Manifestation de femmes chiites à Qatif, dans l’est de l’Arabie saoudite, le 2 janvier. STR / AFP
Le premier cortège s’est ébranlé de la mosquée de l’imam Hussein, à Awamiya, une banlieue déshéritée de Qatif, théâtre d’affrontements récurrents avec la police. C’est de ce lieu de prière que le cheikh Al-Nimr délivrait les sermons, qui lui ont valu d’être arrêté en 2012 et condamné à mort deux ans plus tard, pour « sédition » et « désobéissance au souverain ». « Les gens sont outragés, confie Ali, le pseudonyme d’un jeune militant de la cause chiite, joint par Skype. Le gouvernement ne connaît aucune limite. Tout le monde peut être une cible. »
Les événements du week-end ont fait un mort et un blessé, dans des circonstances qui demeurent encore floues. D’après Ali, la police a ouvert le feu sur des protestataires qui tentaient debloquer une route, tuant l’un d’eux. Un enfant situé à proximité a, selon lui, été blessé par une balle perdue. Les autorités affirment que ces deux personnes ont été touchées dans un échange de coups de feu, alors que les forces de l’ordre venaient arrêter un militant, à Awamiya. La cible de l’opération aurait été tuée et l’enfant blessé par erreur, à son domicile.
Répression policière
Plusieurs dizaines de résidents de Qatif et de ses environs ont été tués depuis le soulèvement chiite 2011 qui s’est essoufflé au bout d’un an et demi, en raison de la répression policière et de la politique d’apaisement des notables locaux. Représentant un peu moins de 10 % de la population du royaume, la minorité chiite, massée dans la province orientale, s’estime marginalisée par le gouvernement. Beaucoup d’habitants de Qatif n’ont pas répondu aux demandes de réactions du Monde, par crainte des autorités. Par le passé, le pouvoir a arrêté au moins un militant chiite servant de guide à des journalistes.
Les trois personnes auxquelles il a été possible de parler ne s’attendent cependant pas à ce que l’émotion suscitée par l’exécution d’Al-Nimr débouche sur un mouvement de protestation durable et massif. « Nous sommes tous attristés par ce qui s’est passé, mais nous sommes des citoyens saoudiens, nous devons coopérer avec le gouvernement », confie Nabih Al-Ibrahim, lemanager de la chambre de commerce de Qatif, caractéristique de l’élite locale, qui désapprouvait les philipiques du cheikh Al-Nimr. « Il y aura des échauffourées à Awamiya, mais pas beaucoup plus, dit Taoufik Al-Saif, un commentateur politique de gauche. Les gens ne veulent pas se retrouver au milieu d’une crise internationale entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. »
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Cinquième colonne
Contrairement aux accusations de Riyad, qui la dépeint souvent comme une cinquième colonne iranienne, la communauté chiite saoudienne est très peu liée à Téhéran. A l’inverse de leurs homologues au Koweït ou à Bahreïn, qui comptent dans leurs rangs beaucoup de persans, les chiites saoudiens sont tous arabes. Bien que formé en Iran dans les années 1980, Al-Nimr n’était pas un disciple de Khomeyni. Et même s’il n’écartait pas la possibilité de solliciter l’aide de l’Iran, il ne recevait aucune consigne de Téhéran et refusait de se comporter comme l’un de ses pions, comme en témoigne ses critiques féroces du régime Assad, protégé de Téhéran.
Hormis quelques groupuscules ouvertement pro-iraniens, comme Khat Al-Imam (La Ligne de l’imam), qui était d’ailleurs en mauvais terme avec Al-Nimr, les militants chiites saoudiens se méfient des récentes diatribes de Téhéran, qu’ils perçoivent comme une tentative de récupération de la colère générée par l’exécution du clerc. « Tout cela est fait pour irriter les dirigeants saoudiens, c’est de la politique, estime Ali. Dans la réalité, l’Iran ne cherche pas à nous soutenir. Et d’ailleurs nous ne voulons pas de son soutien. Nous ne lui faisons pas confiance. Ce que nous voulons, c’est le soutien de notre propre gouvernement. »
La prudence des activistes locaux s’expliquent aussi par le fait que plusieurs de leurs camarades se trouvent toujours dans le couloir de la mort, dans l’attente d’une possible exécution. C’est notamment le cas d’Ali Al-Nimr, 20 ans, le neveu du cheikh d’Awamiya. La famille de ce dernier multiplie les appels au calme, en espérant recevoir sa dépouille, que les autorités, contrairement aux usages, ont enterrée dans un lieu tenu secret. « Nous sommes coincés entre Riyad et Téhéran, soupire Ali. C’est notre triste réalité. »