Affaire Taha Bouhafs: «C’est à la justice de se prononcer, pas au tribunal de la France insoumise»

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«Le mouvement explique publiquement que l’affaire Bouhafs a été « réglée » en interne» AFP 

 

FIGAROVOX/TRIBUNE – Investi par la France insoumise aux élections législatives, Taha Bouhafs a retiré sa candidature après des accusations de violences sexuelles. La juriste Louise El Yafi déplore que le mouvement ait cherché à gérer cette affaire en interne.

Si la semaine passée fut abondante en exemples abjects de l’hypocrisie de militants qui n’ont décidément de féministe que le nom, cela fait pourtant bien longtemps que les mêmes ont oublié qu’en France, la morale ne se confond que rarement avec le droit.

Alors que l’histoire du féminisme est une histoire d’égalité et d’émancipation acquise par le droit, le néo féminisme, lui, s’illustre par son extraordinaire rejet de ce même droit. «L’affaire Bouhafs» en est la triste et dangereuse illustration.

Entre mépris de la présomption d’innocence, sélection soigneuse de qui sera coupable et de qui sera innocent, détestation de la police et dissuasions médiatiques de porter plainte, les «féministes» de la France pas si insoumise détestent le droit et par là même, vulnérabilisent les femmes plus qu’elles ne les défendent.

Ainsi lorsque le mouvement explique publiquement que l’affaire Bouhafs, qui, rappelons-le sans bémol, est présumé innocent, a été «réglée» en interne, encore faut-il vérifier de quoi ce règlement de comptes en famille est le nom.

Cette «procédure» se serait faite par le biais du Comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI, commission interne composée de militantes bénévoles du parti dont la page web parle de «saisine» (interne), de «signalement» (interne), «d’instruction du dossier» (interne) mais à aucun moment d’encourager les victimes à porter plainte (au judiciaire). Après enquête de cette même commission, ce serait au tour d’un «Comité de respect des principes», «seul habilité à prendre des décisions au nom du mouvement à l’égard de l’auteur présumé des faits», et tout cela au regard des «textes, des valeurs, des principes et des orientations de LFI».

La France insoumise doit en effet, au même titre que toute entreprise (le parti salarie des personnes), désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Or non seulement ce référent n’est pas en tant que tel une commission en charge d’enquêtes au regard du code du travail (art. L. 2314-1), mais la communication mise en place par le mouvement à la suite de cette affaire, a conforté comme la désagréable impression que les «féministes» de LFI n’hésitent pas à sacrifier la cause des femmes sur l’autel du Grand Soir.

Ainsi, lorsque Clémentine Autain explique que la démarche de LFI «vise à protéger les plaignantes ET le mouvement», qu’il s’agit «d’un acte politique» et que l’on apprend que les témoins en question ne porteront pas plainte afin de ne pas alimenter d’éventuelles attaques racistes à l’encontre de Taha Bouhafs, encore faudrait-il rappeler que ce distinguo entre les «bons agresseurs» et les «mauvais agresseurs» selon qu’ils soient ou non dans le bon camp politique et le fait de ne pas exercer de véritable action judiciaire par peur de décevoir «le Parti» n’est pas nouvelle. Surtout à gauche.

Ce fut par exemple le cas terrible d’Alfonsas Ceponis, soldat de l’armée rouge et membre d’un groupe ayant violé puis assassiné plusieurs personnes d’une famille lituanienne dont les survivants eurent la tragique surprise d’apprendre à la radio peu de temps après, et malgré leur plainte, que le Comité central du parti communiste d’Union soviétique avait décerné au dit Ceponis le titre de Héros de l’Union soviétique.

À l’Unef, en 2009, quand une militante ose enfin prendre la parole sur les multiples violences sexuelles ayant lieu au sein de l’organisation, on lui intime de se taire sous prétexte de protéger «ses camarades de valeurs» et parce que l’on soupçonne toujours une «machination politique». Autrement dit un (éventuel) gain de voix à la droite est prioritaire sur le traumatisme d’une femme.

On se souviendra également de la lente descente aux enfers d’un journaliste, licencié de Télérama en 2019 pour «agissements sexistes et harcèlement sexuel» qu’il a toujours démenti. En dehors de toute procédure judiciaire digne de ce nom, le dossier avait été «instruit», à charge, par le cabinet Egaé, fondé et codirigé par Caroline de Haas. Mais dans un État de droit, le droit, le vrai, a fini par parler et Télérama fut condamné pour licenciement abusif.

Or si La France Insoumise a feint la surprise devant les faits en accusant ses détracteurs d’être d’affreux racistes instrumentalisant cette affaire à leur détriment en vue des législatives, il faudra rappeler qu’avant même l’investiture de Taha Bouhafs, le parti ne pouvait ignorer les accusations de harcèlement qui le visaient au Média depuis déjà plusieurs mois, sa condamnation pour injure raciale en septembre 2021 ainsi que son savoureux verbatim tout en délicatesse envers tout opposant sur les réseaux sociaux.

Et si ce terrible labyrinthe du silence «pour la cause» n’est certainement pas l’apanage de la gauche mais d’une grande partie du monde politique, nous rappellerons également que lorsque l’on se dit de gauche, que le féminisme est né dans son propre camp, que c’est ce même camp qui l’a majoritairement défendu corps et âme tout au long du XXe siècle et que l’on passe son temps à crier à la moralisation du quotidien des Français sous prétexte d’égalité hommes-femmes, l’indulgence est forcément moins de mise.

Le fait pour ces militantes d’avoir constamment défendu les témoins de l’affaire Bouhafs en l’additionnant au sempiternel «nous condamnons aussi les attaques racistes qu’il a subi» revient à relativiser les agressions elles-mêmes. Si la méthode semble familière c’est parce que Mila en fut l’une des principales victimes.

Ce type de discours qui mélange volontairement dans le même communiqué deux infractions pénales pourtant parfaitement indépendantes l’une de l’autre procède en réalité de l’idée suivante: un violeur n’est pas égal à un autre violeur.

Ainsi, il y aurait à leurs yeux des «présumés innocents de gauche» dont il faudrait relativiser les actions et des «présumés coupables de droite» qu’il faudrait immédiatement condamner.

Sauf que, partant de ce principe, il y aura aussi, aux yeux de ces féministes en carton-pâte, des victimes «de gauche» (agressées par des mâles blancs cis) qu’elles défendront et des victimes «de droite» (agressées par des mâles «racisés») dont elles se ficheront éperdument.

Or si certaines voudraient nous faire croire que la couleur de l’épiderme du corps qui nous pénètre de force compte, une victime de viol n’est jamais violée par «un racisé qui risque des attaques racistes», une victime de viol est violée. Point à la ligne.

Ici se dessine une autre des nombreuses méconnaissances de notre droit par ces «néoféministes». En France, le droit consacre qu’un viol consiste en un «acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis sur la personne d’autrui» sans le consentement de ce dernier. Pas de différenciation physique, religieuse ou d’origine, il n’existe juridiquement aucune distinction entre les violeurs dans notre pays, excepté pour la peine qui pourra être augmentée dans le cas de circonstances aggravantes (mineur, viol ayant entraîné la mort…). La victime et le coupable peuvent être pauvres, riches, noirs, blancs, athées ou croyants, il n’y a tout simplement pas plus universel que le viol. Et à infraction universelle, notre terrible système raciste a répondu par des sanctions universalistes.

On ne sait pas à date si la commission interne de LFI a enjoint ou non aux témoins de garder le silence. Néanmoins, lorsque l’on fonde sa communication adressée aux femmes et a fortiori aux adolescentes connectées, sur l’idée que porter plainte «ne sert à rien» ou que cela peut «alimenter le racisme», des milliers de femmes y croient et ne vont pas porter plainte. Et les agresseurs recommenceront.

Et lorsque Sandrine Rousseau s’interroge «sur des affaires de cette gravité, quelle force politique a agi aussi rapidement et aussi nettement ?», qui pour lui rappeler qu’il n’a absolument jamais été le rôle d’une quelconque force politique d’agir sur ce type d’affaire mais qu’il a toujours été celui de la justice. La vraie.

Car pour rappel, de Condorcet qui souhaitait l’admission des femmes au «droit de cité», en passant par Olympe de Gouges et son projet de Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, le combat des suffragettes pour le droit de vote, celui pour l’avortement, à la reconnaissance du viol conjugal, l’égalité hommes-femmes a été une succession d’inscriptions dans le marbre de nos lois et s’est construite simultanément à la construction de notre État de droit.

Le droit est le plus grand outil d’émancipation des femmes car, en ce qu’il crée des recours pour faire respecter leurs droits devant un juge, il est l’instrument même de leur protection en tant qu’individu et donc de leur égalité avec les hommes.

D’immenses progrès restent à faire, l’accueil des victimes de violences sexuelles en commissariat est encore trop défaillant, la formation des policiers en la matière reste insuffisante et la constitution de preuves d’infractions souvent particulièrement complexes à démontrer donne parfois à l’ensemble de la procédure pénale l’impression d’une seconde violence pour les femmes qui vont porter plainte.

Il est cependant par ailleurs étrange que dans un État où la non-assistance en danger (art. 223-6 du Code pénal) et la non-dénonciation de crime (art. 434-1 du Code pénal) sont des délits, il n’existe aucune obligation à la charge de ces «commissions internes», non pas de forcer la victime à aller porter plainte mais tout du moins de lui conseiller de le faire.

Et le fait de s’autoproclamer «militantes féministes» en se faisant procureures d’une justice défaillante pour ensuite encourager les femmes à se faire justice par leurs propres moyens est un jeu particulièrement dangereux dont les victimes seront, encore, les femmes elles-mêmes.

Mais ces championnes de la morale se souviennent-elles de ce qu’ont fait les féministes lorsque le droit interdisait encore l’avortement ? Elles n’ont pas encouragé les femmes à aller (encore plus) se faire avorter «par leurs propres moyens».

Elles ont changé le droit.

 

*Louise El Yafi est juriste et animatrice de la chaîne Youtube Jezebel.tv. Elle a publié Lettre à ma génération – La jeunesse face aux extrêmes, aux éditions de L’Observatoire.

Le Figaro

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