Par Gerhard Lob, swissinfo.ch
Le Tessin est le premier canton de Suisse à inscrire dans sa constitution une interdiction de se dissimuler le visage dans les lieux publics, sur le modèle de la loi controversée adoptée il y a trois ans en France. Plébiscitée par près de deux tiers des citoyens tessinois, la proposition devra encore recevoir le feu vert de l’Assemblée fédérale.
Lors de la votation de dimanche, 65,4% des Tessinoises et des Tessinois se sont prononcés en faveur de l’initiative populaire visant à interdire le port de la burka et du niqab dans l’espace public. Un contre-projet élaboré par le parlement tessinois prévoyant d’ancrer uniquement l’interdiction dans la loi et non dans la constitution a également été accepté. Cependant, dans une question subsidiaire, les électeurs ont préféré l’initiative au contre-projet.
Le promoteur de l’initiative, Giorgio Ghiringhelli, se montre «extrêmement satisfait» de l’issue du scrutin. «Nous écrivons l’histoire», a-t-il affirmé depuis le jardin de sa résidence de Losone, relevant qu’il s’agit de la première fois que le peuple d’un canton suisse se prononce sur une telle interdiction. Durant la campagne, il avait souligné le caractère préventif de l’initiative, rares étant les Tessinoises et les Tessinois ayant déjà aperçu dans leur canton des femmes vêtues du niqab ou de la burka.
Le résultat rappelle la votation populaire (fédérale) de 2009 sur l’interdiction de construire de nouveaux minarets, qui avait été acceptée par une majorité des Suisses. Cette votation avait fait les gros titres de la presse internationale. Au Tessin, 68,1% de l’électorat s’était déjà prononcé il y a quatre ans contre les minarets. Pour Giorgio Ghiringhelli, ancien journaliste et combattant politique solitaire, il s’agit de lancer un signal contre «l’islamisme militant». Il espère également que le vote tessinois agira comme un aiguillon dans d’autres cantons.
«Toujours plus à droite»
L’avocat et ancien procureur Paolo Bernasconi, qui s’était engagé pour un double non (à l’initiative et au contre-projet), se montre en revanche déçu. Cette initiative donne selon lui une mauvaise image du canton du Tessin à l’extérieur. «Cette interdiction est absolument ridicule», affirme-t-il. Il estime par ailleurs que l’initiative va à l’encontre de la législation européenne sur les droits de l’homme.
Mais Paolo Bernasconi ne se montre pas pour autant surpris du résultat de la votation: «Le canton du Tessin dérive toujours plus à droite et il manque une véritable opposition. Il n’y a même pas eu un comité pour s’engager en faveur du double non.»
Avant le vote, le débat public sur les avantages et les inconvénients d’une interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics a mis du temps à s’animer. La longue pause politique estivale a été en partie responsable de cette situation. Mais la relative apathie de la campagne est surtout due au fait que la grande majorité des partis ont accueilli positivement la proposition, du moins dans le cadre du contre-projet présenté par le législatif tessinois.
Une loi «discriminatoire»
Quant aux milieux touristiques, ils ont fait preuve de beaucoup de sérénité face à l’issue annoncée du scrutin. Les hôteliers tessinois ne sont que rarement confrontés à des clientes entièrement voilées. La votation n’aura donc que très peu d’effets sur ce secteur important pour l’économie tessinoise.
L’initiative a en revanche été combattue par Amnesty International et Human Rights Watch. Les deux organisations non gouvernementales ont publié plusieurs annonces dans les journaux tessinois. Elles y ont notamment souligné que le port du voile pour raisons religieuses n’était pas une menace pour l’ordre et la sécurité.
L’European Muslim League et le Conseil central islamique suisse (CCIS) ont pour leur part organisé une conférence de presse la semaine dernière à Lugano afin d’exprimer leur opposition résolue à une interdiction du port du voile islamique. Ces associations ont notamment fustigé une «loi d’exception discriminatoire». Des femmes voilées ont distribué des tracts contre l’initiative.
Que dira l’Assemblée fédérale?
Malgré le succès acquis devant le peuple, les initiants n’ont pas encore partie gagnée. Le texte devra franchir un dernier obstacle: une validation formelle par l’Assemblée fédérale. Comme il en va de la liberté de religion, garantie par la constitution fédérale, l’initiative tessinoise pourrait provoquer d’âpres débats à Berne. Jusqu’ici, le Parlement suisse a rejeté toutes les initiatives visant une interdiction de se dissimuler intégralement le visage. La dernière en date concernait un projet du canton d’Argovie, qui voulait interdire la burka sur tout le territoire suisse.
Par ailleurs, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg ne s’est toujours pas prononcée sur les plaintes qui ont été déposées en France à la suite de l’adoption de la loi sur l’interdiction de se dissimuler le visage dans les lieux publics. Une décision qui sera suivie de très près à Berne, puisque le projet tessinois est pratiquement une photocopie de la loi française.
Il est à noter que dans l’Hexagone, cette interdiction du voile intégral a provoqué à plusieurs reprises des incidents lors de contrôles dans la rue, notamment dans les quartiers sensibles de la région parisienne. Au Tessin, il n’a pas encore été décidé de quelle manière les forces de l’ordre appliqueront cette interdiction. Les sanctions prévues devront également être inscrites dans la loi d’application.
Gerhard Lob, swissinfo.ch