Le Golfe face à sa dépendance aux travailleurs étrangers

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La pandémie a montré les failles de sociétés tributaires d’expatriés, cols bleus ou blancs, très difficiles à remplacer.

 

Même si la pandémie y a été relativement maîtrisée, les riches monarchies arabes du Golfe ont pris conscience de leur vulnérabilité et cherchent à réduire leur dépendance à l’égard de travailleurs étrangers, ceux en tout cas que leurs conditions de vie précaires ont placés comme vecteurs de propagation du virus.

Ajoutée à la chute des cours du pétrole qui ralentit leurs économies, la crise sanitaire a relancé le débat sur les politiques de préférence nationale en matière d’emplois. Et comme souvent, c’est du très discret émirat du Koweït – le seul à disposer pourtant d’un vrai Parlement et d’un embryon de vie démocratique – que sont venues les déclarations les plus fermes.

Dans un pays où les étrangers sont 3,4 millions parmi 4,8 millions d’habitants, le premier ministre a affirmé que les expatriés ne devraient pas représenter plus du tiers de cette population. «Nous sommes confrontés à un défi pour rétablir l’équilibre», a lancé devant les patrons de journaux Cheikh Sabah al-Khalid al-Sabah. Le Parlement s’était déjà prononcé en faveur de la fixation d’un quota d’étrangers et de leur remplacement dans l’administration par des Koweïtiens. Mais un tel remplacement se heurte à de nombreux problèmes, et tous les pays du Golfe ne sont pas logés à la même enseigne.

«Le modèle ne s’applique pas à tous, prévient le chercheur Marc Martinez. Pour l’Arabie saoudite, c’est une nécessité compte tenu du chômage important. C’est aussi un moyen d’éviter des troubles sociaux. Pour le Koweït, vouloir réduire de deux millions la population expatriée, c’est du populisme. Comment le pays pourrait-il se passer d’autant de gens qui consomment et créent de la richesse?»

«Le rapport aux étrangers est assumé»

Toutes ces monarchies sont dépendantes des cols blancs et des cols bleus étrangers. Mais au Qatar et aux Émirats arabes unis, où les locaux ne sont que 10 % de la population, «le rapport aux étrangers est assumé», constate un diplomate français dans le Golfe. «À Dubaï par exemple, l’étranger n’est pas vu comme quelqu’un porteur de problèmes», ajoute-t-il. «Grâce à son développement, Dubaï a su attirer de nombreuses professions bancaires et financières avec de hauts salaires, qui ont nourri la croissance immobilière, et la réaction en chaîne fut très bénéfique». Reste que la crise liée au Covid-19 s’y fait déjà terriblement sentir. Emirates, la compagnie aérienne de Dubaï, a annoncé mardi le renvoi de 600 pilotes d’avions, étrangers pour la plupart.

 

Mais ici comme au Qatar, pas d’alternative aux étrangers, qu’ils soient en haut ou en bas de l’échelle sociale. Il en va différemment en Arabie saoudite, seule monarchie avec une population d’autochtones supérieure à celle des étrangers (20 millions de Saoudiens, 10 d’étrangers). «L’Arabie tient à s’affranchir de sa dépendance à l’égard des étrangers travaillant à des postes de responsabilités pour les confier à des jeunes qui représentent 70 % de la population, confie un homme d’affaires sur place, mais le royaume ne veut pas réduire sa dépendance à l’égard des cols bleus pakistanais ou philippins. Ces postes en bas de l’échelle ont contribué certes à l’expansion du virus en raison de leurs lieux d’habitation précaires, mais ce ne sont pas des jobs que les Saoudiens voudront occuper.»

Ces dernières semaines, alors que l’épidémie repart à Djedda notamment, quelque 180.000 Pakistanais travaillant en Arabie sont rentrés chez eux.

Transfert de compétences

D’autres départs d’étrangers sont à attendre avec le ralentissement de l’activité économique. Ce qui devrait accélérer la «saoudisation» des emplois – lancée il y a de nombreuses années avec un succès jusque-là très mitigé – «au profit de jobs de management intermédiaire, dans le tourisme par exemple, décrypte l’homme d’affaires à Riyad. C’est conforme aux objectifs du prince héritier Mohammed Ben Salman de développer une économie basée sur des marchés à haute valeur ajoutée. L’Arabie ne veut pas devenir le premier constructeur de routes au monde, mais le premier actionnaire dans la haute technologie».

Mais, tempère le diplomate dans le Golfe, «l’emploi des locaux dans le secteur privé ne concernera, et pour longtemps encore, qu’une minorité, sauf dans leurs groupes pétroliers, car les locaux préféreront toujours l’administration à cause des salaires et de la garantie de l’emploi»«Il ne faut pas se voiler la face, renchérit un expatrié français au Qatar, la qatarisation des emplois un peu qualifiés est certes déjà en marche, mais un ingénieur qatarien a la plupart du temps à ses côtés un ingénieur étranger, et n’oublions pas qu’ils ont leurs coutumes. L’étranger ne peut pas abandonner son poste pour aller faire la prière, eux le font, donc ils ont besoin d’un suppléant.»

Soucieux de répondre à un déséquilibre démographique criant, les Émirats arabes unis et le Qatar devraient profiter de la crise sanitaire pour multiplier les contrats «Build Operate Transfer» avec leurs partenaires étrangers, fondés sur un transfert de compétences leur permettant de former des cadres. «C’est pour cette raison, analyse Marc Martinez, que les Émirats ont investi dans l’intelligence artificielle et l’automatisation, réduisant ainsi leurs besoins en main-d’œuvre étrangère.» Toutefois, ajoute-t-il, «le problème qui va bientôt se poser aux Émirats sera de retenir les cols blancs alors que les salaires se réduisent et que 70 % des sociétés ont peur de fermer au cours des six prochains mois».

Le Figaro

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