LE MONDE | 13.02.10 |
La Haye Correspondance
inq ans après l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri dans un attentat à la voiture piégée perpétré au coeur de Beyrouth, le 14 février 2005, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) ne compte ni accusés ni fugitifs. Son procureur, le Canadien Daniel Bellemare, affirme que « l’enquête avance », mais, à Beyrouth, le doute s’installe, même si le tribunal n’est plus aujourd’hui au centre du jeu politique libanais.
Régi par un accord signé entre le gouvernement et les Nations unies en juin 2007, sous l’impulsion de la France et des Etats-Unis, malgré l’opposition du Parlement libanais, le tribunal a toujours suscité la controverse. Aujourd’hui, l’enquête progresse lentement, dans un contexte politique et judiciaire semé d’embûches.
Ses premières conclusions, dès 2005, mettaient en cause la Syrie. Mais, après la libération de quatre officiers supérieurs libanais pro-syriens détenus pendant quatre ans puis libérés à la demande du tribunal, en avril 2009, Damas saluait une victoire. Ces libérations ne résultaient pas de conclusions erronées mais des méthodes des premiers enquêteurs : témoins douteux, promesses ou pressions sur d’autres, pièces à conviction récoltées hors des règles de l’art et inutilisables dans un procès.
Mais malgré ces erreurs de parcours, l’enquête avance. Le réseau des téléphones portables utilisés par les exécutants a été identifié. Il conduirait, selon certaines sources, à des responsables au sein même du mouvement chiite libanais Hezbollah. C’est ce qu’assurait un article publié en mai 2009 par le magazine allemand Der Spiegel, pointant des membres des opérations spéciales du Hezbollah. « Qui est la taupe ? », s’interrogeait alors un chercheur proche de l’enquête.
Même si les fuites tombaient à point nommé pour la majorité anti-syrienne, à quelques jours des élections législatives de juin, plusieurs sources jugent crédible l’essentiel des révélations du Spiegel. Mais elles ne dédouaneraient pas la Syrie. « Si on estime que c’est le Hezbollah, on peut assumer qu’il n’aurait jamais fait cela sans l’aval de la Syrie, et éventuellement l’aide de l’Iran », affirme une source au sein de l’enquête.
Mais même basée sur des éléments concrets, l’analyse ne suffit pas à monter un dossier judiciaire. « Il est impossible de pénétrer des groupes ou des organisations aussi importants que ceux qui ont commis l’attentat, et il est difficile de travailler dans un pays où il existe des zones de non-droit », affirme un autre enquêteur. Des groupes impossibles à infiltrer, des témoins qui disparaissent, une scène de crime passée au bulldozer le jour même de l’attentat : le tribunal travaille dans un contexte politique peu favorable.
Paris et Washington ont-ils toujours besoin du tribunal Hariri alors que la situation a changé et que les deux pays se sont lentement rapprochés de Damas ? Ils restent officiellement très attachés au tribunal, considéré « comme un moyen de pression » sur la Syrie, estimait dans un rapport publié en janvier 2009 l’organisation International Crisis Group (ICG). Le tribunal reste pour l’heure un joker, que chacun conserve dans son jeu.
Pour Peter Harling, responsable régional de l’organisation, basé à Damas, « à l’origine il y avait une décision politique, prise par une instance politique ; désormais, le processus est devenu judiciaire, il a une vie propre dont le calendrier est déconnecté des ambitions politiques qui lui ont donné naissance ».
Mais la discrétion du procureur Bellemare agace néanmoins les diplomates « qui essayent de lui tendre des pièges, mais il reste muet sur l’enquête », raconte une source proche du Quai d’Orsay. « Il est très prétentieux dans ses rapports avec les autres, notamment les autorités nationales et les services étrangers, et donc peu populaire. Il se sent surpuissant mais ne comprend pas bien les finesses du dossier. Il veut adapter des méthodes d’enquête traditionnelles canadiennes à une enquête politique sur un territoire qu’il ne contrôle et ne comprend pas », regrette un enquêteur.
Comme toute juridiction internationale, le TSL doit avancer des preuves. Sans elles, pas de procès. Si des services de renseignements occidentaux et régionaux en détiennent, l’équipe du procureur aura besoin de leur aide alors que les enquêteurs peinent à mesurer leur volonté réelle de coopération.
Pour poursuivre les auteurs de l’attentat, il faudra nécessairement que justice et diplomatie se rejoignent de nouveau. Le tribunal dispose de peu d’outils juridiques pour faire appliquer ses décisions. Seul le Liban a l’obligation de coopérer. Au printemps 2009, le président du tribunal, Antonio Cassese, a soumis des accords de coopération bilatérale à des pays de la région dont la Syrie, ainsi que d’autres Etats parmi lesquels la France et les Etats-Unis. Mais aucun n’a, à ce jour, été signé.
A La Haye, le tribunal souffre aussi d’un malaise, illustré par les démissions de hauts responsables enregistrées depuis un an. Dernière en date, celle du chef des enquêtes, l’Australien Nick Kaldas, qui quittera le tribunal fin février.