Selon un Français incarcéré à Doha, une vingtaine de membres de la famille Al-Thani auraient été jetés en prison. En cause, leur proximité avec Riyad.
Depuis quatre ans, un chef d’entreprise, figure de la communauté française au Qatar, pourrit dans une cellule à Doha. Jean-Pierre Marongiu, fondateur de la société de formation en management Pro & Sys, est accusé de chèques sans provision. Un délit qu’il conteste.
Suite à un déplacement dans l’émirat, nous sommes entrés en contact par téléphone avec le prisonnier. Il a d’abord évoqué les conditions d’hygiène déplorables, qui se dégradent depuis l’embargo du 5 juin décrété par les voisins du Qatar, la promiscuité, les brimades, les intimidations, les cafards. Puis, Jean-Pierre Marongiu nous a révélé que plusieurs membres de la grande famille Al-Thani, qui domine le Qatar depuis cent cinquante ans, avaient été récemment incarcérés. « Une vingtaine de personnes environ. Dans mon bloc, il y en a six », assure l’entrepreneur, originaire de Florange, en Moselle.
Le prisonnier français nous a communiqué les noms de quatre membres de la famille royale, nous précisant que les autres ne souhaitent pas être cités « par crainte de représailles ». Il s’agit des cheikhs Talal bin Abdulaziz bin A Mad Ben Ali al-Thani, Abdullah Ben Kalifa Ben Jassim Ben Ali al-Thani, Ali Ben Fahad Ben Jassim Ben Ali al-Thani, et Nasser Ben Abdallah Ben Khalid Ben Ali al-Thani. Ils sont tous membres de la branche Ben Ali, écartée du pouvoir depuis des décennies par le grand-père de l’actuel émir, Sheikh Tamim Bin Hamad al-Thani. Les motifs officiels d’incarcération seraient toujours les mêmes : chèques sans provision, détournement de fonds, malversations. Et pour les plus jeunes, détention de drogue.
La branche Ben Ali, des conservateurs proches de Riyad
Jean-Pierre Marongiu, qui accepte d’être cité, précise que certains Al-Thani étaient déjà emprisonnés avant que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïnrompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Toutefois, les arrestations se sont multipliées depuis le 5 juin 2017. Certes les Al-Thani, des tribus arabes des Banu Tamim, originaires d’Arabie saoudite, comptent près de 3 000 membres. Certains d’entre eux peuvent avoir commis des délits. Néanmoins, ces internements, qui ne frappent que la branche Ben Ali, sont sans doute à mettre en relation avec le déplacement du cheikh Abdallah Ben Ali al-Thani en août dernier en Arabie saoudite afin de remercier chaleureusement Riyad d’avoir permis aux Qataris d’effectuer sans entrave le pèlerinage annuel à La Mecque…
Le quotidien L’Orient-Le Jour révélait alors qu’il avait été reçu avec faste par le prince héritier et par le roi Salmane, ajoutant que ce Ben Ali al- Thani était « présenté par certains comme un potentiel rival de l’actuel émir ». Le journaliste Emmanuel Razavi a travaillé trois ans à la télévision nationale du Qatar. Selon lui, « il y a bien au sein de la famille Al-Thani une tendance conservatrice qui réclame un rapprochement avec l’Arabie saoudite. Pour cette tendance, le Qatar doit devenir, ou plutôt redevenir un satellite, un petit État vassal de Riyad. Que représentent ces conservateurs ? Il est difficile de se faire une opinion, les partis politiques étant interdits dans l’émirat. »
Un émir en eaux troubles
Dans Qatar, vérités interdites, l’ouvrage qu’il vient de publier, Emmanuel Razavi affirme dès les premières pages que ce pays est au bord de l’implosion. Les conservateurs « n’attendent qu’une étincelle pour mettre le feu au Majliss [l’assemblée consultative constituée par les représentants des tribus] et renverser leur prince, espérant intégrer le Qatar au royaume d’Arabie saoudite* ». L’auteur parle notamment d’une explosion survenue en avril 2012, qui a eu lieu aux abords du palais. La rumeur évoquait une tentative de coup d’État militaire, fomentée par un général proche des conservateurs. Mais impossible d’en savoir davantage, car, comme d’habitude, « le black-out fut total ».
L’émir Tamim Bin Hamad al-Thani n’est pas pour autant un véritable progressiste. L’ouvrage Qatar, vérités interdites rappelle que « des familles qataries ont financé des agents recruteurs travaillant pour le compte de l’organisation terroriste État islamique et que leur gouvernement soutient l’Organisation des Frères musulmans ou le Hamas à Gaza, ainsi que les combattants d’Al Nosra en Syrie ». Doha accueille également une représentation des Talibans. Ces ardents défenseurs de la foi, habitués des palaces de la capitale, auraient « une propension pour le moins surprenante à boire de l’alcool et coucher avec des prostituées », insinue le journaliste.
Nous avions déjà tenté d’interroger l’ambassade de France au Qatar à propos de la situation de Jean-Pierre Marongiu, sans résultat. Quant à notre interrogation concernant les éventuelles arrestations de membres de la famille souveraine, l’ambassade nous a renvoyé à Paris au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
*Éditions L’Artilleur, 198 pages.