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Monsieur l’ancien Président,
Il est des noms qui résonnent dans l’histoire comme des jalons de fierté nationale. Et puis il y a les autres – ceux qui s’accrochent comme une tache indélébile sur le tableau des échecs. Votre nom, Monsieur l’ancien Président, appartient sans conteste à cette seconde catégorie. Vous avez eu l’audace de prétendre incarner le sauveur d’un Liban que vous avez méthodiquement, inéluctablement conduit au bord de l’abîme – en « enfer ».
Vous avez gravi les échelons du pouvoir, au fil des années, en brandissant le slogan de « libérateur » de la nation, jaloux de votre laïcisme, puis des « droits des chrétiens », toujours mû par l’opportunisme politique et l’obsession du pouvoir. Mais ce que vous avez légué à votre communauté et à la nation, c’est un pays exsangue, vidé de ses jeunes talents, et livré à une milice étrangère.
Vous vous êtes autoproclamé « président fort », mais l’histoire retiendra que votre force n’a jamais dépassé celle que le Hezbollah vous prêtait pour mieux s’assurer de votre servitude volontaire.
Ironie du sort, Monsieur, la véritable rupture avec votre héritage n’est pas venue de vos adversaires, mais de votre successeur, Joseph Aoun. Avec son discours d’investiture, il a fait en quelques phrases et en quelques instants ce que vous n’avez jamais réussi en six ans : redonner aux Libanais un espoir, aussi fragile soit-il, d’un retour à la souveraineté et à l’État de droit.
Que ce discours se traduise par des actes, tout le monde l’espère de tout cœur – mais il a au moins eu le mérite de reléguer votre « aounisme » populiste et destructeur au rang de mauvais souvenir, une aberration politique que l’on évoquera avec honte dans les manuels d’histoire.
Sous votre règne, la Constitution est devenue une abstraction que vous tordiez à volonté pour justifier vos caprices et ceux de votre entourage, à commencer par votre gendre et vos conseillers.
Vous, le président qui jurait de défendre l’État, avez été son fossoyeur, sacrifiant son intégrité territoriale, ses institutions et son économie sur l’autel d’une alliance mortifère avec une milice qui a fait du Liban un vaste champ de ruines et de désolation, teinté du sang des souverainistes, plaque tournante du trafic de drogue et du blanchiment d’argent.
Votre quête de grandeur, Monsieur, s’est révélée être une farce tragique – et les dernières turpitudes de l’un de vos députés au Parlement, son machisme, sa condescendance, sa vulgarité, sa testostérone de supermarché, résument parfaitement la caricature décadente qu’est devenu, depuis votre retour d’exil, le courant que vous avez créé.
Vous avez pris la pose du chef d’État visionnaire, mais ce que vous avez incarné, c’est un sectarisme à peine déguisé, un autoritarisme piteux, et la soumission pure et simple à un projet impérialiste, avec des alliés que vous insultiez quelques années auparavant, de Paris, au nom de votre exigence de souveraineté, qui vous poussait aussi à traiter tout autre souverainiste que vous d’opposant-fantoche.
Vous avez voulu être le « président des chrétiens », mais en réalité, vous n’avez été que le président d’un parti, d’un clan, et, surtout, le symbole d’un effondrement national inédit.
Avec l’élection de Joseph Aoun, le Liban semble – osons l’espérer – tourner définitivement la page de votre mandat, et avec lui, et avant lui, des décennies de chaos et de non-État.
Mais il faut être honnête : ce ne sera pas une tâche facile. Vous avez laissé derrière vous un champ de ruines, une nation divisée, des institutions vidées de leur sens, une crise économique et financière sans précédent, et une destruction sans pareille dont vous assumez une responsabilité morale, puisque c’est sous votre règne que la milice a renforcé son infrastructure en toute impunité.
Nul n’oubliera jamais, dans ce cadre, le cataclysme du 4 août et l’insoutenable légèreté dont vous avez fait preuve face à cet événement et aux familles des victimes.
Ironie suprême : si l’histoire vient à évoquer encore le « aounisme » dans l’avenir, ce ne sera pas pour parler de vous, mais de celui qui porte désormais le lourd fardeau de reconstruire tout ce que vous avez détruit.
Votre « président fort » est mort ; vive le président qui, espérons-le, sera enfin un chef d’État digne de ce nom.
Monsieur l’ancien Président, l’histoire jugera.
Mais si elle a une once de justice, elle inscrira votre nom non pas dans le marbre des grands hommes, mais sur une page sous la forme d’une mise en garde, d’une petite note de bas de page pour rappeler aux générations futures ce que l’ambition démesurée et la compromission peuvent coûter à un pays.
Veuillez agréer, Monsieur l’ancien Président, l’expression d’un soulagement collectif : celui de voir, enfin, la fin de votre héritage, qui, voulant se prévaloir de De Gaulle, n’a finalement été qu’un ersatz de Pétain. Ou encore, plus près de nos contrées, qui rêvait de marcher sur les pas de Fouad Chéhab, et qui, in fine, n’aura été que l’ombre d’un Émile Lahoud.