La baisse de la demande a entraîné une chute des cours, fatale au secteur
Je ne crois pas qu’on reviendra à une production de 13 millions de barils par jour [aux Etats-Unis] de mon vivant. » Les déclarations, au Financial Times, lundi 13 juillet, de Matt Gallagher, le patron de Parsley Energy, l’un des plus gros acteurs du pétrole de schiste au Texas, sonnent comme un aveu. Celui de la fin d’une épopée fulgurante, celle du renouveau pétrolier américain.
En 2018, les Etats-Unis étaient devenus le premier pays producteur de pétrole, passant devant la Russie et l’Arabie saoudite. En 2020, ils venaient d’atteindre 13 millions de barils par jour, et comptaient devenir exportateurs net sur l’année. Ce formidable retour des Américains dans le jeu pétrolier avait bousculé le marché, et permis à Donald Trump de revendiquer une « domination énergétique », grâce au gaz et au pétrole de schiste.
Le Covid-19 et ses conséquences ont mis un coup d’arrêt brutal à cette tendance. Dans le secteur du schiste, une vingtaine de compagnies se sont déjà mises en faillite. Plusieurs dizaines de milliers de licenciements ont été annoncées. La production américaine, en juin, est déjà tombée à moins de 12 millions de barils par jour et devrait être autour de 11 millions à la fin de l’année, d’après l’Agence d’information pour l’énergie (EIA). Selon une étude du cabinet Deloitte, les compagnies du schiste devront déprécier des actifs pour plus de 300 milliards de dollars (263 milliards d’euros) au second semestre.
Bérézina
La chute brutale des prix du pétrole dès le début du mois de mars a réduit à néant les perspectives des compagnies pétrolières américaines. La crise a d’abord commencé par la rapide guerre des prix lancée par les Saoudiens et les Russes, début mars. Mais elle a surtout été renforcée par les mesures de confinement de par le monde, qui ont fait baisser la demande comme jamais. Fin avril, les prix s’effondrent, à moins de 16 dollars pour le brent, le baril qui fait référence au niveau mondial. Avec un impact encore plus fort sur le marché américain, qui connaît, à la même période, un épisode de prix négatifs.
Un exemple de cette bérézina : Chesapeake Energy, surnommé le « Google du schiste ». Le groupe situé en Oklahoma a été l’un des producteurs les plus agressifs et les plus innovants de la révolution pétrolière américaine. Le 29 juin, il s’est placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, afin de pouvoir entreprendre une restructuration sans la pression de ses créanciers – il avait accumulé une dette de plus de 7 milliards de dollars.
Pourquoi le schiste américain est-il plus touché par cette débâcle ? Parce qu’il s’agit d’un pétrole plus cher à extraire, et qui demande de mobiliser d’importants capitaux pour maintenir le niveau de production. Depuis des années, les observateurs du secteur s’inquiètent de cette course en avant d’investissements qui ont certes poussé à la hausse la production américaine, mais cachaient des modèles économiques fragiles. L’essor du forage, notamment au Texas, a été largement financé par la dette : début 2020, les acteurs nord-américains cumulaient 200 milliards de dollars de dette à rembourser dans les quatre ans – dont 41 milliards dès cette année.
Mauvaise image
D’autant que les révélations des rémunérations colossales que les dirigeants de ces compagnies en pleine déconfiture se sont octroyées ont contribué à la mauvaise image du secteur. Quelques semaines avant sa mise en faillite, Chesapeake versait ainsi 25 millions de dollars de bonus à ses dirigeants. Autre exemple : Whiting Petroleum, un gros acteur du Dakota, a versé 15 millions de dollars de bonus à ses six principaux directeurs… quelques jours avant de se déclarer en faillite en avril.
Courant juin, la remontée progressive des prix du pétrole autour de 40 dollars avait laissé espérer un potentiel rebond, malgré les difficultés. Mais cette perspective s’éloigne. « Plus les cas de Covid sont en hausse, plus les prix du baril redescendent », souligne ainsi Louise Dickinson de Rystad Energy. « Quand le baril était à 50 dollars, les Etats-Unis se dirigeaient vers une production de 15 millions de barils par jour, ce qui assurait l’indépendance énergétique. Maintenant, nous allons devoir importer pendant des années », s’inquiète Matt Gallagher.
La facture transmise par les compagnies pétrolières est, par ailleurs, catastrophique sur le plan climatique : les installations pétrolières et gazières laissées à l’abandon pendant de longs mois continuent à émettre du méthane, qui contribue fortement au réchauffement climatique. Nettoyer et entretenir ces puits abandonnés coûterait des dizaines de millions de dollars que ni les compagnies en faillite ni le gouvernement fédéral n’ont l’intention d’engager.