(Portrait de Léon XIV au balcon de l’hôpital psychiatrique de la Croix, à Jal el-Dib, au Liban)
*
Des mains présidentielles ou royales, Léon XIV en a serré des dizaines depuis son élection, le 8 mai dernier. Mais saluer un chef d’État à la descente d’un avion, honorer la garde nationale qui présente les armes et embrasser des enfants en costume traditionnel, le pape américain ne l’a encore jamais vécu.
Ce protocole l’attend ce jeudi à Ankara, capitale de la Turquie, puis dimanche aprèsmidi, à Beyrouth, au Liban. Pour le 267e successeur de saint Pierre, ce sera le premier voyage « hors d’Italie », comme le présente le Vatican. À 70 ans, Léon XIV, religieux globe-trotteur avant d’être élu pape, inaugure là son pontificat géopolitique.
Combien fera-t-il de voyages ? François avait effectué 46 déplacements et Benoît XVI 23, dont le dernier au Liban. Quant à Jean-Paul II, il avait accompli 104 tournées internationales. Lancés par Paul VI en 1964, les voyages pontificaux sont devenus une mission à part entière de la papauté, où la mystique se mêle à la géopolitique. Quelle que soit la religion dominante, les pays considèrent la venue du chef de l’Église catholique comme un honneur rendu à leur culture et à leur histoire. Jamais le pape ne s’impose, il est toujours invité.
De ce point de vue, la Turquie – musulmane à plus de 99 %, les catholiques pèsent 0,04 % de la population – constitue une étonnante entrée en matière pour Léon XIV. Cette destination devait être le dernier voyage de François, programmé pour mai dernier. Un déplacement essentiellement motivé par la célébration, cette année, du 1 700e anniversaire du concile de Nicée-Constantinople, qui eut lieu dans l’actuelle Iznik, au sud-est d’Istanbul. Léon XIV s’y rendra vendredi après-midi. Là-bas, sous les eaux d’un immense lac, on distingue les traces d’une basilique où se déroula ce premier concile œcuménique, convoqué le 20 mai 325.
Léon XIV y rencontrera le patriarche orthodoxe de Constantinople, Bartholomée. Les deux chefs d’Église proclameront ensemble, en signe d’unité, le fameux Credo que tous les chrétiens récitent à l’église ou au temple chaque dimanche. Sous la conduite de l’empereur Constantin, ce texte fut laborieusement rédigé au IVe siècle pour tenter d’unifier des Églises chrétiennes déjà très divisées. Il fallait réagir contre la thèse à succès d’Arius, un prêtre qui professait que le Christ, homme, ne pouvait pas vraiment être de nature divine. Ce concile trancha en affirmant que le « Fils » est de même substance que le « Père ». « Homoousios » fut le terme choisi, il se traduit par « consubstantiel ». Parmi ses multiples rendez-vous turcs, Léon XIV se rendra aussi à la mosquée du Sultan Ahmet – la Mosquée bleue -, à Istanbul, que Benoît XVI avait visitée en 2006.
Autre point fort de ce premier voyage international du pape Léon XIV, sa visite, mardi 2 décembre, au port de Beyrouth. À l’endroit même où, le 4 août 2020, une terrible explosion avait fait 235 morts et des milliers de blessés. Ce drame avait plongé le pays du Cèdre dans une crise économique et politique dont il est loin d’être sorti. Premier pape à se rendre sur les lieux, Léon XIV pourrait demander des comptes pour les familles des victimes, car l’enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités dans cette tragédie est toujours ouverte.
Au cours de son séjour libanais, le nouveau pape ira prier sur la tombe de saint Charbel Makhlouf (1828-1898), un moine ermite, saint protecteur du Liban. Ce geste, sans mot dire, touchera au cœur les Libanais chrétiens. Ce premier voyage permettra ainsi de confirmer le style de Léon XIV, très axé sur l’exemple, l’intériorité et la prière.
Ce pape disciple de saint Augustin aime d’ailleurs citer cette phrase de son maître spirituel lors des crises : « Vivons bien, et les temps seront bons. Nous sommes les temps. » Comme si l’attitude personnelle de chacun pouvait changer le monde par effet de rayonnement. De ce point de vue, l’actualité libanaise, pays à 44,8 % catholique, est bien morose. Beaucoup se sont même demandé, à Rome, si l’étape libanaise devait être maintenue après la frappe spectaculaire d’Israël, dimanche dernier, à Beyrouth, contre l’appartement où se trouvait l’un des plus hauts cadres du Hezbollah, Haytham Ali Tabatabai, mort sur le coup.
Mardi soir, en quittant Castel Gandolfo, où il a pris l’habitude de se retirer chaque début de semaine pour se reposer, faire du sport (natation et tennis) et préparer ses dossiers, le pape a sobrement reconnu que cette action israélienne était « préoccupante » mais qu’il était « très content » de visiter le Liban pour y apporter « une parole de paix et d’espérance ». Demandant aux belligérants « de trouver des moyens d’abandonner l’utilisation des armes comme mode de résolution des problèmes », il estime que « l’unité des chrétiens peut aussi être une source de paix pour le monde entier ». Voilà la clé de ce premier déplacement.
Dimanche dernier, dans une lettre apostolique intitulée « In unitate fidei » (« dans l’unité de la foi »), Léon XIV a appelé tous les chrétiens du monde, catholiques, orthodoxes et protestants, concernés par l’anniversaire du concile de Nicée et son Credo, à un sursaut d’unité pour favoriser la paix. « Ce qui nous unit est vraiment bien plus grand que ce qui nous divise !, a-t-il plaidé, se plaçant en chef d’Église et non en chef d’État. Dans un monde divisé et déchiré par nombre de conflits, l’unique communauté chrétienne universelle peut être un signe de paix et un instrument de réconciliation, contribuant de manière décisive à un engagement mondial en faveur de la paix. »
Mais cela suppose une « conversion » radicale, écrit-il, car « l’amour de Dieu sans l’amour du prochain est hypocrisie ». Lors de cette tournée au Proche-Orient, Léon XIV entend opposer à la radicalité de la violence la radicalité de l’amour.

