À peine sortis du pseudo-réveillon clôturant l’année 2020, les citoyens libanais se réveillent avec des propos surprenants imputés au commandant en chef des forces aériennes des Pasdaran, ou Gardiens de la Révolution iranienne. Amir Ali Hajji-Zadeh, puisqu’il s’agit de lui, aurait déclaré que tous les missiles et les fusées existant au Liban et à Gaza ont été produits et installés grâce à l’effort iranien.
Il aurait, par ailleurs, ajouté que cet arsenal constitue aujourd’hui les premières lignes de la confrontation avec Israël du front Palestine-Syrie-Liban. Quid du Liban comme État souverain ? Serait-ce un simple combustible stratégique pour Monsieur Hajji-Zadeh et les Mollahs de Téhéran ? On aurait aimé que Les Pasdaran aident également le Liban à dégager la vérité sur l’explosion du port de Beyrouth en nous disant s’ils seraient les propriétaires des 3.700 tonnes de nitrate d’ammonium dont tout ou une partie a explosé ravageant Beyrouth, tuant les civils et jetant à la rue des centaines de milliers de citoyens.
Une telle déclaration, si elle se confirme, piétine toute souveraineté libanaise et pose plusieurs questions.
D’abord, au magistrat enquêteur sur l’explosion du 4 août dernier. Avant de s’occuper de problèmes de corruption administrative et politique, le juge Sawwane aurait dû orienter ses recherches vers la question primordiale : « Qui est propriétaire des explosifs ? Comment cette marchandise a-t-elle pu entrer et être entreposée durant 7 ans au Liban ? ». Par la suite, il lui appartient de déterminer, à la lumière des déclarations imputées à Hajji-Zadeh, les responsabilités politiques dans l’affaire du nitrate d’ammonium, dont celle du président de la république, du premier ministre et d’autres instances gouvernementales, administratives ou politiques.
Ensuite, la question s’adresse à la caste dirigeante. Le président de la république, qui s’occupe de tout et de n’importe quoi selon son bon plaisir, n’a jamais raté une seule occasion pour défendre l’arsenal du Hezbollah, dont ces fameux missiles, au nom d’une nécessité stratégique pour le Liban. Sans protester ou opposer un démenti aux affirmations de Hajji-Zadeh, il a néanmoins déclaré, dans un tweet pour le moins sibyllin, que « les Libanais n’ont pas de partenaires pour assurer leur indépendance, leur souveraineté et la liberté de décision de leur patrie ». On rappellera que l’Iran n’a jamais caché que l’arsenal du Hezbollah sert la stratégie de Téhéran. D’ailleurs, le Mufti Jaafarite Ahmad Kabalan, évoquant la mémoire de Kassem Suleymani, tué il y a un an, reconnaît : « Pas de souveraineté en dehors des fusées de Suleymani ». Il y a donc lieu d’exiger du Président Aoun de mieux clarifier sa position en faisant convoquer immédiatement l’ambassadeur iranien par le ministre des affaires extérieures comme cela avait été fait lorsque l’ambassadrice américaine avait évoqué les sanctions de son pays contre Monsieur Gebran Bassil, gendre du Président.
Dans la foulée de la question au président Aoun, ce sont ses partisans et ses afficionados chrétiens, tant cléricaux que laïcs, qu’il y a lieu d’interpeller. On aimerait savoir comment les propos imputés à Amir Ali Hajji-Zadeh, qui fait d’eux un simple carburant stratégique iranien, serait conciliable avec leur ritournelle habituelle sur les « droits des chrétiens » pour justifier leur vassalisation volontaire au régime des Mollahs.
La dernière question s’adresse au premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, qui refuse de comparaître devant le juge qui le convoque, dans l’enquête sur l’explosion du 4 août, usant d’arguties bavardes de nature à instiller le doute et la polémique dans le déroulement de l’enquête judiciaire afin de la renvoyer vers le cadre politique du Parlement. Une telle ignorance du principe de séparation des pouvoirs, de la part d’un professeur d’université, est problématique. L’objectif de Monsieur Diab serait-il d’affirmer la primauté du pouvoir politique, et non de la Loi, dans la vie publique ? Souhaiterait-il, ainsi, échanger sa carrière d’universitaire contre celle de despote ? Il est vrai que le climat du régime actuel favoriserait de telles ambitions.
En guise de leçon de civisme, on rappellera l’histoire, plus ou moins légendaire, d’un Patriarche œcuménique de Constantinople convoqué à comparaître devant une cour de justice. Étant apparenté à l’Empereur romain, il préféra rendre visite à César son cousin au lieu de se présenter devant le juge. Dans l’Empire Romain d’Orient, l’Empereur était révéré comme « Loi-incarnée ». Le Patriarche fut donc reçu avec beaucoup de civilité par son cousin, le maître du monde. À la fin de cette visite familiale, la « Loi-incarnée » donna l’ordre à ses gardes de se saisir du prélat et de lui administrer le fouet à titre de leçon. Ce qui fut fait au nom de la primauté absolue de la Loi.
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