La mode cette année est à la pudeur. Le burkini, le hijab de plage, connaît un succès croissant. Ainsi la morale est sauve, la concupiscence tenue à distance et le chic préservé.
Le paréo s’envole au vent mesquin. Le deux-pièces est une offense à la morale. Il reste le burkini, cette trouvaille vestimentaire, qui fait fureur cet été sur les plages en Algérie, et dans tout le Maghreb. Dans l’été qui meurt doucement, la tendance générale fut cette année à la «pudeur».
UN PROGRÈS ?
Mais que cache ce succès ? Le burkini témoigne-t-il d’une démocratisation ou d’une moralisation des plages ? Contrairement à ce qu’on pourrait immédiatement penser, l’Algérie ne serait pas tombée dans la nuit polaire en adoptant le burkini. Fatma Oussedik, anthropologue et professeur de sociologie à l’université d’Alger II, apporte d’éclairants éléments de réponse :«D’abord, comprendre que les femmes négocient avec leur univers et l’ordre social. Le vêtement, dans toutes les sociétés, contribue à inscrire les hommes comme les femmes dans un paysage social. L’espace balnéaire est un espace dans lequel les Algériennes n’étaient pas présentes. Ces endroits étaient fermés à leur présence. Un trop petit nombre avait accès aux plaisirs balnéaires, dans un pays situé au bord de la Méditerranée. Les autres femmes s’y rendaient la nuit ou se baignaient, loin des regards, entièrement vêtues.»
Osons l’anachronisme : la France, sous la Restauration, a connu une version assez proche du burkini, mais un burkini en laine vierge, qui prenait l’eau et qui mettait trois jours à sécher.
Dans son ouvrage remarquable L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), l’historien Alain Corbin écrit ceci : «Nous sommes en 1840, à Royan : la pudeur et la peur du viol oculaire ordonnent la tenue de bain […]. Le costume de bain se compose d’une chemise et d’un pantalon réunis […]. Les jeunes filles ajoutent à cet ensemble un jupon qui a pour but de dissimuler la hanche.» Tout ceci pour dire quoi ? Que les femmes algériennes, grâce au burkini, découvrent en masse l’invention de la plage. On peut parler de progrès.
«FINI LE BIKINI, PLACE AU BURKINI»
«Ces scènes de femmes voilées cantonnées sur la plage résument aujourd’hui de nouvelles habitudes», écrit Saïd Arezki dans un excellent article publié dans Jeune Afrique : «Algérie, fini le bikini, place au burkini.»On osera faire remarquer toutefois que le bikini, en Algérie, est nettement en perte de vitesse sur le littoral, hormis peut-être à Béjaïa, en Kabylie maritime.
Jeune Afrique voit dans l’essor du burkini la conséquence d’une certaine modernité. Souvent deux voitures par famille, «la relative accalmie sécuritaire et les habitudes des sorties familiales», interroge l’hebdo, auraient-elles modifié l’image renvoyée de la jeune femme algérienne ?«C’est surtout un moyen de dire : nous sommes musulmanes, nous connaissons les textes. Mais aussi: nous nous approprions ainsi des espaces nouveaux qui n’étaient réservés qu’aux hommes», explique Fatma Oussedik.
«LES FEMMES SONT EN QUÊTE DE PLUS DE DROITS»
La sociologue précise toutefois que «porter le burkini sur une plage de la côte d’Azur, espace soumis à une morale sociale différente, a une autre signification». Mais «dans le cas de la société algérienne, porter le burkini permet à un plus grand nombre de femmes de connaître les plaisirs de la plage. Cela se déroule dans la contrainte des rapports entre les sexes et de la morale dominante.»
Doit-on qualifier cette nouvelle mode de «libération» de la femme ? «Je pense, analyse l’universitaire, qu’on peut parler d’un processus en cours, où les femmes sont en quête de plus de droits.» Moralité : le grand style du burkini printemps-été 2015 restaure la majesté de la femme algérienne dans l’espace balnéaire. Le Burkini a aussi un avantage considérable : il évite les coups de soleil et le vieillissement de la peau.