Selon l’écrivain, Daech ne contrôle plus que 30 % environ de Raqqa, sa « capitale » syrienne, où 5 000 civils au moins sont retenus en otages.
Patrice Franceschi est un écrivain engagé auprès des Kurdes syriens depuis de nombreuses années. Il est à leur côté à Raqqa, où les forces arabokurdes combattent Daech.
Patrice Franceschi est un écrivain engagé auprès des Kurdes syriens depuis de nombreuses années. Il est à leur côté à Raqqa, où les forces arabokurdes combattent Daech.
LE FIGARO. – Raqqa pourra-t-elle être reprise d’ici à fin octobre, comme l’a annoncé l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura ?
Patrice FRANCESCHI. – Le commandement kurde qui dirige la bataille de Raqqa planifie, lui aussi, pour fin octobre la reprise de la ville. Mais la présence de boucliers humains derrière lesquels s’abritent les djihadistes ralentit l’avancée des combattants arabo-kurdes (FDS). Le dernier bastion de djihadistes se trouve dans le nord de la ville, fort d’un millier de combattants, dont 700 étrangers, des Français, des Tunisiens, des Tchétchènes. Ce sont les plus dangereux. Ils refusent de se rendre, empêchent ceux qui voudraient le faire et, surtout, ils empêchent les civils de sortir de leurs immeubles, en les retenant en otages.
Combien reste-il de civils ?
Environ 5 000 dans la partie nord tenue par les djihadistes, c’est-à-dire tout au plus 30% de Raqqa. Tous les jours, les FDS tentent d’établir des corridors entre les rues où sont localisées des familles pour les faire sortir. Parfois, ça marche, mais souvent, les djihadistes en fusillent quand ils sortent. Parfois encore, les civils en fuite sautent sur des mines, car il y en a partout. C’est assez terrifiant. Sur pratiquement tous les cadavres de djihadistes que les forces arabo-kurdes récupèrent, ils trouvent des téléphones portables. Les djihadistes ont cette manie de filmer tout ce qu’ils font, et notamment leurs exactions. Dans les derniers portables récupérés, on a retrouvé des scènes abominables de djihadistes ayant rattrapé une famille qui tentait de fuir. On les voit les emmener ensuite dans des sous-sols d’immeubles, les filmer en tournant autour, avant de les abattre et de repartir, comme s’ils avaient tué un animal. Il y a des cadavres partout. Quand des djihadistes sont tués, leurs camarades cachent des bombes sous les corps.
Dans quel état se trouve Raqqa ?
Un état épouvantable. La banlieue de Raqqa, constituée de petites maisons basses difficilement défendables, n’est pas trop touchée, car les djihadistes n’ont pas opposé une grande résistance. Mais dès que les forces arabo-kurdes sont rentrées dans la ville, avec de premiers immeubles de quatre ou cinq étages, c’est là que l’on recense d’importants dégâts. Les bâtiments ont été presque totalement détruits, les combats ont eu lieu maison par maison, immeuble par immeuble. L’appui aérien de la coalition internationale est très ciblé, et permet immédiatement après aux FDS de donner l’assaut pour s’emparer des immeubles, mais c’est très sanglant.
L’ONU dénonce des bombardements collatéraux qui ont fait de nombreuses victimes civiles.
Non, cela fait partie de la propagande turque. Tout est fait pour épargner les civils, la précision des frappes est impressionnante. Ce qui ne veut pas dire que dans une frappe contre des djihadistes aperçus dans un immeuble, il n’y ait pas de victimes collatérales. Mais cela reste marginal.
Les Kurdes ont-ils fait des prisonniers djihadistes ?
Oui, même des Français. Probablement plusieurs dizaines de Français. Quand des djihadistes sont capturés, ils sont livrés aux services de renseignements étrangers qui les interrogent ensuite à Kobané. Ce sont souvent des djihadistes qui se sont rendus – ils sont assez peu nombreux – ou qui ont été capturés alors qu’ils se faisaient passer pour des civils. Il y en a de toutes les nationalités. Les femmes et les enfants, eux, restent au camp d’Aïn Issa (à 50 km au nord de Raqqa, NDLR).
Comment des Kurdes pourraient-ils gérer Raqqa, une ville arabe ?
Les FDS, c’est 60 000 hommes ; dont presque la moitié d’Arabes, mais aussi des Tcherkesses, des Turkmènes, des yazidis et de nombreuses femmes. Ce sont les Arabes qui sont en première ligne, et ce sont les Kurdes qui donnent les assauts finaux, faute d’expérience chez les Arabes. Mais les Arabes sont fiers d’être en première ligne. Ils pourront dire que c’est grâce à eux si Raqqa a été libérée. Dans chaque ville libérée, les Kurdes créent les conseils civils pour gérer la cité dans l’après-Daech. Mais le sens même du combat de Raqqa n’est pas seulement, comme à Mossoul, d’en finir avec Daech, il s’agit aussi d’engager un processus d’autonomie dans une fédération kurde.
Une fois Raqqa libérée, les Kurdes redoutent-ils d’être lâchés par leurs alliés américains ou français ?
Les Kurdes ont reçu des garanties que les Américains maintiendraient leur soutien après Raqqa. Les Kurdes craignent, en revanche, que, sous la pression du lobby turc, la France ne réduise son aide militaire et politique. Les Kurdes ont besoin d’un pays comme la France qui n’est pas aligné sur les États-Unis. Les intérêts sécuritaires de la France coïncident avec ceux des Kurdes dans la problématique de l’islamisme au Moyen-Orient.