« Rached Ghannouchi doit quitter Ennahda ! il mène le parti et le pays au désastre ! »
La crise islamo-islamiste bat son plein au sommet de l’État tunisien. Alors que le premier ministre Hamadi Jebali fait face aux ultras de son parti, le vice-président d’Ennahda, Abdelfattah Mourou, accuse Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste, de mener par son extrémisme le pays à l’abîme. Rencontre et interview.
Avec sa djellaba bleu ciel et sa chéchia pourpre, sa culture autant arabe qu’européenne, ses collections de poèmes, de livres rares et de violoncelles, Abdelfattah Mourou détonne parmi les personnages du sinistre théâtre de l’islamisme. C’est pourtant cet avocat de 65 ans, fils d’une couturière et d’un cafetier, né dans un quartier populaire de la capitale, qui a fondé l’islamisme tunisien dans les années 1970. « Bien avant Rached Ghannouchi qui m’a rejoint ensuite ! » tient-il à rappeler, étayant ainsi sa remise en cause totale du gourou d’Ennahda. Ghannouchi, président du parti islamiste, est en effet entré avec l’appareil dans une lutte fratricide contre le premier ministre Hamadi Jebali. Ce dernier veut former un nouveau gouvernement apolitique depuis le meurtre de l’opposant laïque Chokri Belaid.
La crise politique se dénouera ou s’aggravera demain samedi avec la victoire ou la démission de Jebali. Abdelfattah Mourou, vice-président d’Ennahda, a reçu Marianne le 14 février dans sa villa de la Marsa. Cet islamiste emprisonné sous Bourguiba et qui avait condamné en 1991 la violence prônée alors par Jebali et Ghannouchi, vit dans un décor baroque qui tient à la fois d’un magasin d’antiquités et d’un rêve de Pierre Loti. Des dizaines de théières s’entassent sur des guéridons qui côtoient des vitrines surchargées de verroteries turques scintillantes. D’énormes coffres cloutés s’entr’ouvrent sur des amoncellements de manuscrits. Des violons, des flûtes, des photos par centaines de Habib Bourguiba qui fut pourtant son ennemi. Des divans gracieux, art déco ou à l’ottomane, et des tableaux figuratifs de peintres tunisiens ou orientalistes.