Un combattant du Front Al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie, monte la garde dans un bâtiment détruit de Yarmuk en Syrie, le 22 septembre 2014 (Photo Rami al-Sayed. AFP)
Le chef de la branche syrienne d’Al-Qaïda cherche à donner à l’Occident une image plus « présentable », estiment les analystes, qui doutent toutefois qu’il y réussisse sans rupture avec un mouvement aussi sulfureux.
Le chef d’Al-Nosra, Abou Mohammad al-Jolani, a détaillé cette stratégie dans un rare entretien diffusé mercredi soir par la chaîne al-Jazeera, propriété du Qatar, fidèle allié de la rébellion syrienne.
Il y assure qu’il n’utilisera pas la Syrie pour s’attaquer à l’Occident et qu’il entend défendre les minorités sur le territoire qu’Al-Nosra contrôle.
Ces propos « s’inscrivent dans un processus de normalisation qu’Al-Qaïda en Syrie mène depuis un certains temps », note Charlie Winter, un expert du jihadisme à la Fondation Quilliam basée à Londres.
« Il veut se rendre plus présentable auprès de l’Occident (…) Une sorte de publi-info pour présenter le Front Al-Nosra comme des modérés », dit-il.
Al-Nosra est placé depuis 2012, comme son rival plus extrémiste du groupe Etat islamique (EI), sur la liste noire des organisations terroristes établie par les États-Unis.
Il s’est révélé depuis plusieurs mois comme l’un des groupes armés les plus puissants dans le nord-ouest de la Syrie après une série de victoires dans la province d’Idleb, dont la prise de la capitale provinciale et d’un important camp militaire.
Le groupe veut parallèlement se faire passer comme une force politique légitime en Syrie, expliquent les analystes.
Il « cherche à changer l’opinion occidentale pour apparaître comme un acteur politique de l’opposition syrienne », assure Lina Khatib, directrice du Carnegie Middle East Centre. « C’est l’une des principales raisons pour laquelle Jolani envoie un message rassurant ».
’Pragmatisme’
Le visage caché par un châle noir, Jolani a toutefois accusé les États-Unis de coordonner avec le régime syrien les raids qu’ils mènent contre le territoires contrôlé par les jihadistes.
Mais il a insisté sur le fait qu’Al-Nosra avait reçu l’ordre de concentrer sa stratégie sur la chute de Bachar al-Assad et non sur des actions contre l’Occident.
Toujours dans le même registre, Jolani a cherché à calmer les appréhensions des pays occidentaux sur d’éventuelles attaques d’Al-Nosra contre des minorités religieuses, dont les chrétiens ou les alaouites, un groupe auquel appartient le président syrien Bachar al-Assad.
Il tient ainsi à se démarquer de l’EI qui s’est illustré par une violence extrême, dont des décapitations en public, qui suscite la terreur parmi les minorités communautaires.
Pour Lina Khatib, les messages de Jolani sont « un exemple de pragmatisme » qui démontrent qu’Al-Nosra « a des ambitions politiques » et ne veut pas seulement être considéré « comme une organisation extrémiste islamiste ».
Ce tournant a été initié, selon les experts, par l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar en échange d’un appui plus fort aux groupes d’opposition syriens.
Le Qatar, en particulier, « a une influence relativement modératrice sur Al-Nosra et cela était particulièrement clair dans l’interview », explique Thomas Pierret, expert de l’islam en Syrie à l’université d’Edimbourg.
Numéro d’équilibriste
Jolani a été contraint à un numéro d’équilibriste pour « essayer de dire au monde qu’il n’est pas extrémiste comme l’EI et, dans le même temps, apaiser la communauté jihadiste », souligne Charlie Winter.
Les experts ne voient cependant pas l’Occident modifier son approche à l’égard d’Al-Nosra.
« Jolani a effectivement ’rassuré’ l’Occident et les minorités, mais il n’a fait aucun compromis sur la doctrine en termes de liens entre Al-Nosra et Al-Qaïda », remarque Thomas Pierret.
Avec le drapeau noir du mouvement « Al-Qaïda au Levant » placé bien en évidence sur la table durant l’entretien, Jolani a ainsi voulu faire taire les rumeurs sur une éventuelle rupture entre son groupe et le centre de commandement d’Al-Qaïda.
« Je ne pense pas que Jolani imagine pouvoir changer l’opinion du président américain, ou penser que les chrétiens ou les alouites arrivent à le considérer comme un bon gars’, précise Aron Lund, rédacteur en chef du site Syria in Crisis.
En dépit d’une apparente ouverture aux minorités, il a d’ailleurs conditionné leur protection « à son interprétation salafistes du l’Islam sunnite. Il ne renie pas son idéologie », assure-t-il.
Pour Charlie Winter, « il y a une tendance à oublier que Jolani vient de l’Etat islamique d’Irak, l’ancêtre de l’EI ».
Et, selon cet expert, le positionnement actuel d’Al-Nosra doit être considéré comme « une phase temporaire » dans le débat plus vaste « sur la manière de mettre en oeuvre le jihad ».
AFP