Par Hélène Sallon (Ismaïlia, envoyée spéciale)
Le partenariat stratégique entre la France et l’Egypte était à l’honneur de la cérémonie d’inauguration de l’extension du canal de Suez, jeudi 6 août, à Ismaïlia. Après avoir assisté ensemble, côte à côte, à la tribune présidentielle, au passage des trois Rafale et de la frégate multimission Fremm, acquis en février par l’Egypte, le président français François Hollande et son homologue égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi, ont discuté de la perspective d’approfondir leur partenariat stratégique, avec de nouveaux contrats à la clé. Le Caire est candidat au rachat des deux navires de guerre Mistral construits par la France pour la Russie.
« L’Egypte et l’Arabie saoudite sont prêtes à tout pour acheter les deux Mistral », confie une source officielle française. « Le roi Salman d’Arabie saoudite veut constituer une flotte digne de ce nom en Egypte, qui pourrait avoir une force de projection régionale, en mer Rouge et en Méditerranée », indique cette source. « Il y a un intérêt marqué manifesté par quelques pays de la région pour les Mistral dans l’optique de la constitution d’une force maritime. Ce sont des équipements qui ont prouvé leur efficacité », confirme une source diplomatique.
L’accord de coopération sécuritaire et économique, signé au Caire le 30 juillet, entre le prince saoudien Mohamed Ben Salman et le président Sissi va dans ce sens. Il constitue une nouvelle étape dans la mise sur pied d’une force arabe commune. Le projet avait été formulé dans la foulée de l’intervention d’une coalition arabe sous bannière saoudienne contre les miliciens houthistes au Yémen, le 26 mars, pour contrer l’influence iranienne dans le pays. Le 27 août, au Caire, cette force sera au menu d’une nouvelle rencontre ministérielle arabe.
Depuis l’arrivée du maréchal Sissi au pouvoir, après la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, en juillet 2013, l’Egypte et l’Arabie saoudite entretiennent des relations plus qu’étroites. Riyad a remis le pays à flot, en accordant au gouvernement Sissi une aide financière de plus de quatre milliards de dollars (3,7 milliards d’euros). L’Egypte a, en retour, soutenu son parrain saoudien dans l’offensive qu’il mène au Yémen, en déployant des moyens, notamment maritimes.
Le 1er août, Le Caire a prolongé de six mois le mandat autorisant le déploiement de « certains éléments des forces armées » pour protéger les intérêts nationaux et arabes dans le Golfe, la mer Rouge et le détroit de Bab El-Mandeb. L’acquisition de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral, qui peut transporter 1 000 soldats, des blindés et des hélicoptères, serait d’une utilité directe dans la guerre au Yémen et dans la perspective d’autres interventions, notamment en Libye, où l’intervention d’une force arabe pourrait être envisagée.
La réunion bilatérale qui s’est tenue entre les présidents Hollande et Sissi dans le bateau qui les ramenait jeudi de la tribune présidentielle au lieu du dîner, à Ismaïlia, a été propice à échanger sur le dossier. En novembre 2014, lors de la visite d’Etat de M. Sissi en France, les deux présidents avaient trouvé un accord de principe sur la vente de 24 Rafale et de la frégate multimission Fremm, finalisée en février. Toutefois, la France ne veut pas se prononcer sur le choix qui sera fait à Paris pour la revente des deux Mistral, au lendemain de l’accord conclu avec la Russie sur l’annulation de la livraison.
Devant la presse, jeudi, M. Hollande a seulement confirmé que les deux bâtiments « suscitent une certaine demande de la part de beaucoup de pays, et il n’y aura aucune difficulté pour trouver preneur ». L’Egypte est un pays intéressé avec qui l’on discute comme avec d’autres, dit-on à l’Elysée. Le Canada et Singapour sont également cités comme acheteurs potentiels. Hervé Guillou, le PDG du groupe naval français DCNS, qui construit le Mistral, et auquel Le Caire a déjà acheté une frégate Fremm et quatre corvettes Gowind, s’est refusé à tout commentaire. « Les discussions vont être rapides et discrètes. L’idée est que ça aille vite », indique une source diplomatique.
L’Egypte, partenaire privilégié
Accompagné par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, M. Hollande a toutefois réitéré la volonté de la France de « donner à l’Egypte les moyens d’agir, et aussi à la France les moyens d’être protégée ». Après la livraison des premiers Rafale, la coopération entre les deux pays « va se poursuivre et se renforcer. Il y a déjà eu la livraison d’une frégate, il y en aura d’autres, parce que nous avons la volonté́ de faire en sorte que l’Egypte puisse se défendre face au terrorisme », a poursuivi le président français. Lors de la visite du ministre Le Drian au Caire, les 25 et 26 juillet, une offre d’achat de deux corvettes Gowind supplémentaires au groupe DCNS a été discuté, avait alors confié une source diplomatique à l’AFP.
« Aujourd’hui, les relations entre la France et l’Egypte sont fondées sur des intérêts communs : la lutte contre le terrorisme et la sécurité », a martelé le président Hollande, rappelant la menace terroriste accrue en Libye, au Yémen, en Syrie et en Irak, mais aussi en Egypte. Pour Paris, l’Egypte est devenu un partenaire privilégié et un acteur diplomatique incontournable. On salue son pragmatisme, mais il peut conduire à quelques situations embarrassantes, comme à Ismaïlia, où le président Hollande s’est vu forcé de s’afficher au premier rang – sans le saluer, insiste-t-on dans son entourage – à trois sièges seulement du président soudanais, Omar Al-Bachir, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI).
L’Egypte reste aussi un partenaire à qui il est difficile de faire entendre raison sur les atteintes aux droits de l’homme. La répression contre les partisans des Frères musulmans et les opposants de gauche a fait des centaines de morts et des milliers de prisonniers. La relation privilégiée de la France à l’Egypte n’empêche pas « une franchise dans les rapports », assure M. Hollande. Le président Sissi s’est engagé auprès de lui à organiser des élections législatives d’ici à la fin 2015. Dans les milieux diplomatiques, cette répression excessive est critiquée, mais on reconnaît « qu’on essaie de leur dire que s’ils ont les mains trop lourdes, ils vont radicaliser la population. C’est un constat très difficile à faire entendre en Egypte ». A Ismaïlia, jeudi, à une semaine de l’anniversaire du massacre de Rabiya Al-Adawiya, où 800 partisans des Frères musulmans ont été tués au Caire le 14 août 2013, personne ne s’est certainement risqué à mentionner au président Sissi que la ville a vu naître la confrérie.