LE CAIRE – Le chef d’Al-Azhar, le plus éminent centre universitaire de l’islam sunnite, a présenté, mardi dernier, en amont de la rédaction de la nouvelle constitution égyptienne, une Déclaration des Droits défendant les principes de liberté d’expression et de liberté religieuse.
La déclaration, fruit de trois mois de collaboration avec des penseurs laïques et musulmans, est une tentative d’Al-Azhar d’affirmer son rôle en tant que voix de l’islam modéré face à la puissance politique grandissante, depuis la destitution du président Hosni Moubarak en février, des groupes islamistes plus conservateurs.
Les Frères musulmans conservateurs, représentant la force politique la plus organisée d’Égypte, et les Salafistes, ultraconservateurs plus radicaux, ont remporté la majorité lors des premières élections parlementaires de l’ère post-Moubarak. Les deux mouvements souhaitent établir l’Etat sur des bases islamistes, suscitant des inquiétudes parmi les groupes libéraux et les chrétiens d’Egypte, qui craignent de voir les préceptes religieux conservateurs dicter la forme de la nouvelle constitution. En théorie, il revient au Parlement de nommer les personnes chargées de rédiger le document.
Ce document d’Al-Azhar est la dernière d’une série d’initiatives prises par l’institution pour accroître sa visibilité alors que les islamistes montent en puissance politique, et de réhabiliter sa propre image, après avoir été considérée pendant des décennies comme un instrument du régime. Laïques, libéraux et chrétiens égyptiens ont, tour à tour, accueilli sa démarche, en espérant qu’il apportera un poids religieux pour le maintien des droits démocratiques les plus larges que les conservateurs, craignent-ils, essayeront de limiter. Un document précédent d’Al-Azhar, également parrainé par des intellectuels, soutenait les révolutions arabes et les droits du peuple au changement démocratique.
« Ce document a une force morale parce qu’il a le soutien des experts d’Al-Azhar, l’authorité de l’université Al-Azhar et le poids critique des intellectuels», a déclaré Nabil Abdel-Fattah, chercheur spécialiste des religions au Centre d’études politiques et stratégiques Al-Ahram. « L’objectif est de proposer une vision islamique modérée» face à la montée en puissance de l’interprétation salafistes radicale de l’islam.
Le Cheikh d’Al-Azhar, Ahmed el-Tayeb, a déclaré aux journalistes que la Déclaration des Droits, qui préserve les libertés de culte et d’opinion, la recherche scientifique, l’art et l’expression créatrice, a été rédigée pour servir de base à la nouvelle constitution du pays, selon les commentaires publiés par l’agence de presse d’Egypte.
Dans un message adressé aux minorités chrétiennes égyptiennes de plus en plus nerveuses, il a indiqué que les règles de l’islam protègent la liberté religieuse et garantissent l’égalité des droits des citoyens.
Hassan el-Shafei, un membre éminent d’Al-Azhar, a déclaré que le document avait été transmis aux autorités afin d’être pris en compte dans la rédaction de la constitution. Le document a été rédigé au cours des trois derniers mois, en collaboration avec des penseurs musulmans et chrétiens, a-t-il indiqué.
Cependant, Abdel-Fattah, qui a participé aux discussions sur la Déclaration des Droits, a critiqué certains termes du document qui semblent destinés à dissiper la crainte des islamistes conservateurs.
Le document indique que la liberté artistique “ne doit pas contrevenir aux sentiments religieux et mœurs sociales. »
Abdel-Fattah a déclaré qu’une telle formule « est une faiblesse et sape les principes du document en soumettant l’art à la censure des chefs religieux ou même des gens ordinaires. » Pendant le règne de Moubarak, Al-Azhar, a censuré un certain nombre de romans et autres livres qu’il considérait être en violation de la religion.
Autrefois, Al-Azhar exerçait une influence considérable sur des millions de sunnites dans le monde entier, offrant des orientations sur les questions de la foi en Egypte et dans d’autres pays musulmans, à travers son vaste réseau d’écoles coraniques, une université et des instituts religieux qui ouvrent leurs portes aux musulmans du monde entier. Elle a perdu beaucoup de cette influence, en partie en raison de son étroite collaboration avec le régime de Moubarak, critiquée d’être l’instrument des autocrates.
Le chef d’Al-Azhar est nommé par l’Etat. El-Tayeb a été membre du parti au pouvoir, aujourd’hui dissout, et était initialement opposé à la vague de protestations qui a explosé le 25 janvier contre le régime de Moubarak et qui a mené 18 jours plus tard à l’éviction du président.
L’influence d’Al-Azhar a également été remise en cause par le nombre croissant de groupes religieux plus indépendants qui sont devenu l’opposition aux dirigeants égyptiens la plus influente, certains d’entre eux ayant même recours à la violence.
Moubarak a démissionné après les protestations populaires sans précédent organisées majoritairement par des groupes de jeunes citadins des classes moyennes réclamant plus de liberté et de justice et l’amélioration des droits humains. Depuis lors, cependant, les Frères Musulmans et les Salafistes sont apparus comme les acteurs politiques les plus puissants, aux côtés du Conseil militaire au pouvoir, qui a succédé à M. Moubarak.
Depuis la chute de Moubarak, beaucoup en Egypte comptent sur Al-Azhar pour faire le contrepoids des groupes plus radicaux, et restaurer sa place comme centre d’enseignement islamique.
De nouvelles propositions discutées actuellement suggèrent que le chef d’Al-Azhar et le noyau de chercheurs soient élus pour leur permettre une plus grande indépendance par rapport à l’Etat. L’université étudie également la possibilité de créer sa propre chaîne de télévision, pour contrer les nombreuses chaînes privées ultraconservatrices qui diffusent la pensée des religieux indépendants, la plupart des salafistes.