Le pays du cèdre et l’Etat hébreu, techniquement en état de guerre, débutent des pourparlers mercredi sur le tracé de leur frontière maritime. Un accord de démarcation pourrait débloquer l’exploration de cette zone, réputée très riche en gaz.
Entre Israéliens et Libanais, l’appât du gaz est plus fort que les vieilles animosités. Les deux voisins, entre lesquels le sang a beaucoup coulé et qui sont techniquement toujours en état de guerre, ont engagé, mercredi 14 octobre, des pourparlers sur leur frontière maritime.
Ces négociations bilatérales, une première entre les deux pays en près de quarante ans, visent à tracer la ligne de partage de leur zone économique exclusive (ZEE), l’espace de 200 milles marins à partir des côtes où les Etats sont souverains en matière d’exploitation des ressources. Un accord de démarcation officiel pourrait débloquer l’exploration de ces eaux, qui sont réputées très riches en gaz.
Les deux délégations, composées de militaires et de spécialistes des questions énergétiques, se retrouvent à Naqoura, dans le sud du Liban, au quartier général de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), en présence de l’Américain David Schenker, secrétaire d’Etat adjoint chargé du Proche-Orient. Le processus de négociation est placé sous les auspices de l’ONU, les Etats-Unis y jouant le rôle de médiateur. L’enjeu est particulièrement important pour le Liban, un pays en faillite, menacé de dislocation, dont le gouvernement est démissionnaire depuis deux mois.
La délimitation des ZEE, rendue urgente par la découverte de nombreux gisements gaziers, à la fin des années 2000, en Méditerranée orientale, bute sur un espace maritime de 860 km2, que chacune des deux parties revendique. En 2011, le diplomate américain Frederic Hof a proposé une ligne frontière, attribuant environ 60 % de la zone disputée au Liban et 40 % à Israël. Mais cette offre s’est toujours heurtée à une fin de non-recevoir de Beyrouth, qui s’estime souverain sur la totalité des 860 km2.
Retournement de situation
Le Hezbollah, né dans la lutte contre l’occupation israélienne du sud du Liban entre 1982 et 2000, endurci dans la guerre de 2006 contre l’armée israélienne, a longtemps été à la pointe de ce refus. Le mouvement chiite pro-iranien, classé « terroriste » par Washington, estimait que l’ouverture de négociations avec son ennemi juré équivaudrait à une reconnaissance de celui-ci, une ligne rouge infranchissable.
Ces préventions sont désormais caduques. Si l’on met à part les contacts mensuels entre officiers des deux bords, arrangés par la Finul, c’est la première fois que des représentants d’Israël et du Liban se retrouvent face à face depuis 1983. Cette année-là, en pleine guerre civile, le président libanais Amine Gemayel avait conclu un accord-cadre avec l’Etat hébreu, ouvrant la voix à un possible traité de paix, qui avait été révoqué l’année suivante par le Parlement.
Ce retournement de situation, totalement inattendu, s’explique d’abord par l’évolution de la conjoncture gazière. Les résultats décevants du premier forage, réalisé au large de Beyrouth, par le consortium international chargé de l’exploration des côtes libanaises, qui est emmené par Total, ont échaudé les élites politiques locales. Lancer un second forage, dans le Sud, la région la plus prometteuse, leur est apparu soudainement impératif, ce qui suppose de régler la question de la zone disputée.
L’impatience du Liban est d’autant plus grande que ses voisins – Israël, Chypre, l’Egypte et la Grèce – ont pris beaucoup d’avance dans le domaine gazier. Preuve en est la signature en janvier d’un projet de gazoduc, reliant les gisements de ces pays avec le marché européen. « Les Libanais voient les choses leur passer sous le nez, explique Nicolas Hawie, un expert de l’Institut français du pétrole. Ils redoutent que Total, qui a jusqu’à mai pour effectuer le second forage, ne décide de se désengager, du fait de l’épidémie de coronavirus et des troubles politico-économiques qui ébranlent le pays. »
« Troc politique »
Ces difficultés, que l’explosion dévastatrice du 4 août sur le port de Beyrouth a exacerbées, pèsent aussi dans la balance. Les chefs communautaires, conspués par la rue et vilipendés par le président français, Emmanuel Macron, ont un besoin urgent de restaurer leur crédibilité, tant en interne que sur la scène internationale. Un accord avec Israël pourrait les y aider, même si le renflouement des caisses du pays par l’exportation d’hydrocarbures n’est pas pour demain. « Après une découverte de gaz, il faut compter sept ou huit années avant la mise en vente », prévient Nicolas Hawie.
Le troisième facteur expliquant le revirement des autorités libanaises est d’ordre géopolitique. En levant leur veto à toute tractation avec Israël, le Hezbollah et son principal allié, le parti chiite Amal du président du Parlement Nabih Berri, cherchent probablement à amadouer les Etats-Unis, qui ont décrété des sanctions contre eux. « Nous redoutons que tout cela ne conduise à un troc politique, une levée des pressions en échange d’un mauvais accord », pointe Diana Kaissy, de la Lebanese Oil and Gas Initiative.
Pour rassurer les partisans du tandem chiite, Nabih Berri assure que la frontière terrestre fera aussi l’objet de négociation, en parallèle du dossier maritime. Une façon de ranimer la question des fermes de Chebaa, un territoire occupé par Israël, revendiqué par le Liban, mais attribué à la Syrie par l’ONU. Le Hezbollah a fait de la libération de ce secteur l’un de ses principaux arguments pour refuser d’abandonner son arsenal.
« Si le Liban adopte une attitude pragmatique, le problème peut être résolu en quelques mois, affirme une source israélienne haut placée. S’il cherche au contraire à obtenir une victoire sur “l’ennemi sioniste”, alors nous serons coincés et nous continuerons à débattre pour les dix prochaines années, comme nous venons de le faire. »