Quel séisme ! Le régime syrien use de gaz chimiques contre sa propre population. Le Président américain Barrack Obama monte au créneau, déploie son armada en Méditerranée. On avait l’impression de vivre un remake inversé de la crise des missiles de Cuba en 1962. Et puis, grosse surprise : le président américain obtempère, recule et se rabat sur une solution diplomatique qui lui permet de sortir du guêpier syrien que, de toute évidence, il n’apprécie pas. En dépit des crimes contre l’humanité, en dépit du viol des principes fondamentaux les mieux assis de notre monde et dont l’Occident s’est toujours voulu le gardien, le geste du président américain a été perçu comme celui de César Auguste qui ne veut plus être le maître absolu de Rome mais préfère demeurer chef en son village.
Néo-isolationnisme ? Ou révision d’options stratégiques majeures ? L’avenir nous le dira. Néanmoins, l’attitude du président Obama a fait subir au monde une secousse tellurique dont les retombées se feront sentir encore, durant les décennies à venir.
Obama a-t-il reculé face à Poutine comme Kroutchev avait reculé face à Kennedy en 1962 ? Ce n’est pas tout à fait certain. Déjà, lors de son fameux discours du Caire, le 4 juin 2009, les observateurs les mieux avertis avaient perçu le double danger qui sous-tend la vision d’Obama : un certain gauchisme anti-impérial doublé d’un communautarisme consensuel et pacifiste. Tout l’argumentaire de son discours avait ramené les problèmes du monde à une querelle de famille entre les héritiers d’Abraham : juifs, chrétiens et musulmans. Il avait appelé à une réconciliation des monothéismes abrahamiques comme assisse d’une nouvelle ère de paix dans le monde. Il est évident que de telles considérations sont largement insuffisantes pour se doter d’une stratégie claire quand on est la plus grande puissance militaire de l’histoire.
La crise syrienne n’a fait que confirmer cette impression. Barrack Obama n’est pas et ne souhaite pas être un bâtisseur d’empire. Ceci pourrait signifier que les USA, qui n’ont plus besoin du pétrole du Moyen Orient, peuvent se permettre de se retirer du Levant et de se rabattre progressivement vers le continent américain et l’immensité du Pacifique. L’Amérique redevient une île au milieu des océans, une formidable puissance maritime.
Mais que devient le reste du monde ? Vladimir Poutine a bien compris la signification du vide ainsi créé par Obama. Il s’est dépêché, 24 heures après le fameux discours du mardi 10 septembre 2013, de s’adresser au peuple américain en première page du New York Times, un peu comme s’il lui adressait la parole face à face, des rivages atlantiques de l’Europe, car l’enjeu de tous ces bouleversements demeure l’Europe ou, plutôt l’Euro- Méditerranée.
Le nouvel isolationnisme américain, qui a ses raisons justificatives, révèle la nudité de l’Europe. La balle est maintenant dans le camp de l’Europe Occidentale dont l’hégémonie sur les mers est demeurée incontestable depuis les temps de l’Empire Romain. Centrée sur la Méditerranée comme mer ouverte, la civilisation a pu s’épanouir et prospérer autour de notre mare nostrum mais, aussi, elle a pu conquérir le monde et s’exporter aux quatre coins du globe grâce à la puissance de conquête des empires coloniaux dont les acquis stratégiques ont pu éviter l’effondrement au XX° siècle grâce aux interventions américaine, lors des deux guerres mondiales notamment ainsi que de la guerre froide.
Sommes-nous toujours dans un tel monde devenu si familier ? Rien n’est moins certain. Si, dans la foulée de la crise syrienne, un tel renversement en Méditerranée se confirme, ceci voudrait dire:
• Une puissance continentale, et non plus maritime, domine le vieux continent eurasiatique.
• La mer Méditerranée, dont le verrou oriental est en Syrie, sur la double ligne de l’Oronte et de l’Euphrate, n’est plus une mer ouverte mais serait devenue une des trois mers fermées de l’Eurasie : Mer Caspienne, Mer Noire, Mer Méditerranée.
• Dans de telles conditions, l’Europe Occidentale ne serait plus que ce que la géographie a voulu qu’elle soit : un prolongement, une presqu’île de l’Eurasie.
On le voit, un des enjeux majeurs de cette déroutante crise syrienne n’est pas seulement l’approvisionnement énergétique de l’Europe mais aussi son avenir politique.
L’Europe est elle en mesure, dans la fidélité à son histoire et à sa culture, de se doter d’une vision politique de ce qu’est l’Euro-Méditerranée ? Si l’Europe s’avère incapable de se doter des options stratégiques adéquates en matière de dialogue euro-arabe, l’Histoire risquerait bien de retenir que l’Europe Occidentale fut enterrée à Damas.
L’Orient Le Jour