Le chef de l’Église maronite appelle les Libanais à surmonter leurs divisions pour ne pas être les jouets de forces hostiles
La Croix : l’armée libanaise encercle depuis dix jours les combattants du Fatah Al-Islam, retranchés dans le camp palestinien de Nahr-El-Bared. Quelle est la solution pour sortir de la crise ?
Cardinal Nasrallah Sfeir : La bonne solution, c’est qu’il y ait un nouveau gouvernement. Le gouvernement actuel est attaqué sévèrement et il fait ce qu’il peut pour maintenir l’ordre dans la mesure du possible. Il faut un gouvernement d’union nationale qui nous fasse passer cette période difficile.
Cette formule a déjà été utilisée plusieurs fois dans le passé et elle a permis de stabiliser la situation. Par ailleurs, le mandat du président de la République est arrivé à son terme. Il faut éviter un vide institutionnel au niveau de la présidence. Ensuite, il faudra procéder à de nouvelles élections parlementaires. Auparavant, une loi électorale devra être élaborée. C’est à ces conditions que les choses iront mieux.
Que peuvent faire le gouvernement et l’armée libanaise ?
* Ceux de Nahr-El-Bared sont venus d’un peu partout. Ce sont des hors-la-loi, des mercenaires qui viennent attaquer dans le but bien déterminé de déstabiliser le pays. Certains leur donnent des armes et de l’argent. Ce n’est pas tolérable. Dès qu’on s’est aperçu de leur dessein, on aurait dû ne pas les admettre dans les camps.
Mais le mal est fait et la tâche de l’armée est difficile, parce qu’elle veut atteindre les malfaiteurs sans toucher les habitants du camp. Il y a eu beaucoup de victimes, plus d’une trentaine, des jeunes gens qui ont été attaqués avant même de se rendre sur le champ de bataille. L’armée doit mettre fin à cette situation.
Comment analysez-vous ces événements ?
* Ce qui les provoque est déjà bien connu, par exemple la création d’un tribunal international. Beaucoup n’en veulent pas, des personnes aussi bien que des États. La crise de Nahr-El-Bared a été provoquée dans l’espoir d’entraver le processus de formation du tribunal et d’empêcher une entente interne et un règlement.
De même, 14 attentats ont été commis en 2005. Si leurs auteurs se sentent à l’abri, ils vont continuer. Le tribunal est le seul moyen de les détourner de leur noir dessein. Certains disent que cela va provoquer du désordre dans le pays, mais le désordre est déjà là. On tue et on continue à tuer.
La division politique des chrétiens ne risque-t-elle pas d’empêcher l’élection d’un nouveau président ?
* Je ne crois pas, mais j’aurais souhaité que les chrétiens soient unis. Certains disent que ce n’est pas nécessaire et que les chrétiens peuvent être dans deux camps différents. Je veux bien l’admettre, à condition qu’ils ne s’attaquent pas mutuellement, ce qui malheureusement n’est pas le cas. Ce n’est bon ni pour le pays, ni pour les chrétiens.
Le général Aoun a fait alliance avec le Hezbollah et se situe dans l’opposition au gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
* Il affirme qu’il a fait cette alliance pour contenir le Hezbollah et l’empêcher d’aller plus loin. D’autres chrétiens ne partagent pas son point de vue. Les faits sont là. Je demande aux chrétiens de ne pas se disputer, même si les uns sont dans la majorité avec Hariri et les autres dans l’opposition avec le Hezbollah.
Les chrétiens peuvent-ils s’entendre sur le nom du futur président, une fonction réservée aux maronites ?
* Ce n’est pas une chose facile, car il y a beaucoup de candidats. Chacun des deux camps a son propre candidat et ses attaches. Un candidat plus ou moins neutre pourrait percer, plutôt que le candidat d’un bord qui serait boycotté par l’autre. Ce n’est pas facile, mais c’est la meilleure solution. Le prochain président doit être élu avec le plus grand nombre de voix possible pour asseoir sa légitimité et avoir l’autorité nécessaire dans un rôle d’arbitre impartial, au-dessus de la mêlée.
Quelles sont les conséquences de l’instabilité politique et économique du Liban pour les chrétiens ?
* Des industriels sont venus me voir récemment et ils se plaignent de la stagnation. L’économie du pays est ruinée. Beaucoup de jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail ici sont obligés d’aller ailleurs, dans les pays arabes, en Australie ou au Canada. Quand ils partent aussi loin, il y a très peu d’espoir de les voir rentrer. C’est appauvrissant pour le pays. Un retour à la normale est nécessaire pour mettre fin à cette hémorragie.
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