Les deux Mistral à Saint-Nazaire.
© REUTERS/Stephane Mahe
FRANÇOIS DE LABARRE
@flabarre
Alors que le Premier Ministre François Fillon assurait dans un courrier en 2011, que nous révélons, que « le gouvernement de la République française » s’engageait en cas de problème à « assurer les remboursements dans les meilleurs délais », la France fait tout le contraire: négociations au rabais, demandes d’aménagement, reports des règlements aux calendes grecques…
A en croire les bonnes nouvelles distillées par l’entourage de François Hollande le week-end dernier, la non-livraison à la Russie des navires de type Mistral ne serait plus un problème. Pourtant, la presse russe est vent debout contre les Français, accusés de vouloir faire payer à Moscou les conséquences d’une décision prise à Paris. L’information ayant déclenchée ce torrent de remontrances est la révélation par le quotidien économique «Kommersant» dans son édition du 15 mai de la proposition des français de résilier le contrat pour la somme de 785 millions d’euros. «La France peut croire qu’elle peut rouler dans la farine», clame un expert militaire dans Ria Novosti. «Les Français ne savent pas gérer une entreprise», lance de son côté un député du parti démocrate Mikhaïl Degtyarev.
Cette offre jugée «indécente» n’a en effet pas été formulée par un industriel, ni un chef d’entreprise, mais par l’émissaire de Hollande en Russie Louis Gautier. Le patron du SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sûreté nationale), ancien conseiller de Jospin, est issu du sérail politique. Lors de sa première rencontre avec les industriels russes le 30 mars dernier, ces derniers constatent rapidement sa méconnaissance des détails du contrat. Ce n’est pas de sa faute. L’Elysée aurait exclu de ces discussions toutes personnes ayant participé aux premières tractations en 2011 à commencer par le patron des navires de surface du groupe naval militaire industriel DCNS Pierre Legros ou encore de l’ancien responsable du projet Yves Destefanis, mis à pied en octobre dernier à la demande du «Château». C’est donc flanqué de conseillers peu au fait de la complexité du contrat que Louis Gautier adresse sa proposition aux industriels russes le 30 mars dernier. Stupeur dans l’assistance: le chiffre de 785 millions d’euros ne correspond même pas à la totalité des acomptes versés déjà par les Russes. La non livraison des porte-hélicoptères devrait donc… coûter de l’argent aux clients.
MOSCOU RÉCLAME 1,163 MILLIARD D’EUROS
D’après le journal Kommersant, ces derniers auraient en réalité versé 892,9 millions d’euros. Les Russes sont d’autant plus agacé par la proposition que dans un document lié au contrat signé le 11 juin, que nous révélons ici, le Premier ministre de l’époque François Fillon assurait qu’en cas de difficultés d’exécution, «le gouvernement de la République française prendra toutes les mesures appropriées pour que lesdits paiements ou remboursements soient réalisés par DCNS dans les meilleurs délais.» Une promesse de gascon ! La manip permettait en fait d’éviter qu’une banque ne se porte caution. D’ailleurs, une lettre de la direction générale de l’Armement jointe au courrier (voir ci-dessous) précisait que la lettre du Premier Ministre permettait «d’éviter la mise en place de garanties bancaires pour les paiements intermédiaires».
Mais Louis Gautier ne désarme pas et réclame ensuite aux Russes de participer à hauteur de 50 % aux frais de démontage de leurs propres équipements des navires non livrés (sic). Ce sera un «niet» catégorique. Les Russes n’attendent pas moins que le remboursement total des sommes avancées à laquelle ils vont ajouter quantité de «frais annexes» dont la valeur semble évoluer proportionnellement à leur degré d’énervement. Les responsables du ministère de la Défense russe et les industriels sont d’autant plus irrités que depuis des mois plus personne à Paris ne répond au téléphone. C’est à la demande expresse du conseiller diplo de Poutine venu exprès à Paris que le Président Hollande a finalement accepté de désigner un interlocuteur pour régler la question. La somme des maladresses et impolitesses s’élève donc à… 1,163 milliard d’euros.
UNE ÉCHÉANCE FIN MAI
A Paris, un comité interministériel planche sur les façons d’intégrer cette somme au budget 2015. Bercy souffle au Président que le coût serait plus supportable si au moins il pouvait être ventilé sur plusieurs années. Aussi, lorsque le 25 avril, François Hollande rencontre Vladimir Poutine à Erevan, en marge du centenaire du génocide arménien, il lui demande plein d’aplomb des «facilités de paiement». Le Kremlin se prive de tout commentaire, mais laisse la presse tancer les manières de marchand de tapis du locataire de l’Elysée. «La France va marchander chaque écrou», ironise la radio russe Vesti-FM.
Alors que l’échéance arrive fin mai, un second round de négociation a eu lieu vendredi dernier à Moscou. Les Français tenteraient de faire ôter de la liste des frais à couvrir la construction des quatre modèles expérimentaux d’hélicoptères Ka-52. Les Russes accepteront-ils ? Aucune information n’a encore filtré. Si à en croire les messages des proches du Président Hollande le climat serait «apaisé», l’issue des négociations reste incertaine. Les Russes assurent une position de force car ils détiennent le document «End user», un certificat d’utilisateur final qui permet la revente des porte-hélicoptères à un pays tiers. Selon la presse russe, il ne sera remis qu’après le règlement d’une ardoise qui promet d’être salée.
Nota: Le document signé par François Fillon fait état d’un montant d’avances de 686 millions d’euros. Il est inférieur à l’acompte effectivement versé car d’autres contrats sont venus se greffer au projet notamment l’acquisition de deux engins de débarquement amphibie rapides (EDAR) de type L-Cat conçus par les Constructions industrielles de la méditerranée (CNIM) et plusieurs chalands de débarquements développés par DCNS et produit par la société STX.