Comment Vladimir Poutine étend son réseau d’« influenceurs » en Europe

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L’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder (ici, en 2018, au Kremlin lors l’investiture présidentielle de Vladimir Poutine) préside le conseil d’administration de Rosneft. 

 

Après d’anciens chanceliers allemand et autrichiens, François Fillon devrait rejoindre le conseil d’administration d’une société pétrolière russe.

 

C’est le premier gros poisson français que Vladimir Poutine attrape dans ses filets. L’ancien premier ministre François Fillon devrait rejoindre le conseil d’administration de Zaroubejneft, un groupe pétrolier détenu à 100 % par l’État russe. L’offre lui a été faite par un décret du gouvernement russe, signé par le premier ministre Mikhaïl Michoustine.
Jusque-là, le Kremlin, pour acheter de l’influence politique, pêchait surtout dans les eaux autrichiennes et allemandes. L’Autriche est le pays qui fournit le plus grand nombre d’anciens hauts responsables aux projets économiques et politiques de la Russie. L’ancien chancelier (2000-2007) conservateur Wolfgang Schüssel a rejoint en 2019 le conseil des directeurs de Lukoil, le plus grand groupe pétrolier russe. Alfred Gusenbauer, ancien chancelier social-démocrate (2007-2008) est membre du « Dialogue des civilisations », une organisation fondée par un proche de Vladimir Poutine, l’ancien officier du KGB Vladimir Iakounine, pour pousser les intérêts de la politique étrangère russe en Europe. L’ancien ministre des Finances (2014-2017) conservateur Hans Jörg Schelling est conseiller du gazoduc Nord Stream 2 depuis 2018. L’ex-chancelier (2016-2017) social-démocrate Christian Kern est membre du conseil des directeurs de Russian Railways depuis 2019. Enfin, l’ancienne ministre des Affaires étrangères (2017-2019) Karin Kneissl, qui avait invité Vladimir Poutine à danser une valse lors de son mariage avec un homme d’affaires en 2018, a été nommée membre du conseil des directeurs du géant pétrolier Rosneft.
Tango noir 
Pourquoi l’Autriche ? « Sans doute parce que c’est un pays neutre, qui n’est pas membre de l’Otan, qui possède un secteur bancaire et énergétique très développé et a une certaine tolérance vis-à-vis des régimes autoritaires », explique Anton Shekhovtsov, directeur du Center for Democratic Integrity de Vienne et auteur d’un livre, Tango noir, consacré aux liens entre la Russie et l’extrême droite occidentale. Il ajoute : « La politique étrangère n’est pas très importante pour les Autrichiens. Ils sont prêts à coopérer avec tout le monde si c’est dans leur intérêt, notamment avec la Chine et la Russie. Surtout si c’est l’Allemagne – avec laquelle ils partagent la même ligne politique vis-à-vis de la Russie – qui le demande… »
Ancien agent de la Stasi 
Car en Russie, l’Allemagne est considérée comme l’un des principaux fils conducteurs de l’influence politique et économique de Moscou. C’est là que le Kremlin a ferré sa plus grosse prise, l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, au conseil de surveillance de Nord Stream depuis 2005 et président du conseil d’administration de Rosneft depuis 2017. C’est aussi là qu’il a recruté, pour le placer à la direction de Nord Stream et au conseil des directeurs de Rosneft, l’ancien agent de la Stasi Matthias Warnig, devenu ami de Vladimir Poutine quand il était officier du KGB à Dresde. À eux seuls, les deux hommes symbolisent les liens personnels entre l’Allemagne et la Russie. Leurs liens avec Vladimir Poutine éclaboussent indirectement Angela Merkel, qui s’est battue jusqu’au bout pour obtenir la poursuite de Nord Stream 2, malgré l’opposition de nombreux pays européens, dont la France.
En recrutant des grands noms de la politique européenne à la retraite, Vladimir Poutine consolide le prestige des grandes compagnies d’État russes. Mais il achète surtout des réseaux politiques et l’influence que les anciens responsables exercent toujours dans leur pays. C’est en partie sous l’influence de Gerhard Schröder et de Matthias Warnig que les hommes d’affaires allemands ont pris position contre les sanctions imposées à la Russie. « Avec l’Europe, Moscou préfère négocier sur le prix de l’influence et des contacts d’une personnalité plutôt que de miser sur la volonté de dialogue des hommes politiques, considérée comme une marque de faiblesse. La Russie considère qu’il est plus efficace d’acheter l’influence d’individus plutôt que de dialoguer avec une Europe qui n’a pas l’ambition d’exercer une position dominante dans le monde », commente Anton Shekhovtsov.
Aujourd’hui, le Kremlin, c’est nouveau, recrute aussi des responsables politiques considérés dans leur pays comme des petites pointures, comme l’ancienne ministre autrichienne Karin Kneissl, qui n’a ni réseaux ni influence. « Le message du Kremlin est clair : vous pouvez nous rejoindre même sans réseaux. Pas besoin d’être connu, il vous suffit d’avoir une attitude favorable à la Russie, par exemple de militer pour la levée des sanctions », analyse l’auteur de Tango noir.
La stratégie fonctionne moins bien avec Paris et Rome. En Italie, le seul véritable ami de Vladimir Poutine, Silvio Berlusconi, est encore en activité politique. En France, le Kremlin avait recruté en 2018 le banquier Jean-Pierre Thomas, ancien « M. Russie » de Nicolas Sarkozy, à la tête du géant de l’aluminium Rusal. Mais celui-ci avait dû quitter ses fonctions un mois plus tard sous la pression des États-Unis, qui exigeaient son départ pour lever les sanctions contre l’entreprise. Reste à savoir quelles seront les prochaines cibles européennes de Vladimir Poutine.
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