Propos recueillis par Rémi Dupré
Lire notre entretien : Joseph Blatter : « Beaucoup pensent que je ne suis pas un mauvais gars »
Quel bilan tirez-vous de vos cinq mois passés à la présidence intérimaire de la FIFA ?
Il faut d’emblée indiquer que le fait d’être président intérimaire impose des limites. Je ne fais rien par intérêt personnel. Le football est un sport collectif où l’on gagne et perd en équipe, avec des règles du jeu qui doivent s’appliquer à tous. Ceci a toujours été ma perception de la manière dont la CAF, la FIFA ou toute autre organisation du même type doit être dirigée.
Ces derniers mois, le processus de réformes de la FIFA a suivi son cours, le calendrier a été respecté et nos engagements vis-à-vis de nos associations membres et partenaires ont été respectés.
Un changement culturel est-il nécessaire à la FIFA, minée par les affaires de corruption ?
Comme toute organisation digne de ce nom, la FIFA ne peut qu’être dynamique et doit veiller, en tant que centenaire, à rester en phase avec la marche du monde et les réalités de son temps. Si elle a réussi à prospérer pendant plus de cent ans, c’est qu’elle a su s’adapter. Pour continuer à se renouveler et consolider ses acquis, la FIFA doit à l’avenir effectuer une remise en cause permanente.
Pourquoi le prochain congrès électif est-il crucial pour le devenir de la FIFA ?
Ce congrès est déterminant parce qu’il devra répondre aux nombreuses attentes des uns et des autres et décider de deux choses importantes. Tout d’abord, nous allons effectuer un vote sur les réformes proposées par la commission, dont le travail a déjà été discuté et validé par le comité exécutif. Ensuite, il nous faudra procéder à l’élection du président à qui reviendra la responsabilité de mener à bien ces réformes.
Le comité exécutif de la CAF a décidé à l’unanimité de soutenir la candidature du cheikh Salman de Bahreïn. Dans quelle mesure pouvez-vous faire preuve de neutralité dans la campagne ?
Par une délégation de pouvoir signée le 16 janvier en faveur du premier et du deuxième vice-président de la CAF, je me suis désengagé de tout ce qui a trait au processus électoral au niveau de la CAF. De ce fait, je n’ai pas pris part le 5 février au débat et à la délibération qui ont abouti au soutien de cette candidature.
Comme précédemment indiqué, j’ai toujours réglé ma boussole sur les règles qui codifient le fonctionnement des institutions auxquelles j’appartiens. Je m’acquitterai donc de mes responsabilités dans le strict respect des prérogatives qui me sont reconnues. J’ai d’ailleurs tenu, en conformité avec les statuts de la CAF et en accord avec son comité exécutif, à déléguer à ses deux vice-présidents la prérogative de conduire la délégation africaine à ce congrès électif. Cette délégation de pouvoirs participe justement de ma volonté de rester neutre et de m’imposer une distance vis-à-vis des tractations électorales.
Pourquoi n’avez-vous pas songé vous-même à vous présenter le 26 février ?
Lorsque j’ai été nommé président par intérim à la suite de la sanction provisoire infligée au président élu de la FIFA, j’ai clairement indiqué que je n’entendais pas être candidat à cette élection. Il y a certes eu des sollicitations pour que je revienne sur cette décision. Mais je ne l’ai jamais envisagé. Pour des raisons personnelles qui étaient relatives à mon état de santé à ce moment-là[Issa Hayatou a subi une transplantation rénale en novembre 2015], mais également pour des raisons contextuelles pertinentes.
La période était déjà assez trouble comme cela. Si j’avais décidé de me lancer dans la course, tout mon travail aurait été diversement interprété. Déjà, comme vous avez dû le constater, bien que je ne sois pas candidat, on entend quelques procès d’intention fleurir à mon égard [le prince jordanien Ali Ben Al-Hussein, candidat à la présidence de la FIFA, a notamment condamné un protocole d’entente entre la CAF et la Confédération asiatique de football, que dirige le cheikh Salman].
Les fédérations africaines étaient très liées à Sepp Blatter et à sa vision « universelle » du football. Elles l’ont soutenu durant tout son règne.
La CAF, créée en 1957, continuera à se positionner avec fierté par rapport à ses intérêts et soutiendra toujours les personnes qui la défendent au mieux, avec des valeurs qui sont les nôtres : la solidarité et le respect de la parole donnée.
Quel est votre point de vue sur les critiques dont vous faites régulièrement l’objet, notamment en Grande-Bretagne, et qui mettent en doute votre probité ?
Cette antienne est éculée. Cela fait des années que l’on entend les mêmes insinuations sans qu’aucun élément de preuve ne soit jamais apporté. Il est dommage que, sous couvert du droit à l’information, des journalistes britanniques notamment, largement repris par leurs confrères occidentaux – dont on se demande s’ils sont de véritables journalistes, c’est-à-dire au service de la vérité –, portent atteinte à mon honorabilité. Mais je n’ai que ma conscience et Dieu comme seuls juges.
Craignez-vous des poursuites à l’avenir ?
Comme je l’ai toujours répété, je n’ai rien à me reprocher et je mets quiconque au défi d’apporter un seul élément qui puisse justifier le moindre doute sur ma probité. Vous imaginez bien que s’il y avait une seule once de vérité dans toutes les fadaises qui s’écrivent et se racontent, souvent avec des relents de racisme, je ne serais plus là aujourd’hui.
Phaedra Almajid, l’ex-responsable de la communication du comité de candidature qatari au Mondial 2022, vous accuse d’avoir réclamé, lors du congrès de la CAF de janvier 2010, 1,5 million de dollars (1,3 million d’euros) en échange de votre vote onze mois plus tard en faveur de l’émirat.
Mme Almajid est une affabulatrice et fait référence à des événements qui n’ont jamais existé. Elle évoque des personnes qui n’étaient même pas à Luanda au moment des prétendus événements. Notamment messieurs Amos Adamu et Jacques Anouma [alors membres africains du comité exécutif de la FIFA, également accusés par Phaedra Almajid].
Craignez-vous qu’une nouvelle action de la justice américaine, visant des membres du comité exécutif de la FIFA ou des représentants des fédérations nationales, ait lieu juste avant le congrès ?
Je ne suis pas en mesure de connaître l’agenda de la justice américaine et le timing de ses procédures. A titre personnel, je n’ai aucune crainte. Les institutions ont vocation à survivre aux hommes et je suis convaincu que la FIFA ne déroge pas à cette règle. Elle s’est d’ailleurs engagée à apporter toute la collaboration nécessaire pour faire éclore la vérité dans ces affaires qui, comme je l’ai toujours répété, concernent des individus ayant occupé, pour certains, des positions de premier plan au sein de la FIFA, mais pas l’organisation et la personne morale qu’est la FIFA.
Le ministère public de la Confédération helvétique enquête actuellement sur l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022, à la suite d’une plainte de la FIFA. Selon vous, le prochain président de la FIFA devrait-il organiser un nouveau vote d’attribution si des preuves de corruption étaient établies ?
Chaque chose en son temps. Il faut déjà que le prochain président soit élu et que les enquêtes soient bouclées… Et peut-être qu’après cela, le comité exécutif devra se réunir pour prendre les mesures qui s’imposeront. Personne ne peut préjuger de quoi demain sera fait. La FIFA a elle-même lancé une enquête interne sur la question, dont les conclusions [en novembre 2014, la FIFA avait publié une synthèse faite à partir du rapport d’enquête de Michael J. Garcia, lequel avait démissionné dans la foulée]n’ont pas permis d’aboutir à la remise en cause de la sincérité du vote pour l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022.
Que ferez-vous après le congrès ?
Que faisait Issa Hayatou avant de devenir président intérimaire de la FIFA ? Il reprendra sa charge. Statutairement, il redeviendra évidemment le vice-président senior de la FIFA. Il s’attellera àpoursuivre les nombreux chantiers en cours au niveau de la FIFA et de la Confédération africaine de football, où son mandat court jusqu’au mois de mars 2017. Il prendra également une part active dans les activités du Comité international olympique, dont il est membre depuis 2001. [En 2011, le CIO a infligé à Issa Hayatou un blâme après qu’il a reconnu avoir touché, en 1995, 100 000 francs (15 200 euros) de la société ISL, chargée alors de gérer des droits marketing de la Coupe du monde.]
Suite à la publication de cet entretien, Issa Hayatou a tenu faire cette précision :
« L’insertion d’incises dans nos propos, pour des mises en contexte, peut parfois prêter à confusion et laisser l’impression que c’est nous qui parlons.
Concernant les 100 000 francs français reçus de ISL, il faut noter qu’ils ne l’ont jamais été à titre personnel. Mais c’était plutôt une contribution de cette entreprise pour la célébration des 40 ans de la Confédération Africaine de Football. Les documents sont là pour le prouver et accessibles à tout le monde.
Par ailleurs, comme nous l’avons clairement indiqué, il n’a jamais été question en Angola pour les 4 membres africains du Comité Exécutif de la Fifa en 2010 de subordonner leur vote pour une candidature à l’organisation des Coupes du Monde 2018 et 2022 au versement de quelque somme d’argent.
Cette personne s’est contredite a plusieurs reprises et ses motivations sont à rechercher dans son licenciement par les responsables de la candidature du Qatar. D’ailleurs, comme déjà indiqué, des 4 membres africains du Comité Exécutif de la FIFA à l’époque deux ne se trouvaient pas en Angola.
- Rémi Dupré
Journaliste au Monde