L’épidémie est probablement sous-estimée en Irak et en Syrie, tandis que les pétro monarchies du Golfe se sont très vite barricadées
Benjamin Barthe, Laure Stephan, Allan Kaval Et Hélène Sallon (À Paris)
BEYROUTH- correspondants
Depuis la mi-février, l’Iran, l’un des principaux foyers mondiaux de l’épidémie de Covid-19, inquiète son voisinage. Téhéran, qui a tardé à reconnaître l’expansion de la maladie, a vu la plupart de ses voisins fermer leurs frontières terrestres après l’annonce des premiers cas, le 19 février, les bilans officiels iraniens souffrant dès la première semaine de l’épidémie d’un sérieux discrédit. Dès les tout premiers jours, deux cas en provenance d’Iran ont été recensés au Liban et aux Emirats arabes unis. L’épidémie s’est progressivement généralisée avant que les pays de la région, à commencer par les monarchies du Golfe, ne se coupent du monde extérieur.
Parmi les pétromonarchies, qui comptent parfois des minorités chiites en lien régulier avec le voisin perse, on recensait, mercredi 18 mars, 1 156 cas et un mort. Ces chiffres, moins élevés qu’on aurait pu le craindre, s’expliquent par le fait que ces Etats se sont très tôt barricadés.
La mesure la plus radicale a été prise par l’Arabie saoudite. Dès le 27 février, le royaume a suspendu l’Omra, le petit pèlerinage que les musulmans peuvent effectuer à tout moment de l’année. Les télévisions ont diffusé des images hypnotisantes de l’esplanade de la Kaaba, complètement déserte, alors que cet espace, au cœur de la grande mosquée de la Mecque, est habituellement noir de fidèles.
Un contrôle renforcé a permis d’isoler une partie des importateurs du virus. En Arabie saoudite, comme au Koweït, au Bahreïn et au Qatar, ce sont souvent des ressortissants revenant d’Iran. Aux Emirats arabes unis, c’est par l’entremise d’une famille de voyageurs chinois que le virus s’est infiltré. Au Qatar, pays arabe le plus touché (442 contaminés), il s’est aussi diffusé parmi les travailleurs étrangers, qui représentent 90 % des trois millions d’habitants.
Au moindre cas suspect, ces Etats recourent à des quarantaines très strictes. Le 8 mars, Riyad a bouclé la région de Qatif, zone d’implantation de la communauté chiite saoudienne, dont les premiers porteurs du virus sont originaires. Dans les jours qui ont suivi, toutes les monarchies se sont coupées du monde extérieur.
Les écoles et les universités ont fermé, comme la plupart des administrations, des restaurants et des parcs publics. Même les centres commerciaux géants de Dubaï ont dû réduire la voilure, avec la fermeture de leurs espaces de loisirs, des pistes de ski artificielles aux aquariums.
Signe ultime, toutes les mosquées d’Arabie saoudite, berceau de l’islam, ont reçu l’ordre de fermer leurs portes mardi, à l’exception de celles de La Mecque et de Médine, qui restent accessibles aux résidents locaux. Au lieu d’appeler les fidèles à « venir prier », les imams leur enjoignent désormais de « prier à la maison ».
En Irak, la fébrilité, perceptible dès l’apparition du coronavirus en Chine, du fait de la présence en nombre de travailleurs chinois sur les sites pétroliers, s’est transformée en sentiment d’urgence lorsque l’étendue de l’épidémie qui touche l’Iran a été révélée. L’Irak partage avec son voisin et principal partenaire commercial plus de 1 500 km de frontière.
La majorité des cas recensés (12 morts et 164 contaminations au 18 mars) sont liés au foyer iranien. Des chiffres qui seraient largement sous-estimés. « Nous avons peu de capacités d’effectuer des tests et, du fait des couvre-feux et des comportements sociaux, nombreux sont ceux qui peuvent être contaminés mais restent chez eux », estime Sajad Jiyad, du centre de réflexion Bayan, à Bagdad.
Mardi 17 mars, la capitale s’est claquemurée en décrétant un couvre-feu et la suspension de tous les vols jusqu’au 24 mars. Des mesures similaires ont été prises dans d’autres villes, notamment les villes saintes chiites de Nadjaf et de Kerbala. Le respect de ces mesures est facilité par la posture adoptée par la plus haute autorité chiite du pays. L’ayatollah Ali Al-Sistani a émis, mardi, une fatwa faisant de la lutte contre le coronavirus une « obligation collective ».
Villes quasi fantômes
Les autorités politiques et religieuses ont conscience que tous les ingrédients sont réunis pour une crise sanitaire. Des décennies de sanctions, de corruption et de négligence ont laissé le système de santé en lambeaux. « Si les taux de contamination augmentent, la situation deviendra hors de contrôle », note l’expert Sajad Jiyad. A cette crise structurelle s’ajoute depuis octobre 2019 une crise politique sans précédent avec un puissant mouvement de contestation anti pouvoir.
Les autorités ont toutefois été promptes à agir. Dès la fin février, la frontière avec l’Iran a été fermée et le territoire a été interdit aux pays touchés par la pandémie. Mais les hommes d’affaires ont du mal à accepter ces mesures. « Les commerçants des deux côtés de la frontière font du lobbying et il n’est pas certain que l’Irak puisse tenir plus que quelques semaines sans importations », analyse encore Sajad Jiyad. Des soupçons portent également sur le maintien de flux de personnes aux points de passage informels contrôlés par les milices chiites pro-iraniennes.
Après l’Irak, la Syrie est l’autre candidate naturelle à la contamination via l’Iran. Les autorités de Damas persistent à affirmer que le coronavirus n’est pas présent dans leur pays, mais ces déclarations laissent les observateurs sceptiques.
Au Liban, des villes quasi fantômes, dans un pays sous scellé : le pays du Cèdre est passé mercredi 18 mars au soir en isolement total. L’angoisse est montée depuis l’annonce du premier cas de contamination le 21 février : une Libanaise revenue de la ville sainte iranienne de Qom. Depuis, le gouvernement a annoncé, le 28 février, la fermeture des écoles. Les restrictions se sont ensuite étendues aux boîtes de nuit, bars, restaurants… Puis, le 15 mars, le gouvernement a appelé au confinement général. Mercredi, le quatrième décès lié au Covid-19 a été annoncé, tandis que 133 cas de contamination ont été enregistrés.
Des polémiques n’ont pas tardé sur l’origine des premières infections. Le chef du Hezbollah, allié de l’Iran, Hassan Nasrallah, a lancé un appel au calme le 13 mars. « Ce n’est pas le moment propice pour régler des comptes politiques », a-t-il dit, en réponse à ses adversaires. Parmi eux, le chef des Forces libanaises (droite chrétienne), Samir Geagea, a pointé dès février un doigt accusateur vers l’Iran, désigné comme source d’infection.
Une propagation du virus menacerait particulièrement les plus vulnérables. Les Libanais, mais aussi les réfugiés. Dans les camps palestiniens, les campements de réfugiés syriens, la densité humaine est élevée. L’irruption du Covid-19 y serait catastrophique.
Mercredi, le directeur régional de l’Organisation mondiale de la santé pour la Méditerranée orientale, Ahmed Al-Mandhari, a exhorté les Etats du Moyen-Orient à partager davantage d’informations : « Nous ne pouvons contrôler cette maladie que si nous avons accès aux informations. Et nous voyons de plus en plus de cas transmis localement. »