Aux origines des militaires algériens

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Propos recueillis par Jean-Pierre Bat

Questions… Saphia Arezki, docteur en histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteure d’une thèse sur les officiers de l’armée algérienne, de la guerre d’Algérie à la fin des années 1980.

Qu’est-ce que l’ALN ?

L’Armée de Libération Nationale (ALN) est le bras armé du Front de Libération Nationale (FLN) créé le 1er novembre 1954 au moment du déclenchement de la guerre. L’ALN est alors un rassemblement hétéroclite d’hommes qui ne compte dans ses rangs qu’à peine un millier de combattants et ne dispose que de quelques centaines d’armes. Les actions sont peu coordonnées et il faudra attendre le 20 août 1956 et le congrès de la Soummam qui réunit plusieurs dirigeants de l’ALN pour qu’une première tentative de structuration et d’unification des forces voit le jour. Le territoire découpé en six wilayas et les structures de l’ALN sont définies, le traitement des combattants est unifié et réglementé en fonction des grades.

Que représente l’ALN au sortir de la guerre d’Algérie ?

En 1962, la guerre terminée, l’ALN retire un très grand prestige de sa longue lutte face à la France, même si la victoire est bien plus politique et diplomatique que strictement militaire comme l’ont par exemple montré les travaux de Matthew Connely (L’arme secrète du FLN, comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Blida, Media-Plus, 2002). L’essentiel des troupes stationnent aux frontières de l’Algérie et forment ce que l’on appelle l’armée des frontières. En effet, la construction à partir de 1956/1957 des barrages électrifiés au niveau des deux frontières de l’Algérie – la ligne Pédron à l’ouest et les lignes Morice et Challe à l’est – ont bloqué de nombreux combattants à l’extérieur du pays. C’est donc là que va prendre forme une armée qui deviendra le noyau de l’armée indépendante : l’Armée Nationale Populaire (ANP). Parallèlement, les forces intérieures des maquis ont commencé à décroître inexorablement.

En 1962, ce sont plus de trente mille hommes qui attendent aux frontières pour pénétrer sur le territoire algérien. L’entrée de cette armée en Algérie ne se fait pas sans heurts et il est très difficile de chiffrer le nombre de victimes de la crise qui éclate à l’été 1962. Certaines sources avancent le nombre d’un millier.

Tunisie, s.d., Passage de matériel de la ligne Morice sous le commandement des officiers – de gauche à droite – : Mostefa Belloucif, le photographe, Mohamed Zerguini, Slimane Hoffman, Houari Boumediene, Abdelhafid Boussouf, Mohamed [Rabah] Boutella

Que deviennent les cadres de cette armée après 1962 ?

Tout au long de la guerre, on voit émerger différents types de combattants appelés à devenir ensuite les cadres de l’armée indépendante. Ces hommes aux trajectoires variées connaissent après l’indépendance des carrières liées à leur profil particulier. Au fil de mes recherches, j’ai pu dessiner cinq groupes différents au sein de l’ANP.

On trouve chez les plus âgés d’entre eux deux groupes distincts d’hommes qui sont nés dans les années 1920, voire au début des années 1930 : d’une part les maquisards de la première heure qui ont rejoint la guerre dès 1954/1955, à l’image de Tahar Zbiri, et d’autre part les anciens de l’armée française que j’appelle de « première génération » qui ont combattu en Indochine et parfois lors de la Seconde Guerre mondiale. La plupart de ces hommes connaitront l’apogée de leur carrière sous la présidence de Houari Boumediene.

Vient ensuite une deuxième génération de militaires formée de deux groupes qui procèdent finalement des deux précédents : d’un côté des jeunes qui ont très souvent rejoint l’ALN au lendemain de la grève des étudiants de mai 1956 alors qu’ils étaient lycéens et qui ont pour beaucoup été envoyés en formation militaire au Moyen-Orient, en Chine et/ou en URSS en prévision de l’indépendance à venir. D’un autre côté on trouve les anciens de l’armée française de « seconde génération » qui ont rejoint l’ALN à partir de 1958 alors qu’ils sortaient à peine de l’école. Ces hommes occuperont généralement des postes de subalternes (chef d’état-major de région, direction d’arme, etc.) sous Boumediene et accèderont aux plus hauts postes de l’armée sous la présidence de Chadli Bendjedid.

Vient ensuite une troisième génération d’hommes qui n’a que très peu combattu durant la guerre du fait de leur jeune âge (ils sont nés dans les années 1940 voire 1950) et a intégré l’ANP après 1962. Il s’agit là des professionnels, jeunes, formés d’abord en Algérie puis à l’étranger, essentiellement en URSS et en France. Il apparaît que c’est plutôt dans les années 1990, 2000 que ces hommes accèdent aux plus hautes responsabilités de l’armée.

http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/

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