Les dossiers locaux, surtout celui de l’échéance présidentielle, sont liés inextricablement à ceux de la région, notamment à la crise syrienne. Pour nombre d’observateurs politiques, cela est désormais l’évidence même. Les chances d’élection présidentielle fluctuent au gré des développements régionaux et les protagonistes accordent leurs violons en fonction des mutations qui se produisent sur la scène syrienne et des positionnements des leaders régionaux et internationaux, dont une convergence d’intérêts pourrait aujourd’hui placer le dossier syrien sur les rails du règlement. Et pas que le dossier syrien ! Le compromis pourrait englober toute la région, de Damas à Sanaa…
Les développements des derniers jours sur le terrain à la frontière syro-turque montrent l’existence d’une concordance d’intérêts entre la Russie, la Turquie, la Syrie et l’Iran. Washington ne serait pas loin, non plus, de cette entente, en dépit de quelques divergences avec Moscou sur les détails de l’accord conclu entre le secrétaire d’État américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov, concernant la crise syrienne. Analysant les derniers développements sur le terrain syrien – les développements à la frontière turco-syrienne, à Hassaké, les raids de l’aviation syrienne sur les Kurdes pour recouvrer des zones perdues par le régime, ou encore l’attentat de Gaziantep en Turquie et le déploiement de Daech à la frontière turque – des milieux politiques voient une concordance d’intérêts entre Moscou, Ankara et Téhéran, dont Washington est limitrophe, pour empêcher la création d’une entité kurde en Syrie.
Une telle entité serait de nature à fragmenter la Syrie, et probablement, avec elle, d’autres pays de la région, voire même l’Iran… Des sources diplomatiques soulignent ainsi l’existence d’un consensus régional et international en faveur de l’attachement à l’unité du territoire syrien et hostile à l’émergence de mini-États. Nul n’est prêt à se départir des frontières héritées de Sykes-Picot et à dessiner une nouvelle carte de la région. Cependant, nul n’aurait d’objections à des changements intra-muros au niveau de la nature des régimes, comme par exemple l’adoption de la décentralisation ou de formules fédéralistes, sans aller jusqu’à la partition.
(Lire aussi : Avec le Conseil des ministres, aujourd’hui, le début d’une escalade aouniste limitée, la situation par Sandra Noujeim)
Les développements à la frontière turco-syrienne reflètent donc ce nouveau consensus interétatique sur la Syrie, qui a rendu possible l’intervention militaire de la Turquie contre Daech, pour la protection des territoires turcs et de la frontière nord à partir de la Syrie même en tant qu’espace vital turc et contre l’émergence d’un État kurde indépendant dans cette zone syrienne. La démarche turque coïncide avec l’arrivée du vice-président américain, Joe Biden, à Ankara en visite officielle, la première d’un responsable américain depuis le putsch manqué contre Recep Teyep Erdogan. Cette démarche turque en Syrie prouve surtout que tout le monde est désormais conscient du danger de l’effritement des États-nations et de la création d’entités ethniques ou sectaires dans l’ensemble de la région.
C’est pourquoi tous les efforts sont actuellement déployés afin d’associer l’ensemble des composantes syriennes aux négociations entre le régime et l’opposition. Il n’y a plus de conditions rédhibitoires à une solution, comme la chute de Bachar el-Assad, par exemple, avant le début du règlement. Même Ankara, qui insistait pour la déposition d’Assad, propose aujourd’hui une formule réglementant son maintien pour une période de trois mois, avec la formation d’un cabinet de transition représentant toutes les parties qui entamerait le chantier d’un règlement de la crise et la tenue d’élections, de sorte que la passation des pouvoirs soit pacifique. Si cette proposition échoue, il y aurait alors une période de trois mois sans Assad, au cours de laquelle le cabinet de transition assumerait les prérogatives du président et préparerait la passation des pouvoirs.
(Lire aussi : Syrie : Erdogan fait d’une pierre quatre coups)
Pour bien des observateurs, la position turque est une étape importante vers un règlement. Plus d’une partie régionale et internationale a compris que la poursuite des combats en Syrie compliquerait davantage les choses et, partant, les solutions éventuelles. D’autant qu’il existe une volonté internationale de réactiver le dossier palestinien à travers une médiation menée par la Russie avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Les deux hommes se retrouveraient à Moscou en vue d’une conférence internationale dont l’idée avait été proposée par la Russie il y a plus d’un an, mais combattue à l’époque par les États-Unis. Washington s’était également opposé à une initiative française d’une conférence internationale pour la paix au Proche-Orient sur base d’une solution à la crise palestinienne.
Or il existe actuellement une conviction internationale que la solution aux problèmes de la région et à la lutte contre le terrorisme passe d’abord par une solution au conflit israélo-arabe.
Des sources politiques qui suivent de près tout ce développement estiment qu’ils auront des répercussions sur le microcosme libanais, et pousseront à un accord politique sur un président consensuel hors du cercle des quatre grands ténors maronites, dans le cadre d’un package deal. C’est peut-être même ces développements qui auraient conduit le Courant patriotique libre à mener sa dernière offensive, pour renverser la donne et faire du cabinet Salam un cabinet chargé d’expédier les affaires courantes, en attendant la solution…