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Dans un post récent sur Facebook (15/06/2024), l’ancien député Jawad Boulos pointait du doigt l’incorrigible aveuglément de certaines factions chrétiennes qui ont cru « par fourberie et ruse, qu’il était possible d’instrumentaliser l’arsenal des milices islamiques » afin d’engranger un peu plus de pouvoir. « Elles n’ont cessé d’applaudir et d’acclamer les détenteurs de cet arsenal » dans le cadre d’une illusion stratégique dont ils pensaient être les maîtres du jeu. Une telle naïve vanité ne s’est pas « limitée à la société civile aveuglée par la propagande, qui privilégie l’instinct à la raison », elle a également « atteint une frange du clergé censé être plus mesuré et plus rationnel ». Le résultat d’un tel calcul déplorable fut le renforcement de ladite milice au détriment de la souveraineté nationale.
Cette couverture chrétienne conféra une dimension nationale à une milice sectaire, qui ne s’est point priver de kidnapper l’État tout entier et de prendre en otage les principaux leviers de commande de la formule libanaise du vivre-ensemble, y compris les chrétiens réduits à un statut de courtisans quémandeurs. Le député Boulos use de la métaphore de s’obstiner à vouloir chevaucher un tigre afin d’impressionner la galerie et de pavaner la tête haute dans les allées du pouvoir. Mais un tigre est un fauve qui ne se laisse pas dompter selon l’humeur de quelque aventurier qui le monte. Ce cavalier présomptueux ne pourra jamais donner des ordres à cette fougueuse monture, si tant est que la monture est le fauve en question et non le benêt qui le chevauche.
L’image est remarquable pour dire combien les libanais s’obstinent à ne pas retenir les leçons de leur propre histoire. Ils ne cessent de jouer à l’autruche qui refuse de voir le danger qui la guette.
L’autruche libanaise se cache la tête dans le sol ou se livre à des manœuvres de diversion qui ne feront que hâter le naufrage final. Elle fait appel à l’étranger pour trouver une issue au piège qui l’étrangle et dans lequel elle s’est elle-même laissée prendre. Décidément, cette autruche est suicidaire.
Le monde entier a les yeux rivés sur la guerre qui a lieu à la frontière libano-israélienne. Le monde entier appréhende l’escalade de la confrontation irano-israélienne sur le sol libanais. Le monde entier frémit à l’idée d’une possible guerre dévastatrice qui emporterait tout dans ses flammes. Le monde entier croise les doigts, sauf l’État libanais et sa caste politique. L’autruche fait comme si de rien n’était, comme si la vie peut allègrement se poursuivre des bars de Gemmayzé aux guinguettes de Batroun.
Tout le monde accueille l’envoyé français Le Drian, ou l’américain Hochstein qui a succédé à Hayle et Schenker. On suppute, on interprète la moindre mimique de ces « prophètes » d’outre-mer afin de deviner quel sera le futur locataire de Baabda. On attend le déplacement du Cardinal Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège. Il ne vient sans doute pas sauver les Chrétiens, mais plutôt consolider l’importance du Liban aux yeux du Vatican, comme expérience unique en Orient d’un État qui a su être l’antithèse d’Israël et de son régime d’apartheid; de l’Islamisme politique, cauchemar de la fin des temps ; des dictatures militaires les plus abominables de l’histoire ; mais également des dérives identitaires qui, par nature, sont marquées par le messianisme. En dépit de tout ce miraculeux bilan libanais, l’autruche ne veut rien savoir, ne veut rien voir, ne veut pas faire face au danger. Et pourtant, le début de la solution commence au Liban même.
En matière de vacance présidentielle, imposée par le Hezbollah, il est temps que toute personnalité politique maronite boycotte sa propre candidature sous la protection du Hezbollah. L’expérience désastreuse de 2016 est éloquente en la matière. Que le Hezbollah gouverne lui-même au lieu de mener le carrousel indigne du consensus qui maquille la dictature de cette milice. Les considérations confessionnelles sont devenues aujourd’hui contre-productives. Le système du partage sain des charges, selon les critères confessionnels, ne protège plus aucune communauté libanaise. Au contraire, il ne fait que renforcer la mainmise du Hezbollah et de son sectarisme.
Une escalade guerrière se déroule au Liban-Sud dans le silence total du gouvernement et des autorités. Le ministre iranien par intérim des Affaires Extérieures se fend d’une déclaration belliqueuse à l’égard d’Israël si jamais le Liban est attaqué. Beyrouth ne réagit pas sauf par la bouche du Premier ministre qui déclare son intention de saisir les autorités de l’ONU contre Israël. On a le droit de sourire.
Il faudrait rappeler qu’après les déclarations du ministre iranien, son homologue libanais aurait dû convoquer, toutes affaires cessantes, l’ambassadeur d’Iran à Beyrouth pour protester officiellement d’une telle atteinte à la souveraineté de l’État libanais.
Quant au Premier ministre Mikati, on peut lui conseiller qu’il serait impératif, avant de saisir les instances internationales, de proclamer une déclaration par laquelle il décharge la République Libanaise de toute responsabilité dans la guerre que se livrent sur son sol deux puissances étrangères.
Mais l’autruche demeurera invariablement autruche et mourra sans même se rendre compte que sa tête est en réalité enfoncée dans son propre tombeau.