Le « New York Times » affirme qu’Abou Mohammed Al-Masri a été tué en août à Téhéran par un commando israélien pour le compte des Etats-Unis.
De lui, on ne connaissait que deux images. La première est un visage mis à prix à 10 millions de dollars par le FBI américain : celui d’Abou Mohammed Al-Masri, de son vrai nom Abdullah Ahmed Abdullah, en chemise blanche et cravate. Né en 1963, il est âgé d’une petite trentaine d’années au moment où la photo a été prise. La seconde, qui ouvre la vidéo d’une cérémonie de mariage, est plus furtive. L’homme, en abaya blanche et kufi sur la tête, a pris quelques années. L’ancien proche d’Oussama Ben Laden, devenu numéro deux d’Al-Qaida, pose en compagnie de son gendre, Hamza Ben Laden. Abou Mohammed Al-Masri vient de marier sa fille, Myriam, au « fils préféré » du fondateur du réseau djihadiste. La séquence a été tournée en 2007, en Iran.
Abou Mohammed Al-Masri et Myriam, entre-temps devenue veuve, auraient été tués le 7 août dans les rues de la capitale iranienne par un commando de deux hommes à moto, affirme le quotidien américain The New York Times, qui cite des responsables des services de renseignement américains. L’assassinat, qui aurait été mené par des agents israéliens pour le compte des Etats-Unis, a été commis le jour anniversaire des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998, qui avaient fait 224 morts et dans lesquels a été impliqué le cadre égyptien d’Al-Qaida, selon la justice américaine.
Ni Téhéran, ni Washington, ni Tel-Aviv ni encore Al-Qaida n’ont réagi à la mort présumée d’Abou Mohammed Al-Masri. L’agence de presse iranienne Mehr News avait, elle, affirmé que le père et la fille tués ce jour-là étaient des ressortissants libanais connus sous le nom de Habib et MariamDawoodi. Le ministère des affaires étrangères iranien a démenti samedi les informations du New York Times et toute présence sur son territoire de responsables d’Al-Qaida. Mais dans une démarche inédite, le site ultra conservateur iranien Jahan News, proche de l’ancien député conservateur Alireza Zakani, ne nie ni la présence ni l’assassinat du chef djihadiste.
Une « opération médiatique » américaine
Si, pour Jahan News, ces révélations sont « une nouvelle étape d’opération médiatique menée par les médias américains pour lier l’Iran à Al-Qaida » dans le but de « justifier davantage de sanctions contre l’Iran », le site ultraconservateur livre entre les lignes un aveu de taille. « Aucun pays et service de renseignement ne peut être indifférent face aux groupes terroristes qui menacent sa sécurité. En ce qui concerne Al-Qaida, ce groupe est une des sources d’insécurité en Iran. Voila pourquoi infiltrer ce groupe n’est pas anormal du point de vue de l’Iran. Cette infiltration a pour but de contenir et d’empêcher le groupe de mener des opérations contre la sécurité du pays », peut-on lire.
Le modus operandi de l’assassinat démontrerait par ailleurs, toujours selon Jahan News, la responsabilité « directe » des services de renseignement israéliens dans l’assassinat des scientifiques nucléaires iraniens. Quatre scientifiques liés aux recherches nucléaires ont été tués entre 2010 et 2012, en pleine rue, par des tueurs à moto. Un autre site conservateur, Alef, questionne, lui, le timing de l’article, alors que l’administration Trump entend encore renforcer les sanctions contre Téhéran, ce qui rendrait leur levée plus difficile, voire impossible, pour son successeur, Joe Biden.
La présence d’Abou Mohammed Al-Masri et de dirigeants d’Al-Qaida en Iran était connue de longue date. Son assassinat présumé révèle une nouvelle fois la relation trouble qu’entretiennent la République islamique d’Iran, chiite, et les djihadistes du réseau sunnite depuis deux décennies. Ce « mariage de convenance », comme l’avait qualifié Ned Price, ex-porte-parole du Conseil de sécurité nationale sous l’administration Obama, permettait à la première de se prémunir des attaques djihadistes sur son territoire, en maintenant plusieurs de leurs dirigeants sous surveillance, voire de s’en servir comme monnaie d’échange avec les Etats-Unis ; et aux seconds de jouir d’un sanctuaire d’où ils entendaient poursuivre leurs activités.
Un Donald Trump étonnamment silencieux
A partir de décembre 2001, au moment où Al-Qaida est traquée par les Américains en Afghanistan, les djihadistes organisent l’exfiltration de leurs familles en Iran, selon des documents saisis lors du raid des Navy SEAL, le 2 mai 2011, à Abbottabad, au Pakistan, au cours duquel Oussama Ben Laden a été tué. Après les proches arriveront des membres du premier cercle d’Al-Qaida à l’été 2002, dont Abou Mohammed Al-Masri et Saif Al-Adel, égyptien lui aussi et candidat à la succession d’Ayman Al-Zawahiri, l’actuel chef du réseau. Ancien colonel des forces spéciales égyptiennes, Saif Al-Adel aurait coorganisé avec son compatriote les attaques contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Il résiderait toujours en Iran.
Les deux hommes, placés un moment en détention, avaient été libérés en 2015 en échange d’un diplomate iranien qui avait été enlevé au Yémen. Selon des chefs djihadistes syriens, ils continuaient d’assumer depuis l’Iran un rôle opérationnel en servant de lien entre le chef d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, probablement caché au Pakistan, et les combattants en Syrie. Un rôle qui leur sera même reproché en 2017 par un responsable de l’ancienne branche d’Al-Qaida dans le pays, aujourd’hui Hayat Tahrir Al-Cham, qui mit en doute leur légitimité du fait de leur présence entre les mains de l’« ennemi » iranien.
L’annonce de la mort d’Abou Mohammed Al-Masri pose cependant question. Pourquoi l’administration de Donald Trump, en plein bras de fer avec Téhéran et alors que le président américain était en campagne pour sa réélection cet été, n’a pas revendiqué l’assassinat, même sur commande, d’un dirigeant d’Al-Qaida ?