Mohammed Ben Salman a assuré au chef de l’État que le responsable libanais Saad Hariri n’était pas assigné à résidence.
MOYEN-ORIENT La brusque montée des tensions au Moyen-Orient – avec un tir de missile sur Riyad à partir du Yémen et la démission surprise du premier ministre libanais Saad Hariri – a fourni l’occasion à Emmanuel Macron de se faire inviter à Riyad. Le président réformateur de 39 ans n’avait pas encore rencontré Mohammed Ben Salman (MBS), ce jeune prince de 32 ans aux élans révolutionnaires. C’est donc chose faite. À l’invitation de l’héritier du trône saoudien, qui fait la une des médias avec sa purge anticorruption, le chef de l’État français, qui achevait une visite de 24 heures aux Émirats arabes unis, a dîné jeudi soir à Riyad avec le nouvel homme fort d’un royaume allié de longue date de Paris.
L’Iran, que l’Arabie accuse de déstabiliser le Moyen-Orient, a été l’un des principaux sujets au menu du dîner entre les deux dirigeants. Macron partage les craintes de Riyad, quand il dénonce « les tentations hégémoniques iraniennes » en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Mais il n’est pas loin de penser que ces craintes confinent à une certaine obsession de l’Iran chez les responsables saoudiens. « J’ai entendu des positions très dures » exprimées par l’Arabie « vis-à-vis de l’Iran qui ne sont pas conformes à ce que je pense », avait-il dit à Dubaï, quelques heures avant son étape saoudienne. « Le président de la République a expliqué le rationnel au prince Ben Salman », décrypte-t-on à l’Élysée. « Il s’agit de n’avoir aucune politique jusqu’au-boutiste qui viendrait créer des déséquilibres, voire des conflits, dans la région », avait rappelé le chef de l’État à Dubaï. Il pensait au Liban, que la démission de Saad Hariri, apparemment arrachée par Riyad, plonge dans l’incertitude. Jeudi, l’Arabie a appelé ses ressortissants à quitter le pays du Cèdre. « MBS a dit au président qu’il ne souhaitait pas une guerre au Liban, il a rappelé qu’il était attaché à la stabilité du pays », insiste-t-on à l’Élysée. Sauf que la confusion autour du sort de Saad Hariri a poussé Paris à agir. D’abord en envoyant, dès jeudi après-midi, l’ambassadeur de France à Riyad, François Gouyette, rencontrer le premier ministre démissionnaire. « MBS a dit au président que Hariri n’était pas assigné à résidence », dit-on à l’Élysée. Selon une source française à Beyrouth, où a été dépêché vendredi Aurélien Le Chevalier, conseiller Moyen-Orient de Macron, lorsque François Gouyette a parlé à Saad Hariri chez ce dernier, des officiels saoudiens n’étaient pas loin.
“Une proposition saoudienne a été faite à la famille Hariri de désigner Baha, un frère de Saad, pour reprendre le flambeau politique ” UNE SOURCE FRANÇAISE À BEYROUTH
L’avenir de Hariri est au centre des tractations entre ses alliés saoudiens et français. Riyad chercherait à le remplacer par un de ses frères. « Une proposition saoudienne a été faite à la famille Hariri de désigner Baha, un frère de Saad, pour reprendre le flambeau politique », confie la source française à Beyrouth. Nazek, la veuve de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre assassiné en 2005, Bahyia Hariri, la soeur de ce dernier, et Ahmad, un fils de Bahyia qui dirige le Parti libanais Al-Moustaqbal, auraient été conviés à Riyad pour avaliser cette redistribution des cartes, mais le clan aurait refusé.
À la surprise générale dans un pays habituellement fragmenté, la plupart des hommes politiques libanais ont réclamé le retour de Saad Hariri à Beyrouth. Vendredi, le président Michel Aoun, qui n’accepte pas cette démission, a une nouvelle fois souhaité que le premier ministre puisse rentrer au Liban. « Involontairement, l’Arabie saoudite renforce sa popularité », souligne un observateur, joint au téléphone à Beyrouth. D’autres redoutent que Riyad, exaspéré par la domination du Hezbollah sur les affaires libanaises, mène une guerre économique, en asséchant les finances du Liban, largement dépendantes du Golfe, pour le contraindre à s’écarter du Parti de Dieu, pro-iranien. Un scénario qui perturbe Paris. « Le sujet qui nous préoccupe, c’est la stabilité du Liban et qu’il y ait une solution politique qui se mette en place rapidement », a déclaré vendredi Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères. En clair que l’affaire Hariri se dénoue. Ce sera un des objectifs de la visite, jeudi prochain à Riyad, du chef de la diplomatie française.
Sur le Yémen, si Emmanuel Macron condamne le tir de missile sur Riyad, il a fait passer « le message très fort » à MBS que la fermeture des ports et aéroports yéménites, décidée par l’Arabie en rétorsion au tir de missile, était « une vraie préoccupation ». Bref, une discussion franche à laquelle les dirigeants saoudiens n’étaient plus habitués. Macron fait le pari que dans le Golfe où l’on a le culte du « zaïm » (le chef), le langage de vérité n’est pas forcément contre-productif.