Le 9 mai, l’Union Européenne a adopté des sanctions contre 13 responsables syriens, civils, militaires et sécuritaires. En raison de leur participation à la répression sanglante en cours en Syrie contre des manifestants pacifiques, ils seront désormais privés de visa pour l’espace européen et leurs comptes dans tous les pays de l’Union seront gelés.
La présence de l’ingénieur Rami Makhlouf en 8ème position dans cette liste peut surprendre, l’intéressé, cousin du président Bachar Al Assad, n’exerçant aucune responsabilité directe dans la répression. Ce n’est le cas ni de son frère cadet, Hafez Makhlouf, haut responsables de la Sécurité d’Etat à Damas, ni de son cousin Maher Al Assad, véritable chef de la répression, ni de son autre cousin Atef Najib, ancien directeur de la Sécurité politique à Daraa, ni de ses lointains cousins, Mounzer et Fawwaz Al Assad, distingués pour leur rôle dans la création des redoutés « chabbiha » dans la région de Lattaquié, plus que pour leur participation effective à la sale besogne de ces voyous.
Pourtant, comme ses récentes déclarations au journal américain The New York Times et d’autres informations le montrent, Rami Makhlouf ne peut être considéré totalement innocent de l’action contre le mouvement de protestation menée par le régime, dont il est membre du premier cercle et dont il est le pilier économique et le pourvoyeur de fonds.
Dans cette interview, récemment réalisée à Damas, il s’exprime en effet comme un membre à part entière du système. Utilisant le pronom «nous», il cherche à montrer – ou il permet de comprendre – qu’il assume toute sa responsabilité dans la répression violente contre les manifestants. S’il affirme d’abord que « le gouvernement a désormais décidé de combattre », il ajoute un peu plus loin que « nous resterons ici. On appelle cela se battre jusqu’au bout… Nous ne souffrirons pas tout seuls ». Et il conclut, en fin d’interview, en plein accord avec la vulgate officielle, que les protestataires sont des « salafistes », contre lesquels « nous avons beaucoup de combattants prêts à se battre ».
Dans un communiqué diffusé il y a quelques jours pour justifier l’interruption du service des news d’Al Jazira, la société de téléphonie mobile Syriatel dont Rami Makhlouf est l’actionnaire majoritaire a par ailleurs reconnu que, au cours du mois d’avril, elle avait surveillé les SMS de tous ses clients. Cela lui avait permis de constater que l’information de la chaîne qatarie était biaisée, puisque, toujours selon Syriatel, alors que 98,7 % des 40 000 SMS qui lui avaient été adressés durant cette période étaient favorables à la sécurité et à la stabilité, c’est-à-dire évidemment au régime, elle n’avait fait état que des 1,3 % qui lui étaient défavorables.
Rami Makhlouf peut de ce fait être considéré comme ayant pris une part active à la répression, puisque, si la simple surveillance des SMS viole le contrat passé entre la société et ses clients, la remise aux moukhabarat de l’identité des auteurs des messages critiques pour le régime explique au moins en partie l’arrestation et la disparition d’un certain nombre d’entre eux. Les Syriens reprochent aussi à Rami Makhlouf sa coopération avec les services de sécurité et avec l’armée, auxquels il facilite la tache, dans les villes et villages qu’ils assiègent pour y réduire la révolte, en interrompant à la demande le fonctionnement des téléphones portables. S’il empêche ainsi les témoignages et les images de la répression de parvenir à l’étranger, il contribue au même moment à la diffusion de la propagande et de la désinformation du régime, via son quotidien privé Al Watan et les multiples sites Internet d’information qu’il finance et contrôle en Syrie. Ce n’est donc pas par hasard que, aux premiers jours du soulèvement de Daraa, les manifestants ont incendié trois bâtiments : le Palais de Justice, sans utilité dans un système qui soumet la justice aux diktats des services de renseignements, le siège du Parti Baath, dont l’absence et le silence au cours des événements confirment qu’il a perdu depuis longtemps toute utilité en Syrie, et celui de Syriatel, qui incarne les privilèges, les passe-droits et l’accaparement des ressources par la famille présidentielle.
Dans un régime comme le régime syrien, où un nombre limité de membres d’une même famille exerce un monopole directe ou indirecte sur la totalité des postes dans les seuls domaines qui comptent, celui de l’accumulation des ressources et celui du contrôle de la société, sous l’autorité symbolique d’un président plus concerné par l’ordre et l’économie que par le social et le politique, il est malaisé de répartir entre les uns et les autres les responsabilités. Mais, face aux crimes qui se déroulent actuellement en Syrie, il n’est pas scandaleux de faire porter à l’ensemble de la famille Al Assad, la responsabilité collective d’une situation provoquée par son refus d’entendre et de faire droit aux revendications légitimes de la population syrienne.
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