L’opposition syrienne tiraillée entre la peur du régime et le soutien à la rue
Il peut être utile, à l’intention de ceux qui n’ont découvert la Syrie qu’à l’occasion des tragiques événements qui s’y déroulent depuis le printemps 2011, comme de ceux pour qui la Syrie se réduit à ses villes, ses paysages, ses monuments et la proverbiale qualité d’accueil de sa population, de proposer une présentation synthétique de la scène politique syrienne. Il ne s’agira pas ici d’en refaire l’histoire, déjà disponible pour la période précédant l’arrivée aux affaires de Bachar Al Assad, ni de parler de tous et de chacun des partis politiques qui composent le pouvoir et l’opposition. Il s’agira plutôt de préciser où se situe aujourd’hui, après 10 ans de gestion sans partage du président héritier et 6 mois de contestation de son autorité, le centre de gravité de la scène politique en général et les lignes de fracture de l’opposition syrienne en particulier. Souvent prise à la légère, parce que les conditions auxquelles elle était confrontée lui interdisaient toute activité et l’isolaient largement du monde extérieur, cette opposition est mise au défi aujourd’hui de montrer qu’elle est en mesure de s’organiser et d’acquérir la légitimité qui en fera une alternative crédible au régime en place. A ce jour, le pari est loin d’être gagné.
1 / Lorsque Bachar Al Assad prend ses fonctions, en juillet 2000, les partis politiques arabes – les seuls dont il sera ici question, car les partis kurdes et assyriens, bien que soumis aux mêmes restrictions que les autres, se situent dans une problématique légèrement différente – sont grosso modo répartis en deux grands ensembles :
Le premier, le Front National Progressiste (FNP), réunit autour du Parti Baath les formations qui, pour des raisons idéologiques parfois, et par calculs opportunistes souvent, ont accepté de se ranger, en mars 1972, sous l’égide du parti quelque temps plus tard consacré « dirigeant de l’Etat et de la société » (art. 8 de la Constitution de 1973). Lorsque le « Printemps de Damas » débute, la répartition du pouvoir et des rôles au sein du FNP est totalement déséquilibrée entre, d’une part, le Parti Baath, théoriquement détenteur de toutes les prérogatives mais pratiquement soumis au contrôle et à la suprématie des moukhabarat, et les autres partis, réduits au rang de simples « supplétifs ». A cette date, ils n’ont en effet le droit ni d’installer des enseignes pour signaler l’emplacement de leur siège, ni de disposer d’antennes ou de bureaux hors de la capitale, ni de publier des revues ou des bulletins internes, ni de diffuser des communiqués… qui ne seraient d’ailleurs pas repris par les médias tous au main du pouvoir baathiste, ni de se réunir en congrès, ni de procéder au recrutement de nouveaux militants dans les rangs des étudiants, ni de s’approcher de l’Armée, etc… Ces « alliés » sont au nombre de 7 [1]. Deux sont le résultat d’une scission au sein du Parti Communiste, les cinq autres proviennent, par un processus de divisions répétées, soit du Parti de l’Union Socialiste Arabe, un parti nassérien créé et jadis dirigé par le Dr Jamal AL ATASSI, soit du Mouvement Socialiste Arabe de Akram AL HOURANI, qui, en rejoignant le Parti Baath en 1952, est partiellement responsable de son orientation socialiste. Ce qui unit ces 8 formations politiques, ce sont essentiellement trois choses :
la priorité accordée aux questions « nationales », qawmiya, autrement dit aux questions arabes ou pan-arabes, au détriment des questions « patriotiques », wataniya, c’est-à-dire aux questions syriennes ;
l’adhésion au socialisme, ichtirâkiya, et le rejet catégorique du libéralisme, assimilé à une forme d’opportunisme, de romantisme déconnecté de toute réalité et, pour tout dire, d’instrument de promotion du néo-impérialisme américain ;
l’attachement à une laïcité rigoureuse, ‘ilmâniya, destinée à interdire toute intrusion du religieux dans le domaine politique, de manière à protéger contre toute concurrence l’idéologie dominante ou plutôt unique, celle du Parti Baath.
Le second ensemble, le Rassemblement National Démocratique, regroupe depuis 1979 des partis politiques qui, sans différer notablement des partis du FNP dont ils sont issus ou auxquels ils ont donné naissance, sur les 3 points qui viennent d’être mentionnés, refusent d’être à la remorque du Parti Baath et affichent leur volonté d’agir selon des voies et dans une perspective démocratiques [2].
En reprenant une catégorisation spatiale qui nous est familière, on pourrait dire que, au début de la décennie 2000, l’ensemble des partis politiques tolérés en Syrie – tolérés, parce qu’aucune loi n’y encadre et ne protège l’activité des organisations politiques, et que leur existence comme la sécurité de leurs membres et dirigeants y dépendent uniquement de la bienveillance ou de la malveillance à leur égard des responsables sécuritaires – se situent à gauche ou au centre gauche. Deux partis font alors cavalier seul : le Parti de l’Action Communiste (PAC), dont les cadres et les militants arrêtés dans les années 1980 et 1990 commencent à peine à sortir de prison, situé plus à gauche ; et le Parti Syrien National Social (PSNS), plus connu au Liban sous le sigle PPS (Parti Populaire Syrien), placé au centre-droite. La question du positionnement des Frères Musulmans (FM) ne se pose pas, dans la mesure où Bachar AL ASSAD ayant refusé de saisir la main que l’Association lui a tendue lors de son accession à la présidence, les FM n’ont en Syrie ni structure, ni bureaux, ni militants déclarés. Tout au plus évoquent-ils des ansâr, des partisans, qui pourraient se rallier à eux mais qu’ils ne connaissent pas, par définition, et sur lesquels ils n’ont donc ni autorité, ni pouvoir.
2 / Durant le Printemps de Damas, quelques personnalités plus ou moins connues tentent de créer de nouveaux partis politiques. Le député Riyad SEIF, qui vient de dénoncer à l’Assemblée du Peuple les magouilles ayant présidé à l’octroi des deux licences exclusives de téléphonie mobile à Rami MAKHLOUF, cousin du chef de l’Etat, et à des amis libanais de la famille présidentielle, les frères Najib et Taha MIQATI, annonce au cours de l’été 2001, son intention de créer, sous le nom de Parti de la Paix Sociale, une formation politique d’orientation libérale. Son arrestation, le 1er septembre 2001, trahit la crainte éprouvée par le régime face à cette tentative de récupérer la bourgeoisie traditionnelle, ralliée au régime après avoir constaté que la rigidité idéologique du Parti Baath dans le domaine économique pouvait fort bien s’accommoder de pratiques inavouées de type libéral, génératrices de ressources considérables. Le régime redoute également de le voir détourner de Bachar AL ASSAD, dans la perspective de nouveaux profits, la nouvelle bourgeoisie, constituée à la faveur de l’ouverture économique contrôlée de la Syrie, au cours de la décennie 1990, par les fonctionnaires et bureaucrates enrichis par les pots de vin, les passe-droits, les détournements de contrats, la rémunération de leurs services… bref par la corruption.
Cette tentative est loin d’être unique. Entre 2001 et 2008, ce sont plus d’une trentaine de projets de partis politiques qui sont annoncés en Syrie ou par des Syriens à l’extérieur de la Syrie. Certes, faute d’un cadre juridique, d’une part, et en raison du verrouillage de la vie politique, d’autre part, aucun de ces projets ou à peu près ne voie effectivement le jour. Mais ils n’en révèlent pas moins des désirs et des intentions de la part de ceux qui en sont à l’origine. Or, à l’examen de ces projets, que constate-t-on ?
Trois choses :
aucun des partis dont la création est annoncée ne revendique un positionnement qawmî, nationaliste arabe, tandis que le tiers d’entre eux, une dizaine environ, prend soin de se déclarer watanî, patriotique syrien ;
si quelques nouveaux partis, à l’instar de celui de Riyad SEIF, font montre de préoccupations sociales (ijtimâ’iya), aucun ne se réclame du socialisme (ichtirâkiya). Un seul se dit marxiste. En revanche, une demi-douzaine prennent le risque de fâcher ou de provoquer en se déclarant ouvertement libéraux ;
un seul s’affirme résolument laïc (‘ilmânî). Aucun ne se prétend religieux (dînî). Cela suggère que la quasi-totalité de ces projets de partis se situent entre les deux, penchant pour une démocratie (un terme qui figure plus d’une vingtaine de fois dans la dénomination de ces nouvelles formations, sous forme de nom ou d’adjectif) de type madanî, c’est-à-dire civile ou laïque modérée. Le contenu des deux termes n’est pas très différent, mais le qualificatif madanî évite le recours au mot ‘ilmânî, dont la connotation athée dans la majorité des pays arabes gène la plupart des Syriens.
Virtuellement parlant, puisque ces partis en projet deviennent rarement des partis réels, cette efflorescence traduit une aspiration des Syriens, ou du moins de ceux qui prétendent parler en leur nom, à une prise de distance à l’égard des discours jusqu’alors dominants et, peut-être pour tenter de mettre en accord les propos et les comportements, leur désir d’un recentrage, d’un repositionnement vers le centre, de la vie politique.
3 / La Déclaration de Damas pour le Changement National Démocratique en Syrie, qui est annoncée le 16 octobre 2005, reflète précisément cette tendance. Elle a été rédigée par quelques intellectuels, comme Michel KILO, qui avaient déjà été à l’origine du Manifeste des 99 puis du Communiqué des 1000, lors du Printemps de Damas. Elle a été discutée avant sa publication avec l’avocat Ali Sadreddin AL BAYANOUNI, qui était alors le contrôleur général de l’Association des Frères Musulmans. Elle prône non pas une révolution mais un passage progressif et contrôlé à la démocratie, dans un cadre débarrassé de l’omniprésence et de l’omnipotence de l’Etat.
Lors de sa publication, la Déclaration a déjà été signée par le RND au nom des 5 partis qui le composent, par l’Alliance Démocratique Kurde en Syrie et le Front Démocratique Kurde en Syrie qui regroupent chacun 4 ou 5 partis kurdes, par les Comités de Relance de la Société Civile, par le Parti du Futur du cheykh Nawwaf AL BACHIR, chef de la tribu des Baggara en Syrie, et par des personnalités indépendantes. On retrouve parmi elles l’industriel Riyad SEIF, le cheykh Jawdat SAÏD, apôtre de la non-violence en Syrie, le Dr Abdel-Razzaq EÏD, membre fondateur des Comités de Relance de la Société Civile, l’homme d’affaires alépin Samir NACHCHAR, aujourd’hui membre du bureau exécutif du tout nouveau Conseil National Syrien, l’avocat Haytham AL MALEH, célèbre défenseur des Droits de l’Homme en Syrie et pivot du Congrès de Salut National tenu le 16 juillet 2011 à Istanbul, etc.
Cette Déclaration est aussitôt la cible d’attaques menées par ceux qui perçoivent, au sein du régime, qu’elle met directement en cause les fondamentaux sur lesquels il campe. Ils lui font plusieurs reproches :
le premier est de reléguer au second plan la question nationale (arabe), qui doit selon eux primer sur la question patriotique (syrienne), au nom du slogan bien connu « lâ sawt fawq sawt al ma’araka ». Il signifie que quand on est en guerre – sous-entendu avec Israël – aucune voix ne doit manquer au pouvoir et que les questions proprement patriotiques / syriennes doivent rester au second plan par rapport à la seule véritable question qui compte : la lutte nationale / arabe contre l’ennemi commun ;
le second est de faire mention de l’Islam, qualifiée dans le texte de la Déclaration de « référence culturelle majeure dans la vie du peuple syrien », alors que seule une laïcité intégrale, exprimée dans le slogan « ad-din li-Llah wa-l-watan li-l-jami' » (la religion appartient à Dieu, la patrie à tous), est susceptible, selon eux, de garantir et de protéger les droits des Syriens, en particulier ceux des minorités confessionnelles ;
le troisième est de promouvoir, sans le dire clairement, en réclamant un retrait de l’Etat et en exigeant les libertés publiques et privées, un certain libéralisme… y compris dans le champ économique.
Ces reproches sont partagés par certains des cosignataires de la Déclaration. Tout en maintenant un pied dans la place, de manière à ne pas se laisser voler la direction de l’opposition qui constitue une rente de situation vis-à-vis du pouvoir… si elle est bien gérée, ils ne ménagent pas leurs critiques au texte qu’ils ont pourtant signé. Ils tentent d’obtenir sa modification, pour l’infléchir dans le sens voulu et le ramener sur des positions plus « classiques » en Syrie. C’est le cas, en particulier, du Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique, dont les figures les plus emblématiques, l’avocat damascène Hasan ABDEL-AZIM, l’avocat alépin Abdel-Majid MANJOUNEH et le juge Raja AL NASER, se montrent actifs à ce niveau. N’étant pas parvenus à leur fin et marginalisés lors du premier Conseil National de la Déclaration, le 1er décembre 2007, ils gèlent leur participation… mais sans aller au bout de leur démarche de retrait. Cette divergence facilite une intervention des moukhabarat, qui arrêtent une douzaine des dirigeants nouvellement élus, dont Fida AL HOURANI et Riyad SEIF. Respectivement présidente et secrétaire général de la Déclaration, ils sont condamnés, comme leurs amis, à 2 ans et demi de prison. Mais la Déclaration parvient à survivre à ce coup d’arrêt et, bien qu’affaiblie, elle joue un rôle, au début de l’année 2011, dans la mobilisation qui se met en place via les réseaux sociaux afin d’inciter les Syriens à descendre dans la rue.
4 / Le 25 juin 2011, alors que la contestation entre dans son 4ème mois, des partis de l’opposition et quelques opposants indépendants tiennent une réunion secrète, dans la banlieue de Damas, au cours de laquelle ils décident de mettre en place un Comité de Coordination Nationale des Forces de Changement National Démocratique en Syrie (CNCD). A la tête de ce nouveau rassemblement, on retrouve l’avocat Hasan ABDEL-AZIM, porte-parole du RND et transfuge hésitant de la Déclaration de Damas. Parmi ses composantes, figurent des partis clairement positionnés à gauche : le Parti de l’Action Communiste, qui a toujours hésité à aliéner son autonomie en adhérant au RND puis à la Déclaration de Damas, et le Rassemblement de la Gauche Marxiste, créé en 2007, dont l’intitulé dit bien l’objectif. Les intentions que le CNCD affiche reprennent en gros les demandes de la rue. Il veut contribuer à la recherche d’une sortie de la crise, il entend soutenir la protestation, etc. Mais il ambitionne aussi, sans le dire, de ramener l’ensemble de la scène politique vers la gauche. Si sa stratégie ne fait pas automatiquement le jeu du régime, le CNCD se positionne malgré tout à proximité immédiate des partis dits progressistes réunis autour du Parti Baath… avec lesquels l’entame d’un dialogue n’apparaît qu’une question de temps ou d’opportunité.
La rue syrienne, dont les démonstrations pacifiques quotidiennes sont au même moment la cible de représailles sanglantes des forces de sécurité, s’étonne qu’une nouvelle rencontre, le lundi 27 juin, puisse se tenir publiquement dans un grand hôtel de Damas sans être le moins du monde perturbée. Cela démontre au moins que, si le régime, dont ni la tolérance ni la largeur d’esprit ne sont les qualités premières, n’approuve pas l’action que cherchent à mener ces opposants, l’opposition qu’incarne le CNCD ne le dérange pas beaucoup.
Un slogan est bientôt mis en avant par certains d’entre eux, qui confirme leur proximité idéologique avec le Front National Progressiste. Il se décline sous deux formes : « lâ dîmuqrâtiya dûna ‘ilmâniya » (pas de démocratie sans laïcité) ou « al ‘ilmâniya qabla al dîmuqrâtiya » (la laïcité [passe]avant la démocratie). Or faire de la laïcité (‘ilmâniya), un préalable à la démocratie, c’est en réalité, en Syrie, renoncer à toute modification du statu quo actuel. C’est se montrer sourd aux demandes de la rue. Elle réclame la démocratie pour en finir avec la dictature en place. Elle ne demande pas un Etat « dînî », c’est-à-dire religieux ou islamique comme en Iran. Elle ne veut pas non plus d’un Etat « ‘ilmânî » que l’immense majorité des Syriens apparente – à tort, mais c’est une réalité – à un Etat impie ou athée. C’est considérer surtout que, pour empêcher l’arrivée au pouvoir des tenants de l’Etat madanî (civil ou laïc modéré), réclamé par la majorité des manifestants, il faut permettre au régime actuel de rester en place. Et, l’immobilisme n’étant plus tenable, mieux vaut parier encore une fois sur la volonté de réforme mise en avant par Bachar Al-Assad, même si la rue syrienne, qui depuis plusieurs mois « entend le bruit de la meule mais ne voit pas la farine », a définitivement cessé d’y croire.
5 / C’est sur ce fond que se dessine le positionnement des différentes forces de l’opposition, la Déclaration de Damas au centre, et le Comité de Coordination à gauche, d’une part par rapport aux différents congrès qui se succèdent hors de Syrie depuis le début du mois de juillet à un rythme croissant, et d’autre part par rapport aux différents « Conseils » annoncés depuis le 29 août.
Pour la Déclaration de Damas, dont il n’est pas inutile de rappeler que, après le ralliement au Comité de Coordination de la majorité des partis composant le RND, elle se résume désormais à des militants indépendants et à un nombre restreint de partis arabes, kurdes et assyriens, dont le Parti Démocratique du Peuple (ex-Parti Communiste/Bureau Politique de Riyad TURK), la ligne immuable consiste à se ranger derrière la contestation. Celle-ci détient seule le privilège de déterminer le plafond des revendications, dans la mesure où c’est elle qui mène la lutte sur le terrain et qui paye au prix fort le désir de liberté de la population. La rue réclamant aujourd’hui « la chute du régime », la Déclaration considère que ce serait trahir les manifestants que demander moins. La rue et les Comités Locaux de Coordination ayant reconnu la représentativité du « Conseil National Syrien », la Déclaration fait de même. Les manifestants exigeant désormais une « protection internationale », la Déclaration reprend ce slogan. Lorsque les Syriens, las d’être exposés sans défense à la sauvagerie d’un régime prêt à sacrifier le tiers de la population pour se maintenir, finira par réclamer une « intervention étrangère », la Déclaration de Damas hésitera sans doute à dire haut et fort qu’elle approuve aussi cette demande.
En revanche, le Comité de Coordination, qui associe aux formations politiques déjà mentionnées des intellectuels de gauche, peine à se débarrasser des idéologies et des vieux réflexes partisans qui conduisent ses différentes composantes à soumettre les demandes de la rue au filtre de leur positionnement et de leurs intérêts. Il peine aussi à renoncer à jouer un rôle politique d’intermédiaire avec le régime, dont la rue ne voit plus la nécessité depuis qu’elle a décidé qu’elle ne voulait rien moins que la chute du régime. Si Bachar AL ASSAD se montre un jour disposé à discuter, les contestataires ne veulent plus aborder avec lui autre chose que les modalités de son abandon du pouvoir. Or, dans leur majorité, les membres du CNCD ne sont pas sur cette ligne. Désireux de « faire encore de la politique » et de se donner un rôle, ils préfèrent cultiver l’ambiguïté en parlant de « mise à l’écart du régime » plutôt que de « renversement du régime ».
Ce qu’ils redoutent, au fond, sans oser le dire pour la majorité d’entre eux, c’est la perspective de l’arrivée au pouvoir en Syrie, sous le couvert d’un « Etat démocratique madanî », des « islamistes », autrement dit des Frères Musulmans. Que cette éventualité soit faible ne suffit pas à atténuer leur inquiétude. A tout prendre, leur attachement pour la démocratie n’étant pas au-dessus de toute épreuve, ils préfèrent à cette éventualité le maintien en place du régime actuel. Ils sont prêts, si le régime fait quelques concessions, allège la répression et entame certaines réformes, à tendre ou à saisir la main des partis du FNP et à rechercher avec le pouvoir le compromis qui fermera la voie à une telle perspective.
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Tels sont les termes du dilemme auquel les opposants syriens sont aujourd’hui confrontés et qu’ils devront résoudre pour ne pas être totalement discrédités aux yeux des révolutionnaires :
– faire le choix de la démocratie que réclame la rue, sans mettre de condition à la participation au nouveau pouvoir de tel ou tel courant – patriote, libéral et/ou islamiste – représenté dans la population ;
– ou favoriser le maintien en place du pouvoir actuel en décidant, contre la rue, que la priorité des priorités n’est pas de favoriser une transition démocratique mais d’empêcher par tous les moyens l’arrivée aux affaires de ceux dont ils divergent au niveau idéologique.
[1] Le Parti Communiste Syrien / branche Khaled Bakdach, le Parti Communiste Syrien / branche Yousef Faysal, le Parti de l’Union Socialiste Arabe, le Parti Unioniste Socialiste Démocratique, le Parti des Unionistes Socialistes, le Mouvement des Socialistes Arabes et le Parti de l’Union Arabe Démocratique.
[2] Le Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique, le Parti Communiste / Bureau Politique, le Parti Baath Démocratique, le Mouvement des Socialistes Arabes et le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs.
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