DÉCRYPTAGE – Depuis la chute de l’URSS, Pékin observe à la loupe les évolutions de la Russie. Xi Jinping a tiré les leçons de l’effondrement de son ancien rival communiste.
S’il est une chose que la Chine et la Russie partagent, c’est la détestation de la démocratie. L’intervention russe en Géorgie (2008), l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass (2014) côté russe, la nouvelle loi liberticide sur la sécurité nationale à Hongkong et les menaces contre Taïwan côté chinois, visent à détruire les modèles alternatifs démocratiques, dont la réussite est considérée comme un danger existentiel par les pouvoirs autoritaires.
Certes, les différences entre les pays et les situations sont importantes. Quand la Russie s’attaque à la Géorgie et à l’Ukraine, elle s’en prend à des pays devenus indépendants à la chute de l’Union soviétique. Quand il veut remettre les Hongkongais au pas ou menace Taïwan d’une intervention militaire, le pouvoir chinois s’attaque à des parties de la Chine. Même s’il envoie les opposants en prison et parfois les assassine à l’étranger, le régime russe s’accommode d’élections plus ou moins libres, tolère internet et a rompu avec la pratique des goulags. La dictature chinoise interne les Ouïgours dans des camps de «rééducation», surveille étroitement sa population et ne tolère aucune des libertés dont jouit l’Occident.
Mais il y a aussi des similitudes. «Dans les deux cas, il y a une infraction caractérisée au droit international. Ainsi qu’une crainte des révolutions de couleur», explique l’ancien diplomate Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne*. Pékin et Moscou ont en commun des valeurs et partagent la même volonté de réduire au silence les expériences démocratiques.
«La Géorgie et l’Ukraine sont les deux pays à avoir choisi un modèle politique différent et incompatible avec le russe, qui prouve que la théorie de Poutine, selon laquelle la démocratie libérale n’est pas applicable dans cette partie du monde – est fausse» explique Thorniké Gordadzé, ancien ministre du gouvernement Saakachvili et prof à Sciences Po. À l’appui de sa thèse, le président russe cite l’expérience démocratique de Boris Eltsine au début des années 1990, qui a sombré dans le chaos. Il accuse les ennemis occidentaux de vouloir inoculer le virus démocratique dans l’ancien espace soviétique pour affaiblir la Russie.
La peur des révolutions de couleur a gagné la Chine.
«Même si elle était imparfaite, l’expérience proeuropéenne menée par la Géorgie entre 2004 et 2012 a démontré qu’avec peu de ressources, une ancienne République soviétique était capable de lutter contre la corruption, d’émerger du chaos et de réaliser des avancées démocratiques», poursuit Gordadze. Qualifiée d’«anomalie» par le Kremlin, l’expérimentation géorgienne était aussi considérée comme un danger pouvant séduire l’opposition russe et précipiter la fin du régime. Bien qu’inachevée, la démonstration démocratique menée par la révolution de Maïdan en Ukraine, un pays plus grand et proche de la Russie, a été vue comme un risque encore plus grand pour le Kremlin, qui n’a même pas attendu qu’elle fasse ses preuves pour tenter de l’étouffer militairement. Dans les deux cas, la création par Moscou d’un conflit gelé a aussi mis fin aux velléités de ces deux pays de rejoindre le camp occidental en intégrant l’Otan et en se rapprochant de l’UE.
La peur des révolutions de couleur a depuis gagné la Chine. Comme les Russes, les Chinois affirment que la démocratie n’est pas un modèle adapté à leur pays. Xi Jinping ne veut pas subir le sort de Gorbatchev. «Le Parti communiste chinois, qui fonctionne sur le modèle léniniste, n’a qu’un seul but: se maintenir au pouvoir», explique Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Depuis la chute de l’URSS, Pékin observe à la loupe les évolutions de son ancien rival communiste. «Xi Jinping a tiré les leçons de l’effondrement soviétique et considère Poutine comme l’homme qui revient à de saines pratiques» poursuit Michel Duclos.
Hongkong et Taïwan ont au contraire prouvé que la démocratie s’accommodait très bien du monde chinois et que le modèle autoritaire n’était pas une fatalité. Défié par les manifestations de rue à Hongkong, le régime de Pékin veut aujourd’hui faire plier l’«île rebelle», dont l’exemple est devenu trop visible dans toute la région, y compris en Chine. «Mais il sera plus difficile de contrôler Taïwan, car une intervention militaire chinoise risquerait de provoquer une réponse américaine» prévient Valérie Niquet. Les exemples chinois et russe ont un autre trait d’union: l’effacement occidental, qui laisse un boulevard aux dirigeants autoritaires. «La faiblesse de la réaction européenne vis-à-vis des actions russes en Ukraine et en Syrie a été méditée par les Chinois. La relation entre la Russie et l’Europe est le banc d’essai de la relation sino-européenne. Et la Chine a récemment prouvé à Hongkong que sa détermination à défendre le modèle autoritaire ne faisait pas de doute», conclut Michel Duclos.
* «Le Monde des nouveaux autoritaires» (L’Observatoire, 2019).