dans ses paris et que l’axe régional appuyé par le courant aouniste est en train de marquer des victoires successives. Une nouvelle page s’ouvre dans la région, pense-t-on dans les milieux du CPL, et elle sera favorable au Liban et à Michel Aoun, qui cueillera bientôt les fruits de ses options extérieures. Gebran Bassil devrait ainsi se rendre à Moscou à la fin du mois pour des entretiens avec de hauts responsables russes, ajoutent des sources bien informées à Rabieh. Une visite qui pourrait coïncider avec un succès au niveau des opérations militaires russes en Syrie. Il n’est plus un secret que le CPL a exprimé haut et fort son soutien à l’intervention russe, qui renverse selon lui les rapports de forces dans la région en faveur du général Aoun. Ce n’est pas un hasard si les portraits de Vladimir Poutine ont été brandis dimanche à Baabda lors de la manifestation du CPL, ou encore les drapeaux russes frappés d’une croix, aux côtés des slogans favorables au nouveau tsar de Moscou.
Dans son discours au cours du meeting, Michel Aoun s’est pourtant gardé d’appeler à des démarches qui pourraient s’avérer négatives, se contentant de hausser le ton, en raison de la fragilité de la situation. Il n’a pas été dans le sens de certains cadres du CPL, qui l’encouragent à renverser la table et à claquer la porte du dialogue, en guise de réponse au torpillage de la promotion de Chamel Roukoz. Le CPL s’est plutôt dirigé vers un discours axé sur la tenue des législatives sur base de la proportionnelle, comme passage obligé pour régénérer le pouvoir à tous les niveaux institutionnels, et vers l’élection d’un président de la République par la nouvelle Chambre. Le Hezbollah aussi a souhaité que le général Aoun préserve le calme et la stabilité et que son discours reste dans un cadre institutionnel, c’est-à-dire que le CPL se maintienne au gouvernement et à la table de dialogue. Selon Gebran Bassil, la manifestation de dimanche n’est qu’une première étape sur la voie qui mène à Baabda pour « recouvrer notre droit à la présidence de la République ». Il se garde cependant de révéler ce que seront les prochaines étapes, multidirectionnelles, selon lui.
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La coopération dont a fait preuve le général Aoun avec les directives du Hezbollah concernant le meeting de dimanche a été reçue cinq sur cinq par le parti chiite. En signe de reconnaissance, ce dernier a suspendu la réponse qu’il devait donner à Akram Chehayeb concernant le dépotoir de la Békaa et a torpillé la séance du Conseil des ministres. Il n’y a donc plus de séance à l’horizon et Tammam Salam préfère ouvrir la voie à plus de concertations, dans l’espoir qu’elles puissent aboutir à un compromis quelconque concernant le gouvernement.
Inutile de dire, par ailleurs, que le 14 Mars ne partage pas la vision aouniste de l’équipée russe en Syrie et la version selon laquelle l’influence américaine serait en perte de vitesse au profit de Moscou dans la région. Pour le 14 Mars, ce qui se produit est le résultat d’une entente internationale entre la Russie et les États-Unis pour trouver une solution, qui, de facto, minimise le rôle de Téhéran en Syrie et au Liban. Moscou aura ainsi son mot à dire dans l’échéance présidentielle, en coordination avec le Vatican, les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite et l’Iran, et contribuera même à faciliter la tenue de l’élection. Il est en effet inconcevable que Moscou intervienne en Syrie sous le slogan de la protection des minorités, et des chrétiens en particulier, et laisse ses alliés du 8 Mars empêcher l’élection du seul président chrétien de la région… Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, s’était d’ailleurs engagé à faciliter l’élection présidentielle au Liban, lors de ses rencontres avec des responsables libanais à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’Onu… Une fois que sa mission en Syrie sera terminée, et peut-être même avant le délai de quatre mois que la Russie s’est fixé pour mener à bien sa mission en territoire syrien.