Par Rémi Dupré, Alexandre Lemarié et Stéphane Mandard
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Au bord du précipice, le Suisse a commencé à déterrer des dossiers explosifs, désireux de barrer la route à celui qui, malgré le gel temporaire de sa candidature, souhaite toujours lui succéderlors de l’élection à la présidence de la FIFA, programmée pour le 26 février 2016. Fin octobre, dans des interviews à l’agence russe Tass et au journal anglais The Financial Times, Joseph Blatter a allumé la mèche, revenant en long et en large sur les dessous du vote d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar, organisé le 2 décembre 2010.
Selon le patriarche du foot mondial, « il y avait un arrangement diplomatique » pour que le Mondial 2022 revienne aux Etats-Unis. Mais à la surprise générale, c’est le petit émirat du golfe Arabo-Persique qui a emporté la mise par 14 voix contre 8. Les conditions d’attribution de la Coupe du monde au Qatar font, cinq ans plus tard, l’objet d’une enquête de la justice suisse, qui a relevé « plus de 120 transactions financières suspectes ». Pour Blatter, ce « gentleman’s agreement a été remis en cause par l’interférence gouvernementale de M. Sarkozy, président français, avec la contribution de l’un de ses compatriotes, qui ne l’a jamais nié, et qui a amené d’autres votants avec lui ».
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« Une semaine avant le vote, j’ai reçu un appel téléphonique de Michel Platini et il m’a dit : “Je ne suis plus ton plan, car le chef de l’Etat m’a dit que nous devrions prendre en compte la situation de la France.” Et il m’a dit que cela concernerait plus d’un vote, car il y avait un groupe de votants avec lui », a détaillé le président démissionnaire de la FIFA, qui estime que « quatre suffrages européens se sont finalement écartés des Etats-Unis ». Selon nos informations, outre l’ex-numéro 10 des Bleus, qui a rendu public son vote dès 2011, trois dirigeants de l’UEFA auraient effectivement voté pour l’émirat : le Chypriote Marios Lefkaritis, le Belge Michel D’Hooghe et l’Espagnol Angel Maria Villar, patron du comité de candidature ibérique (Espagne etPortugal) pour le Mondial 2018. Lefkaritis, D’Hooghe et Villar ont été interrogés par la police suisse dans le cadre de l’enquête sur l’attribution du Mondial 2022 au Qatar. L’Espagnol, qui est à la fois vice-président de l’UEFA et de la FIFA, a été sanctionné le 13 novembre d’une amende 25 000 francs suisses et d’un avertissement pour ne pas avoir pleinement collaboré avec l’ancien procureur américain Michael Garcia lors de son enquête sur le vote du 2 décembre 2010.
Omerta
Pour de nombreux observateurs, les saillies de Blatter découlent d’une volonté de « détruire l’image de Platini et faire un maximum de dégâts ». « Il ne souhaite pas que Platini lui succède et n’a jamais supporté que la Coupe du monde revienne au Qatar », insiste un ex-membre du comité exécutif de la FIFA. « Blatter raconte des conneries, affirme son ancien conseiller Guido Tognoni. C’est un mauvais perdant. Ce sont quatorze adultes qui ont voté pour le Qatar. Pourquoi n’accuser que Platini ? Comme si Sarkozy avait plus d’influence que Blatter. » Sollicité par Le Monde, l’ancien chef de l’Etat n’a pas souhaité réagir, nous renvoyant à ses déclarations, le 29 octobre, sur l’antenne de BFM-TV. « Voilà encore un autre qui me prête beaucoup de pouvoir, avait ricané, ce jour-là, le chef du parti Les Républicains. C’était sans doute une allusion qui fait écho à sa très grande amitié pour Michel Platini. »
Selon Joseph Blatter, c’est un déjeuner organisé à l’Elysée, le 23 novembre 2010, qui « a complètement changé la donne ». « Tout allait bien jusqu’au moment où Sarkozy a tenu une réunion avec le prince héritier du Qatar, qui est aujourd’hui émir [Tamim Ben Hamad Al-Thani, au pouvoir depuis 2013]. Et au déjeuner qui a suivi avec M. Platini, il a dit que ce serait bien d’aller au Qatar. » Cinq ans après, l’omerta règne autour de ce fameux déjeuner à l’Elysée, orchestré par Nicolas Sarkozy, alors « très proche de la famille royale du Qatar et du prince Tamim », selon un diplomate. Ce mardi 23 novembre 2010, le prince héritier du Qatar, le cheikh Hamad ben Jassem, premier ministre et ministre des affaires étrangères de l’émirat, et Platini sont effectivement à la table du président de la République. Pour quelles raisons ?
« Blatter ne sait pas tout mais, sur le fond, ce qu’il dit est vrai : Michel Platini a joué un rôle important pour renverser la vapeur contre les Etats-Unis. Il y a eu un revirement soudain après ce déjeuner du 23 novembre 2010, constate un proche du dossier. Sarkozy a fait changer d’avis Platini. »
Selon nos informations, la cellule diplomatique de l’Elysée n’a pas été « concernée » par l’organisation de cette rencontre. « C’était Sophie Dion, la conseillère sports de Nicolas Sarkozy, qui était compétente en la matière », souffle un proche de l’ex-chef de l’Etat. « Quel déjeuner ? Je n’y étais pas », assure toutefois au Monde celle qui a été élue députée (Les Républicains) de la Haute-Savoie en 2012. Pourtant, selon les archives officielles de l’Elysée, Mme Dion était bien mentionnée comme présente au déjeuner du 23 novembre 2010. Elle qui est vice-présidente du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale et dont la chaire sur « L’éthique et la sécurité dans le sport » à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne est financée par le Centreinternational pour la sécurité dans le sport (ICSS), une fondation de droit qatarien, approvisionnée par l’émirat.
Selon les mêmes archives de l’Elysée, Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, faisait aussi partie des convives. Contacté par Le Monde, Claude Guéant fait la même réponse que Sophie Dion : « Ce déjeuner ne me dit rien. Je n’en ai aucun souvenir. Je n’y étais pas, je ne peux pas vous dire. » Le comité d’organisation qatari du Mondial 2022 n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
« Un revirement soudain »
Une circulaire du 7 juillet 2010 signée par l’ex-secrétaire général français de la FIFA, Jérôme Valcke (également suspendu 90 jours depuis le 8 octobre), invitait les candidats à l’organisation des Mondiaux 2018 et 2022 à « s’abstenir d’essayer d’influencer les membres du comité exécutif de la FIFA ».
Michel Platini, lui, aurait « informé tout de suite » Blatter de la présence des dignitaires qataris à ce déjeuner, « dans un souci de transparence et par respect », comme l’affirmait le maître de la FIFA en mai 2014. Soit plus d’un an avant que l’Helvète n’accuse, dans les colonnes du journal allemand Welt am Sonntag, Nicolas Sarkozy d’avoir « essayé d’influencer le vote de [son]représentant ». L’ancien chef de l’Etat, qui n’a jamais caché sa passion pour le football et le PSG en particulier, avait contribué à la victoire étriquée de la France (7 voix à 6) face à la Turquie en rencontrant à Genève les membres du comité exécutif de l’UEFA le 28 mai 2010, en marge du vote d’attribution de l’Euro 2016. A-t-il demandé de son côté à Michel Platini d’apporter son suffrage à l’émirat, partenaire économique et diplomatique important de la France ? « Jamais personne ne m’a dit pour qui je devais voter », avait insisté, en juin 2014, dans les colonnes deL’Equipe, l’ex-sélectionneur des Bleus. Il reconnaissait toutefois avoir « senti qu’il y avait un message subliminal » de la part de Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’était « retrouvé avec des Qatariens ».
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A plusieurs reprises, Platini a affirmé, goguenard, avoir été « surpris » en découvrant la présence du prince héritier du Qatar et de son premier ministre le 23 novembre 2010, au déjeuner de l’Elysée. Selon plusieurs sources, le président de l’UEFA pensait pourtant à l’origine y rencontrer l’émir du Qatar, le cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani. Au pouvoir de 1995 à 2013, l’émir « venait régulièrement en France pour s’entretenir avec le président de la République à propos de la coopération politique et économique entre nos deux pays », confie un ancien collaborateur de l’ex-chef de l’Etat. Avant de se rendre au déjeuner, l’ancien capitaine des Bleus n’aurait d’ailleurs pas caché en privé qu’il allait déjeuner « avec Sarko et le cheikh » Hamad.
Selon un fin connaisseur des arcanes du foot mondial, le patron de la Confédération européenne aurait ensuite « tenté de noyer le poisson avec des versions à géométrie variable », assurant a posteriori qu’il pensait déjeuner en tête à tête avec M. Sarkozy. Contactés par Le Monde, les conseillers juridiques de M. Platini ont fait savoir par la voix de Thomas Clay que « ce déjeuner n’est pas [leur]préoccupation dans le contexte de la procédure devant le TAS [Tribunal arbitral du sport] ». Saisi par les avocats du patron de l’UEFA pour contester la supension provisoire de 90 jours, le TAS doit rendre son jugement dans les prochains jours.
« Les hauts dirigeants qataris connaissent Platini depuis plusieurs années et ce bien avant l’attribution du Mondial 2022. Tout ceci s’est donc opéré dans la continuité d’une relation professionnelle et amicale ancienne et assumée », assure un dirigeant influent du foot français. Plus concrètement, le vote de Platini a-t-il été téléguidé par l’Elysée ? « Platini est bien entouré, et il n’agit pas en franc-tireur, surtout sur un dossier de cette importance », observe l’homme d’affaires Luc Dayan qui, en 2006, avait vainement « travaillé sur le dossier du rachat du Paris-Saint-Germain avec des investisseurs qataris comme actionnaires de référence. » « On n’a pas forcé la main à Michel », balaye un ancien dirigeant du PSG.
Après son vote en faveur du Qatar, Platini avait plaidé pour un tournoi organisé en hiver – en raison des fortes chaleurs estivales qui règnent dans l’émirat – et élargi aux autres monarchies du Golfe. En privé, il assure avoir été convaincu par le dossier technique présenté par l’émirat et le souci d’offrir ce Mondial à une région qui ne l’avait jamais reçu. « Blatter ne sait pas tout mais, sur le fond, ce qu’il dit est vrai : Michel Platini a joué un rôle important pour renverser la vapeur contre les Etats-Unis. Il y a eu un revirement soudain après ce déjeuner du 23 novembre 2010, constate un proche du dossier. Sarkozy a fait changer d’avis Platini. » « On ne sait rien de ce déjeuner d’il y a cinq ans, on ne s’en occupe pas », insiste Thomas Clay, professeur de droit à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et membre de l’équipe de défense de Michel Platini.
« Conflit d’intérêts »
Il faut dire que le patron de l’UEFA était initialement loin d’être séduit par le dossier de candidature du Qatar. Au printemps 2010, il effectue un voyage en Corée du Sud afin de rencontrer Chung Mong-joon, vice-président de la FIFA de 1994 à 2011 et dont le pays postule également à l’organisation du Mondial 2022. Candidat à la succession de Blatter mais suspendu six ans, le 8 octobre, par le comité d’éthique de la Fédération internationale, l’héritier de l’empire industriel Hyundai a nourri d’énormes espoirs après la visite de son hôte de marque. Mais, à l’été 2010, « Platoche » rencontre Sunil Gulati, le président de la Fédération des Etats-Unis (USSF), à Nyon (Suisse), où siège l’UEFA. Le patron du foot européen lui aurait proposé un deal : en échange du retrait de la candidature américaine pour l’attribution du Mondial 2018, l’ex-meneur de jeu des Bleus aurait promis de soutenir le dossier de l’USSF pour l’édition 2022. Stratégiquement, le président de l’UEFA souhaite alors laisser la voie libre aux candidatures européennes pour le tournoi de 2018. Le 24 septembre 2015, lors d’un entretien à l’agence américaine Associated Press, Michel Platini a d’ailleurs reconnu avoir « peut-être » promis son vote aux Etats-Unis.
Pensant être assuré du soutien de Platini, Sunil Gulati officialise, en octobre 2010, le forfait des Etats-Unis pour le Mondial 2018 et confirme la candidature pour la Coupe du monde 2022. Mais le fameux déjeuner à l’Elysée semble avoir changé la donne. Peu avant le vote du 2 décembre 2010, le patron de l’UEFA refuse de recevoir l’ex-président américain Bill Clinton, patron honoraire du comité de candidature des Etats-Unis, alors que ce dernier occupe le même hôtel que lui. Excédé par la volte-face de Platini, Sunil Gulati n’a jamais caché, en privé, son sentiment d’avoir été trahi. « Je ne lui pardonnerai jamais », murmure-t-il après le vote de 2010. Contacté par Le Monde, il n’a pas souhaité faire de commentaire.
Cinq ans après, et indépendamment des saillies de Blatter, le déjeuner du 23 novembre 2010 continue à alimenter les soupçons de collusions d’intérêts. Sept mois après avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, le Qatar réussissait un nouveau joli coup en achetant le PSG. En juin 2011, le fonds Qatar Sports Investments (QSI) acquiert le club de la capitale si cher à Nicolas Sarkozy pour 76 millions d’euros, réglés en une seule fois. Depuis 2006, le PSG était la propriété du fonds américain Colony Capital, dont le représentant en France est l’homme d’affaires Sébastien Bazin, ami intime de l’ex-chef de l’Etat depuis mai 1993 et la prise d’otages dans une école maternelle de Neuilly-sur-Seine. Maire de la commune, Sarkozy mène les négociations avec le forcené « Human Bomb », lesté de deux kilos de dynamite, pour libérer les 21 otages, dont la fille de Bazin.
Supporteur historique du PSG, proche de l’ex-président du club Michel Denisot (1991-1998) et habitué de la tribune présidentielle du Parc des Princes, Nicolas Sarkozy connaît parfaitement les vicissitudes de son équipe de cœur en novembre 2010. Traînant des pertes de 20 millions d’euros depuis plusieurs saisons, tout juste capable de payer ses joueurs, le PSG de Colony Capital est en proie à l’instabilité sportive (il flirte avec la relégation au printemps 2008) et confronté aux rixes entre les supporteurs des kops Auteuil et Boulogne. Après la mort de deux supporteurs parisiens (en 2006 et 2010) lors d’échauffourées, le président du club, Robin Leproux, met en place un plan de sécurité drastique pour pacifier le Parc.
Dans ce contexte agité, Nicolas Sarkozy a-t-il joué le rôle d’intermédiaire entre Sébastien Bazin et les dignitaires qataris ? « Le deal de Sarko, c’était la vente du PSG en échange du vote pour le Qatar. Il y a eu un conflit d’intérêts avec Platini et Sarkozy », affirme un connaisseur du dossier. Contacté par Le Monde, l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Il y avait un contact direct entre les Qataris et l’ancien président de la République. Cela a permis d’accélérer les choses. Sarkozy a bien aidé le PSG à s’en sortir. Cela a bien profité au club et cela a permis à l’actionnaire Colony Capital de boucler plus rapidement l’affaire, confirme un ex-cadre du PSG. Il n’y avait pas d’urgence pour les Qataris. L’urgence était du côté de Colony et du PSG. La survie du club était en jeu. » « Tout le monde savait que le PSG était dans une situation catastrophique au moment de la candidature qatarie pour l’attribution du Mondial 2022 »,développe Luc Dayan, qui avait perdu son procès en mai 2011 contre Colony Capital, et qui dénonce le « coup de Trafalgar dont avait profité Bazin en 2006 pour mettre la main sur le PSG ». « Il fallait faire quelque chose pour “ressortir” Colony du PSG sans que des comptes soient demandés à son représentant, poursuit M. Dayan. Que Nicolas Sarkozy s’implique “politiquement”, c’est dans la logique de ce qui se passe en France depuis longtemps dans le domaine du football. Sébastien Bazin et Nicolas Sarkozy se connaissent de longue date et ne s’en sont jamais cachés. »
Selon plusieurs sources, Sébastien Bazin aurait fait une apparition lors du fameux déjeuner du 23 novembre 2010. Lui a toujours démenti. « Sébastien Bazin était, ce jour-là, en Asie pour unvoyage d’affaires. On a consulté son agenda », assure son entourage après que Le Monde a tenté de contacter l’homme d’affaires. « Il n’y était sûrement pas, affirme l’un de ses proches. S’il y était et mentait, il prendrait de gros risques. »
« Le choix de Platini a été évident et assumé sans réserve d’ailleurs ! Il y a eu évidemment concomitance entre l’arrivée de QSI au PSG, l’émergence de BeIn Sport et le vote solidaire européen pour Qatar 2022. Mais est-ce répréhensible ? »
Cinq ans après, une dernière interrogation plane toujours sur le déjeuner du 23 novembre : a-t-il été question, entre le plat de résistance et le dessert, de la création à venir de la chaîne de télévision BeIN Sports, filiale du groupe qatari Al-Jazira, lancée en juin 2012 pour l’Euro et dirigée alors par Nasser Al-Khelaïfi, l’actuel président du PSG et lui aussi proche de Nicolas Sarkozy ? Dès le 23 juin 2011, la chaîne Al-Jazira Sport, présidée par M. Al-Khelaïfi, avait participé à l’appel d’offres sur les droits télévisés de la Ligue 1 pour la période 2012-2016, dépensant 90 millions d’euros afin de diffuser deux matchs par journée. « Tout le monde savait que Nicolas Sarkozy avait une dent contre Canal + qui, par ailleurs, tentait discrètement de se rapprocher d’Al-Jazira Sport, avec laquelle les synergies “business” étaient réelles, glisse un proche du dossier. En agissant ainsi, il se faisait un petit plaisir en mettant BeIN dans les pattes de Canal+, avec les conséquences que l’on a pu constater par la suite. »
L’UEFA avait-elle également un intérêt à voir cette nouvelle chaîne sportive éclore pour faire monter les droits en jouant la concurrence ? « Voter pour le Qatar, c’était également l’intérêt de l’UEFA au niveau des appels d’offres pour les droits télé sur lesquels BeIN s’est rapidement positionnée, analyse Luc Dayan. Le choix de Platini a été évident et assumé sans réserve d’ailleurs ! Il y a eu évidemment concomitance entre l’arrivée de QSI au PSG, l’émergence de BeIn Sport et le vote solidaire européen pour Qatar 2022. Mais est-ce répréhensible ? » Depuis, BeIN Sports s’est offert l’intégralité des 51 matchs de l’Euro 2016 organisé en France contre 60 millions d’euros. Dès sa naissance, la chaîne payante avait également acquis les droits de l’Euro 2012en Ukraine et en Pologne.
« Il y a eu une tentative d’influence de l’ancien chef de l’Etat pour favoriser la victoire du Qatar lors du processus d’attribution du Mondial 2022 »
Autres éléments susceptibles d’alimenter les soupçons de collusion : l’embauche du fils de Michel Platini, Laurent, par QSI un an après le fameux déjeuner, puis sa promotion, en février 2012, comme directeur général de Burrda Sport, l’équipementier sportif de l’émirat. Ancien directeur juridique du PSG sous l’ère Colony Capital, le jeune homme de 36 ans a assuré, en juin dans les colonnes du Parisien, s’être rapproché de Nasser Al-Khelaïfi par l’intermédiaire de Sébastien Bazin et en dehors de toute intervention de son père. « Michel éprouve des regrets par rapport à l’embauche de son fils, murmure un proche du président de l’UEFA. Il estime que c’était une connerie. Aujourd’hui, il lui conseillerait de ne pas prendre le job. » « Rachat du PSG, vote de Platini et de l’Europe pour le Qatar, BeIN, embauche de Laurent Platini par QSI : tout se tient », lâche, perfide, un proche du dossier.
« Mélange des genres malsain »
Sur l’échiquier politique français, on grince des dents à l’évocation du déjeuner du 23 novembre 2010. « Je pense que Platini a pris sa décision seul, comme un grand garçon. Même s’il n’était pas dupe en venant à ce déjeuner entre quatre z’yeux. Mais je fais partie des gens qui pensent qu’il y a eu une tentative d’influence de l’ancien chef de l’Etat pour favoriser la victoire du Qatar lors du processus d’attribution du Mondial 2022, affirme Alexis Bachelay, député (PS) des Hauts-de-Seine et membre du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale. Quand on connaît les rapports proches qu’avaient Sarkozy et l’ancien émir du Qatar, le fait que Sarkozy ait fait voter (en 2008) une convention fiscale avantageuse pour le Qatar (exempté de l’impôt de solidarité sur la fortune) en France, qu’il continue à faire des conférences bien rémunérées à Doha… Objectivement, on peut tout imaginer par rapport à ce déjeuner. Il y a des coïncidences troublantes en termes de dates. Il y a un mélange des genres malsain. » Pour Claude Guéant, le gouvernement Sarkozy « n’avait aucun intérêt dans cette affaire du Mondial. » « La question de fond, c’est : y a-t-il eu un “donnant-donnant” avec le soutien de la France à la candidature du Qatar pour le Mondial 2022 ou bien une mise en résonance d’une stratégie commune et concertée dans le domaine du sport et des médias entre le Qatar et la France sous Nicolas Sarkozy ? », s’interroge, à voix haute, Luc Dayan.
Le discours tenu par l’ex-chef de l’Etat, le 11 décembre 2012 à la tribune des Doha Goals, forum sur le sport organisé par l’homme d’affaires Richard Attias, mari de son ex-épouse Cécilia, trahit sa satisfaction d’avoir « soutenu le choix » du Qatar pour le Mondial 2022 et replace la problématique sur le terrain politico-diplomatique. « Il a fallu attendre le XXIe siècle pour qu’un pays musulman organise pour la première fois un événement de cette importance, s’était enorgueilli Nicolas Sarkozy. C’est une grande décision. »