Depuis le début de la révolution en Syrie, l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (OSDH) s’est imposé comme la principale source d’information d’un grand nombre de journaux et de médias occidentaux, français en particulier. Or cette « organisation », un terme mal adapté… comme on le montrera plus loin, est loin de bénéficier, dans les rangs de l’opposition syrienne, d’une véritable considération. Que leurs références soient laïques ou islamistes, qu’ils appartiennent au courant libéral ou continuent de se référer au socialisme, ce n’est ni le site en arabe de l’OSDH, ni son site anglais, ni sa page Facebook en arabe, ni sa page Facebook en anglais, que les opposants consultent pour se tenir informés de la situation et des atteintes aux Droits de l’Homme dans leur pays. Ils lui préfèrent les sites d’autres organisations dont ils ont le sentiment qu’elles ne sont pas faites d’abord pour les opinions publiques occidentales, qu’elles ne se laissent pas dicter des récits et des détails douteux, et qu’elles ne s’égarent pas dans la couverture, partiale et orientée, de faits de guerre n’entretenant que de lointains rapports avec les Droits de l’Homme.
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En attendant que des spécialistes des médias, de l’information et de la propagande en temps de guerre s’intéressent à la trajectoire de l’Observatoire, comme d’autres l’ont fait naguère avec une rigueur plus ou moins scientifique pour la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, on rappellera que, depuis mars 2011, l’OSDH a été au centre de plusieurs polémiques. Créé en mai 2006, il n’avait guère retenu jusqu’alors l’attention de la majorité des observateurs et des spécialistes de la Syrie.
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Passé sans transition de la présidence de la Syrian Information Techonology Association, unique pourvoyeur d’accès à Internet, à celle de la République Arabe Syrienne, en juillet 2000, Bachar al-Assad a progressivement élargi le nombre des Syriens autorisés à accéder à la téléphonie mobile, à Internet et aux réseaux sociaux. Ce faisant, il n’entendait ni favoriser la circulation parmi eux de l’information, ni contribuer à leur ouverture au monde. Il souhaitait avant tout répondre au souhait de son cousin Rami Makhlouf et d’autres proches de la famille présidentielle de tirer profit d’un domaine d’investissement particulièrement prometteur. Pour avoir tenté de s’opposer à ce projet au nom de la protection des intérêts économiques du pays, le député de Damas Riyad Seif a été durement sanctionné. Son fils Jawad a disparu en mer dans des circonstances jamais élucidées. Son entreprise de confection a été mise en faillite. Pour son activité politique durant le « Printemps de Damas », lui-même a été condamné en 2002 à 5 ans de prison.
Cette orientation nouvelle a entraîné un changement de stratégie dans le contrôle de l’information. Pour ne prendre aucun risque dans ce domaine, Hafez al-Assad avait veillé à ne placer à la tête du ministère dédié à ce secteur que des membres de la communauté d’où sa famille était issue et à laquelle appartenaient les chefs militaires et sécuritaires sur lesquels il s’appuyait en priorité pour monopoliser la réalité du pouvoir. Affectant de renoncer à la censure, qui permettait d’orienter l’information et de prévenir toute critique contre les autorités, son successeur Bachar al-Assad a autorisé la création de médias privés dont la liberté et l’indépendance étaient largement illusoires, dont les articles étaient inspirés ou contrôlés par ses moukhabarat et qui, en diffusant « de source crédible » des informations contradictoires empêchaient les Syriens de comprendre vraiment ce qui se passait chez eux.
Il a opté pour la même stratégie dans le domaine des Droits de l’Homme. Au lieu d’entretenir l’omerta traditionnelle sur les exactions des multiples services de renseignements, il a favorisé la diffusion d’informations aussi diverses qu’impossibles à confirmer. Pour ce faire, il a fermé les yeux sur la création d’organisations de défense des Droits de l’Homme. La majorité de ces organisations n’étaient pas à sa solde. Mais, dans leur diversité, elles empêchaient celles qui travaillaient de façon véritablement indépendante de revendiquer une quelconque exclusivité. Et, en reprenant les informations plus ou moins discordantes et les chiffres contradictoires qui leur étaient fournis par des « sources autorisées », parmi lesquelles figuraient des agents ou des relais des moukhabarat, elles permettaient au régime d’entretenir le doute sur la réalité, l’importance et la signification des faits dont elles se faisaient l’écho.
C’est dans ce contexte que l’Observatoire a été implicitement autorisé à disposer, en Syrie, d’un noyau de correspondants, pour la plupart des avocats dont on ne peut mettre en doute la sincérité de l’engagement dans la défense des prisonniers politiques, des détenus d’opinion et des membres de groupes islamistes ou réputés tels. Créé à Londres par un expatrié syrien répondant au nom, ou plutôt au pseudonyme de Rami Abdel-Rahman, l’OSDH offrait en effet un grand avantage : il se posait en concurrent direct d’une autre organisation depuis longtemps installée en Grande Bretagne, le Comité syrien de Défense des Droits de l’Homme en Syrie. Fondé en 1986, il était devenu en 1997 le Comité syrien des Droits de l’Homme (CSDH). Dirigé depuis 2004 par un diplômé de langue et littérature anglaise, Walid Saffour, et disposant d’un site Internet, le CSDH se trouvait jusqu’alors dans une situation de quasi-monopole dans la divulgation à l’étranger des atteintes aux Droits de l’Homme dont Bachar al-Assad se rendait à son tour coupable en Syrie. En contribuant à mettre fin à ce monopole – comme il avait mis un terme à celui du site d’information en ligne Levant News, lancé en 2001, en autorisant la création en Syrie du site All4Syria, en 2003 – le régime syrien n’entendait évidemment pas exposer ses turpitudes aux yeux et aux oreilles des opinions publiques occidentales. Bachar al-Assad voulait d’abord et avant tout enlever aux Frères Musulmans, à l’origine du CSDH comme de Levant News, leur exclusivité dans les deux domaines pour lui très sensibles de l’information et des Droits de l’Homme.
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En dénonçant, dès le mois de mars 2011, la férocité de la répression mise en œuvre par le pouvoir à l’encontre des manifestants pacifiques, l’OSDH a soudain constitué une gêne pour le régime en place. Rami Abdel-Rahman n’a donc pas tardé à faire l’objet d’attaques en règle, relayées en France par un certain nombre d’agents d’influence du régime syrien, quand ce n’est pas de spécialistes de la désinformation ou d’idiots utiles. Pour discréditer les comptes rendus des évènements en Syrie que l’Observatoire diffusait, ils ont accusé son directeur d’être membre de l’Association des Frères Musulmans et de bénéficier de financements des services de renseignements britanniques. Ils ont également entretenu une polémique artificielle autour de la propriété du site Internet de l’OSDH, revendiqué par un imposteur dont les prétentions se sont révélées fausses et dont la campagne de dénigrement s’est achevée en queue de poisson.
S’ils avaient pris la peine d’interroger les opposants syriens, ceux qui participaient à cette campagne de dénigrement n’auraient pas tardé à apprendre que, de son véritable nom Ossama Suleiman, le directeur de l’OSDH était originaire de Banias et membre de la communauté alaouite, ce qui rendait impossible une appartenance aux Frères Musulmans. Ils auraient également appris que, laïc convaincu, l’intéressé avait participé uniquement, alors que les congrès de l’opposition se succédaient dans divers pays d’Europe, à des rencontres de la Coordination des Forces de Changement démocratique… boycottées par les membres de la confrérie et par la majorité des « opposants de l’extérieur ».
La tempête passée, par paresse, par convergence idéologique ou par commodité… puisque l’Observatoire publiait ses informations également en anglais, la plupart des médias et des agences de presse occidentales, AFP en tête, ont continué à faire de l’organisation qu’ils avaient vilipendée leur source d’information privilégiée, si ce n’est unique. Ils ont évité de se demander comment l’organisation de Rami Abdel-Rahman était perçue par les Syriens eux-mêmes. Ils auraient constaté que la majorité des amis de l’Observatoire appartenaient au Comité de Coordination nationale pour le Changement démocratique (CCNCD) et se rangeaient sous la bannière des « opposants à l’intervention étrangère ».
Il n’est pas inutile de préciser que, pour ces anti-interventionnistes, les étrangers en question sont seulement les Etats arabes et occidentaux. Le soutien multiforme et sans limite de la Russie et de l’Iran, de même que l’afflux en Syrie de milliers de miliciens du Hizbollah et de mercenaires en provenance de l’ensemble du monde chiite, ne leur posent pas de problème. Ils n’entrent pas pour eux dans la catégorie de « l’intervention étrangère », sans doute parce qu’ils y voient une aide sollicitée par un pouvoir que, malgré ses crimes, ils continuent de reconnaître implicitement légitime… En revanche, parmi les activistes et les autres opposants, l’OSDH a commencé à faire l’objet de critiques qui ne sont pas allées en s’estompant mais en s’accentuant, jusqu’à mettre aujourd’hui en question la crédibilité de Rami Abdel-Rahman.
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Nombre d’opposants syriens s’étonnent d’abord du mode de fonctionnement singulier de cette organisation. Alors que toutes les autres structures créées depuis mars 2011 – et en particulier le Violations Documentation Center in Syria (VDC), dont la méthodologie est explicitée ici – s’efforcent, pour fonder leur crédibilité, de travailler de manière collective, l’OSDH se résume à un seul et unique acteur. Il assume à la fois les fonctions de directeur, d’éditeur du site, de gestionnaire des pages Facebook et de porte-parole… Il disposerait, en Syrie, d’une équipe composée de quatre coordinateurs, qui réunissent eux-mêmes, avant de les lui transmettre, les informations reçues d’un réseau de plus de 200 correspondants à travers le pays. Mais ces affirmations sont mises en doute par ceux qui soupçonnent Rami Abdel-Rahman de collecter principalement ses informations sur les pages de groupes politiques, d’unités combattantes de l’opposition ou de partisans du régime, sans aucune possibilité de vérification.
Ils voient la preuve de son isolement et de son manque de moyens humains dans le fait que l’OSDH se contente de diffuser de brèves nouvelles et qu’il ne produit ni rapports, ni synthèses, ni études d’une certaine ampleur, à la différence des autres ONG syriennes de Défense des Droits de l’Homme, comme le Réseau syrien des Droits de l’Homme, le Centre Damas pour l’Etude des Droits de l’Homme, le Comité syrien des Droits de l’Homme ou l’Organisation des Droits de l’Homme en Syrie – MAF, pour ne citer qu’elles.
Ils doutent d’ailleurs de la réalité du réseau d’informateurs dont Rami Abdel-Rahman prétend disposer à l’intérieur de la Syrie, et ils s’interrogent sur les conditions de sa mise en place. Ils n’ignorent pas que, selon le premier intéressé, les bases de ce réseau auraient été constituées par lui avant même son départ de Syrie, il y a 13 ans. Mais ils ne savent pas quelle crédibilité accorder à cette indication, compte-tenu des doutes qui entourent les conditions exactes de son installation en Grande Bretagne. Le flou délibérément entretenu par lui sur sa page Facebook, qui ne mentionne aucune information susceptible de faire connaître son passé, n’est pas fait pour arranger les choses. Tous ne sont pas convaincus de la réalité de ce que l’un de ses anciens amis rapporte sur son compte, à savoir que, membre des Renseignements militaires, il aurait été nommé à Londres pour surveiller les opposants, et qu’il aurait démissionné, au terme de sa mission, pour continuer à vivre – et à travailler ? – en Angleterre. Mais ils préfèreraient savoir exactement quel a été son parcours avant de lui faire pleinement confiance.
Ils inclinent à penser que, contrairement à ce qu’il affirme, Rami Abdel-Rahman ignore l’identité exacte et l’appartenance politique de la majorité de ses informateurs, qui lui ont proposé leurs services alors que la révolution était déjà entamée, pour des motifs divers. Les uns, spontanément, pour participer à l’information des opinions publiques extérieures sur la réalité de la situation politique et sur les atteintes aux Droits de l’Homme dans leur pays. Les autres, sur ordre, pour contribuer à la propagande gouvernementale et démontrer, en mêlant le vrai au faux et en accentuant certains travers de la contestation, que le mouvement était violent et confessionnel comme l’avait prétendu le régime avant même que les Syriens aient pu sortir dans les rues. Ils ont le sentiment qu’il importe peu au directeur de l’OSDH, qui a perdu un certain nombre de ses informateurs, réduits au silence, chassés de leur pays ou jetés en prison – comme l’avocat Khalil Maatouq – que les membres de son réseau soient opposants ou partisans du régime. L‘important pour lui est qu’ils lui permettent, en lui transmettant au plus vite les dernières nouvelles en provenance de toute la Syrie, de devancer ses concurrents et de s’imposer comme la « meilleure » source d’information sur les évènements dans son pays.
Ils relèvent ensuite que, à la différence encore des autres OGN, l’OSDH s’abstient dans la plupart des cas de mentionner les noms des victimes. Or, cet élément constitue pour toutes les organisations de Défense des Droits de l’Homme, un élément majeur de crédibilité. A la différence des chiffres, ce sont les noms des victimes, leur lieu de naissance, la date et les circonstances de leur mort qui permettent seuls de confirmer la réalité des décès, qu’il s’agisse de civils, de membres de l’opposition armée, de militaires, d’agents des moukhabarat, de miliciens, etc… Le 16 décembre, l’OSDH annonçait ainsi, « de sources crédibles », la mort de 5 personnalités dirigeantes de l’Etat islamique, tuées dans deux raids aériens contre un hôpital de Mayadin. Il n’indiquait pas leurs noms, selon toute vraisemblance parce que sa source ignorait ce détail, et il omettait d’indiquer que ces attaques avaient été menées par l’armée de l’air syrienne et non par la coalition. Le lendemain, il portait le nombre des morts à 22, parmi lesquels 11 membres – dont 6 dirigeants – de l’Etat islamique, toujours aussi anonymes. Or, étrangement, la Coordination d’al-Mayadin, qui avait consacré plusieurs brèves au fil des heures à cette opération, n’a relevé la présence parmi les morts que de victimes civiles, dont les noms ont été par elle soigneusement retranscrits. Vrai, probable ou fausse, la présence de « da’echistes » dans l’hôpital bombardé pouvait en tout cas servir à justifier une attaque contre un établissement hospitalier… que l’OSDH s’est d’ailleurs abstenue de condamner.
Ils dénoncent par ailleurs la tendance de l’Observatoire de Rami Abdel-Rahman à renvoyer dos-à-dos, dans l’usage de la violence, les forces du régime et les groupes armés. C’est du moins ainsi qu’ils interprètent l’insistance de l’intéressé à rapporter au jour le jour le nombre des soldats et des officiers décédés dans les opérations menées sur l’ensemble du territoire. Ils s’offusquent de cette manière de faire, parce qu’ils savent que seuls des militaires ou des agents des services de renseignements disposent de ce type d’information. Le régime lui-même, par peur d’attiser le mécontentement au sein des communautés servant de vivier à son armée et à ses forces paramilitaires, hésite souvent à annoncer ses pertes et repousse le rapatriement des cadavres dans les villes et plus souvent les villages d’où les victimes sont originaires. En revanche, la publication de simples chiffres, évidemment invérifiables sans mention du moindre nom, est une aubaine pour le pouvoir syrien, puisqu’elle lui permet soit de se poser lui aussi en victime, soit de démontrer que les criminels qu’il combat ne valent guère mieux que lui.
Ils s’irritent aussi de constater que cette manière de faire fournit depuis longtemps à certains inconditionnels du régime en place les chiffres qui leur permettent d’affirmer, contre toute réalité, que « Bachar al-Assad ne massacre pas son peuple » ! Ainsi, après avoir présenté l’OSDH pour les besoins de sa démonstration comme « un organisme proche de la rébellion financé (sic) par les monarchies arabes et les Etats occidentaux », l’un de ces men-hebbakjis écrivait, le 5 septembre 2013, qu’en annonçant 110 371 morts en 30 mois de conflits et en évaluant à 45 478 le nombre des « combattants loyalistes tués depuis le début du conflit », l’OSDH démontrait que « près de la moitié des victimes de la guerre sont des soldats et des miliciens loyalistes ». Certains n’hésitent pas à se dire convaincus que c’est à dessein, pour parvenir à ce résultat, que travaillent un certain nombre de membres du réseau d’informateurs de l’OSDH.
Ils se demandent si ce n’est pas, encore une fois, pour devancer les ONG concurrentes et rester toujours le mieux disant, que l’Observatoire a subitement annoncé, le 2 décembre 2014, avoir « documenté la mort de près de 300 000 personnes depuis le 18 mars 2011 », soit un nombre bien supérieur à celui qu’il admettait jusqu’ici. Ils s’étonnent de cette « inflation » soudaine, sachant que, le 30 septembre 2013, l’OSDH faisait état de 115 000 personnes tuées depuis le début de la guerre civile« , qu’il en dénombrait 140 000 le 2 février 2014, puis 150 000 le 5 avril suivant… Ils se souviennent en effet avoir été surpris par la colère de Rami Abdel-Rahman lorsque celui-ci avait constaté que l’ONU, par la voix de Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, négligeait ses estimations et faisait mention, au début du mois de janvier 2013, d’un nombre de morts beaucoup plus élevé que le sien. Comme s’il était en mesure, lui et lui seul, de connaître la réalité du nombre des décès et que la compilation et la documentation des victimes n’étaient pas un travail collectif, que seul pouvait permettre l’enregistrement non pas des chiffres mais des noms…
Ils s’offusquent de la sous-évaluation de certains chiffres qu’il fournit, comme , par exemple, celui de « 200 000 personnes emprisonnées en Syrie depuis les début de la guerre, en mars 2011« , et celui de « 12 000 morts en détention » durant la même période. Ils sont en effet notoirement inférieurs à ceux des autres ONG et, surtout, ils sont inconciliables avec le nombre des victimes de la torture et de la faim dans les seuls centres de détention des services de renseignements de Damas, fourni et étayé par les photos de Caesar, déserteur de la Police militaire syrienne. Le 21 août 2013, après le massacre chimique commis dans la Ghouta orientale, dont ont été victimes 1400 martyrs civils, l’OSDH a prétendu que les morts s’élevaient au nombre de 183 seulement…, avant de reconnaître qu’il s’était trompé. Mais qui donc et dans quel but lui avait fourni ce chiffre erroné, que l’Observatoire avait tenté d’imposer dans les médias ?
Ils critiquent encore l’orientation prise par l’OSDH, qui, au lieu de se consacrer à ce qui est censé être son objectif et dénoncer les atteintes aux Droits de l’Homme commises par les parties en conflit, s’est petit à petit transformé en agence d’information sur le déroulement de la guerre, les affrontements, les explosions, les attentats et les bombardements. Compte-tenu de ce qui précède et des dérives constatées par eux dans les comptes rendus de l’Observatoire, ils se demandent si cette modification n’est pas, elle aussi, intervenue à la demande de ceux qui, dans l’ombre, lui fournissent ses informations. Elle lui permet en effet de souligner les faits et méfaits des groupes armés, d’incriminer à tort et à travers des combattants islamistes, et de mettre en exergue, au profit du régime et de sa propagande, le caractère confessionnel ou supposé tel de leurs engagements.
C’est là encore un reproche et non des moindres que les opposants adressent à l’Observatoire. A de nombreuses reprises, depuis le début des troubles, ils ont en effet relevé une tendance de sa part à accentuer, et parfois une volonté de créer de toute pièce, le caractère confessionnel de certains évènements. L’affaire la plus emblématique de ce genre de travestissement de la réalité a eu pour cadre, en juin 2013, le village de Hatla, dans les environs de Deïr al-Zor, dont les grandes lignes sont retranscrites ici pour mémoire.
Retour sur l’affaire de Hatla
http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/12/08/deir-ez-zor-a-lest-de-la-syrie-des-islamistes-des-tribus-et-du-petrole/
Le 12 juin 2013, l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme […] publiait un communiqué en anglais que les agences de presse s’empressaient de reproduire. Il y était affirmé qu’une soixante de chiites, combattants et civils, avaient été « tués suite à l’attaque du village » par des rebelles. Le texte du communiqué laissait entendre qu’il s’agissait d’assassinats effectués de sang-froid. Or, dans son communiqué en arabe diffusé quasi-simultanément, l’OSDH présentait l’attaque de Hatla comme une « action de représailles » contre des miliciens chiites ayant préalablement attaqué des positions rebelles, et ayant fait deux morts dans leurs rangs. Ce second communiqué précisait d’ailleurs que la majorité des habitants de Hatla tués lors de l’opération « portaient les armes ».
Mais le mal était fait et la rébellion était immédiatement accusée d’avoir procédé, dans ce village, à une opération de « nettoyage confessionnel ». Les protestations des rebelles n’y faisaient rien. D’autant que les vidéos prises durant les combats montraient l’incendie de maisons appartenant à des chiites et permettaient de constater que certains assaillants formulaient des insultes et des appels au meurtre à l’encontre de chiites… koweïtiens. Le 13 juin, l’OSDH se décidait à publier la traduction exacte de son communiqué en arabe, précisant que « les rebelles avaient attaqué le village de Hatla après avoir été eux-mêmes agressés », que la majorité des victimes tombées durant l’attaque étaient des combattants, et qu’il lui avait été impossible de dénombrer le nombre exact des morts…
Il ne s’agissait pas d’une erreur ou d’un accident, mais d’un procédé délibéré auquel Rami Abdel-Rahman a eu et continue d’avoir recours dans le but de contribuer à la déconsidération de certains individus ou de certains groupes armés. Criminels ou victimes, ceux qu’il met en scène ne sont pas tous « islamistes », mais les présenter comme tels revient à faire fait le jeu du régime de Bachar al-Assad et de sa propagande.
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Voici un simple florilège de son catalogue en la matière.
A Sadad, un village chrétien situé à 60 km au sud de Homs, une famille entière a été égorgée à la fin du mois d’octobre 2013. L’OSDH a immédiatement accusé l’opposition armée – plus précisément Jabhat al-Nusra – d’avoir commis ce crime. Mais, dans un face-à-face organisé quelque temps plus tard sur Orient TV, un chrétien de la localité, Edmond Dahouch, a mis son directeur au défi de prouver ce qu’il avançait et il a pour sa part expliqué que le meurtre avait été commis par des chabbiha de l’Armée de Défense nationale, d’ailleurs arrêtés quelque temps plus tard et déférés devant une cour militaire. Les objets de valeur dérobés dans le village, comme des icônes, avaient été retrouvés sur les marchés réservés au produit des rapines des partisans du régime – les fameux « souks al-sunna » – dans certains quartiers et villages du gouvernorat de Tartous.
Le 27 novembre de la même année, tandis qu’une trentaine de femmes et d’enfants cherchaient à fuir la ville de Nebek pour se réfugier à Yabroud, ils ont été pris pour cible par un obus tiré par des forces régime. Celles-ci ont empêché quiconque de s’approcher des victimes, pour évacuer les morts ou porter secours aux survivants. Comme à son habitude, l’OSDH s’est empressé de diffuser l’information. Mais, se fondant sur les déclarations de ses sources ou donnant des faits sa propre interprétation, il a affirmé que les victimes étaient des « combattants islamistes » et qu’ils avaient été « tués dans une embuscade que l’armée leur avait tendue ». Autrement dit, en terme triviaux, « circulez, il n’y a rien à voir ».
Au lieu de tirer les leçons de ses erreurs – ce qui supposerait de sa part la reconnaissance de ses fautes – Rami Abdel-Rahman a délibérément récidivé trois mois plus tard. Dans la nuit du 25 au 26 février 2014, 170 personnes ont été tuées dans la Ghouta orientale de Damas par les forces du régime, assistés de combattants du Hizbollah et de miliciens irakiens du groupe Abou al-Fadl al-Abbas. Les personnes en question cherchaient désespérément à quitter la région d’al-Outaïba, hermétiquement assiégée par les forces loyalistes. L’OSDH a immédiatement repris les explications fournies sur ce massacre par le régime et ses instruments habituels de propagande : l’agence de presse officielle SANA, la chaîne al-Manar du Hizbollah ou la chaîne al-Maydin… Selon lui, les victimes étaient des tchéchènes, des saoudiens et des afghans, bref des combattants islamistes étrangers venus semer la terreur en Syrie. Il a ostensiblement ignoré les récits diffusés par des activistes et des citoyens-journalistes de la région, qui n’ont eu aucune difficulté à démontrer qu’il n’y avait aucun non-syrien parmi les victimes, que 75 % d’entre elles étaient des habitants d’al-Outaiba et que les 25 % restant étaient originaires d’autres villages des alentours. Ces faits établis, Rami Abdel-Rahman s’est abstenu de publier la moindre rectification…
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Au fil de près de 4 années de confrontation entre des Syriens réclamant leurs droits à la liberté et à la dignité et un pouvoir accroché à ses privilèges, les opposants syriens ont eu le temps de se faire leur opinion sur l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme et son directeur. Ils ont acquis la conviction que, loin de mériter la confiance que la majorité des médias occidentaux continuent de lui accorder, « l’organisation » de Rami Abdel-Rahman travaille consciemment au profit du régime de Bachar al-Assad. En reprenant des informations tendancieuses dont elle ignore en réalité de qui elles proviennent, elle est devenue l’une des composantes du système de propagande mis au point par ses soins à l’intention des opinions publiques occidentales. Les travestissements de la vérité auxquels elle se livre, avec ou sans preuves, aboutit en ces jours à faire passer son directeur pour un « nassâb », un charlatan ou un imposteur.