L’escalade verbale de Gebran Bassil serait-elle du bluff pur et simple ? A-t-elle pour objectif réel de raffermir sa position chancelante, ou du moins contestée, au sein du Courant patriotique libre ? C’est ce qu’avancent certains députés du 14 Mars, évoquant la radiation de certains hauts cadres du CPL qui avaient contesté publiquement certaines positions de leur leader.
Dans les milieux concernés, toutefois, on assure qu’avec cette escalade, M. Bassil « met le doigt sur la plaie » et réclame des réponses claires à des questions relatives au pacte de vie commune et au partenariat islamo-chrétien. En tout état de cause, l’implosion de la conférence du dialogue et sa suspension sine die a conduit la crise interne à son paroxysme, et l’on est passé sans transition d’un différend sur la présidence à une mise en question du Liban comme patrie.
Ce qui est clair, en tout cas, c’est que le camp du 8 Mars a implosé également, après la répartie cinglante assénée à Gebran Bassil par Sleiman Frangié, sur sa propre représentativité parlementaire. Il reste que, selon des sources bien informées, le chef historique du CPL a fermement demandé à ses hommes de s’abstenir d’attaquer M. Frangié ou de le prendre à partie. Une chose est sûre, cependant, c’est que ce qui a transpiré des débats pourrait bien avoir mis fin à toute chance qui restait de « libaniser » une échéance désormais intrinsèquement liée à la crise régionale.
Des lueurs d’espoir continuent toutefois de briller à l’horizon politique. Ainsi, en dépit de l’amertume qui transparaît dans ses premières réactions, le président de la Chambre est toujours prêt à convoquer la conférence de dialogue, pour peu qu’une demande unanime en soit faite.
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Par ailleurs, le Hezbollah, tout en protestant de sa fidélité à son alliance avec Michel Aoun, aurait l’intention d’établir des contacts avec toutes les parties en vue de rapprocher les points de vue, en particulier entre ses deux alliés que sont le CPL et les Marada, ainsi qu’entre le CPL et le président de la Chambre, dans un effort pour continuer à assurer la bonne marche des institutions, et en particulier le gouvernement, pour ne rien dire des commissions parlementaires et du Parlement. Pour le Hezbollah, assurent des sources proches du parti chiite, « la stabilité sécuritaire et politique » est une ligne rouge.
Toutefois, la volonté de stabilité du Hezbollah entre en contradiction avec la décision d’escalade du CPL. Quelle tendance donc l’emportera ? On parie, dans les milieux du 14 Mars, sur le fait que l’escalade de Gebran Bassil est seulement tactique, et que le CPL n’ira pas jusqu’à remettre en question le pacte national de 1943. Quoique violente, sa surenchère est purement verbale, ajoute-t-on de même source, même s’il met ses menaces à exécution et qu’il a recours à la rue, sachant que ce recours est une épée à deux tranchants, puisqu’il pourrait provoquer un effet boule de neige et pousser d’autres forces à démontrer leur popularité.
Le côté tactique de cette escalade est lié aussi, dans les milieux politiques, à la volonté de Michel Aoun de « forcer la main » à Saad Hariri, et d’emporter finalement son adhésion à sa candidature à la présidence, une possibilité qui pourrait se produire d’ici à la fin du mois, selon certains. Rêveries, fantasmes et ballons d’essais, réplique-t-on au sein du 14 Mars, à ces pronostics.
Pour en revenir au Hezbollah, des sources assurent que, sans lâcher Michel Aoun, mais sans l’appuyer non plus dans sa décision d’escalade, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, envisagerait de se réunir dans les jours qui viennent, mais secrètement, avec son bouillant allié, qui aurait sollicité l’entretien, ainsi qu’avec Sleiman Frangié et Nabih Berry, en préambule à une miniconférence du dialogue qui se tiendrait entre les composantes du 8 Mars, quelque part dans la banlieue sud.
Hélas, l’effort de rapprochement entre les diverses forces politiques libanaises va à contre-courant des tensions grandissantes entre l’Iran et l’Arabie saoudite, dans le contexte du pèlerinage de l’Adha. C’est ainsi que Téhéran accuse l’Arabie saoudite d’incompétence, tandis que Riyad va jusqu’à affirmer que les chiites ne sont pas musulmans, sachant qu’une conférence qui vient de se tenir à Grozny (Tchétchénie), vient de décréter que le salafisme et le wahhabisme sont « exclus » de l’islam sunnite. Ces dissensions religieuses, estime-t-on, ne peuvent que se répercuter négativement sur le climat politique libanais et compliquer un peu plus la crise interne.